Lomepal a un bon fond
En 2017, le rap français a tout essayé, et a (à peu près) tout réussi. Exemple avec le carton de Lomepal et son album Flip, jouissive entreprise de storytelling désenchanté, qui n’hésite pas à déborder au-delà du hip-hop.
Sans doute Lomepal connaît-il la fameuse sentence mieux que quiconque: « L’important n’est pas la chute, c’est l’atterrissage« . Il a pu l’éprouver pendant de longues années, quand il enchaînait les figures sur les rampes de skate (avec de multiples passages par la case hôpital à la clé). Mais pas seulement. Aujourd’hui, sa planche reste toujours dans les parages, mais il a levé le pied. Depuis qu’il devenu rappeur à plein temps, ses acrobaties sont désormais avant tout vocales. L’an dernier, après plusieurs épisodes musicaux plus ou moins en « souterrain », il a sorti son premier véritable album. C’est peu dire qu’il fait un carton. En France, Flip vient tout juste d’être certifié disque de platine. Juste derrière les blockbusters d’Orelsan ou Damso, il lui a même valu une nomination aux Victoires de la musique (catégorie « album de musiques urbaines »). Dans la foulée, la tournée affiche partout sold out (elle passe cette semaine par Charleroi, Liège et Bruxelles, avant de revenir cet été à Dour). En résumé: « jusqu’ici, tout va bien« .
Mais qui est donc Lomepal? « Un connard et un mec bien dans le même corps », explique-t-il sur Palpal. En vrai, l’intéressé donne surtout l’impression d’avoir le regard perpétuellement mélancolique. Il faut dire que, si le rap est la musique qui raconte le mieux les agitations du moment, alors le récit qu’il en fait est particulièrement désenchanté. « Ah, ce monde c’est une bonne blague/Je lis les nouvelles pour me faire les abdos« , raconte-t-il sur Ray Liotta. Morceau après morceau, il esquisse un portrait personnel, qui résonne aussi volontiers comme celui d’une génération dont les audaces et le caractère décomplexé cachent mal les bleus. Qu’elle soit assommée par la rilatine (« J’ai pas pris mes calmants/Je dis que de la merde et tous les Joes kiffent/Mon hyperactivité ne fait que choquer« , sur Palpal) ou se réfugie dans les drogues et alcools (Pommade). Ici, même l’ego trip, gonflé aux réseaux sociaux, balance entre roublardise et aveu cinglant (« Elle est belle mais si je regarde ses yeux, c’est peut-être juste pour y voir mon reflet« , sur Yeux disent). « J’ai une vision pessimiste? C’est possible, sourit-il. Après, j’exagère les émotions. Et j’en occulte d’autres, souvent parce que je ne suis pas arrivé à les retranscrire de manière intéressante. »
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Sur le plateau d’Ardisson, Lomepal serait certainement aussi présenté comme « un rappeur pas vraiment comme les autres« . Entendez par là qu’il « n’est pas Noir, ne passe pas ses journées en salle de muscu et sait que le verbe croiver n’existe pas« – oui, on ose encore ce genre de caricature à la télé française. D’autres préféreront parler de rappeur pour hipsters, la faute certainement au combiné barbe-bonnet et à une tendance à citer autant Eminem que Kurt Cobain, Jimi Hendrix ou Janis Joplin… « Honnêtement, je m’en fous« , balance-t-il. Et on a plutôt tendance à le croire. Dans l’outro de Palpal, il rappe encore: « Ok, Pal sait bien s’exprimer, mais il a connu la vie de white trash« . Dans le genre, ce n’est pas la seule ligne de l’album qui détaille le parcours cabossé du bonhomme…
Question d’envie
Né en 1991, Antoine Valentinelli pour l’état civil grandit donc à Paris. On comprend que, très tôt, la cellule familiale explose. « Quand mes parents se sont séparés, mon père est parti. J’ai grandi juste avec ma mère et ma petite soeur. J’ai dû être adulte très jeune, dès onze ans. » Le skate est déjà présent. Avec le temps, il prend même de plus en plus de place. « Au départ, j’étais vraiment nul. Mais je me suis acharné. J’allais skater tout le temps. Je partais à 7 heures du matin de chez moi, pour pratiquer avant les cours… » Au bout d’un moment, il s’imagine même devenir pro. Quand il a seize ans, il s’achète une paire de Nike et décide de filmer ses plus belles figures. « Je voulais leur envoyer, en espérant qu’ils me sponsorisent. » Le paquet, pourtant, ne partira jamais. « J’ai laissé traîner, je me suis lancé dans d’autres trucs. Ça s’est fait naturellement. Je ne sais même pas l’expliquer: c’est comme si je passais à autre chose. »
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On appelle ça aussi la procrastination… « Je crois surtout que je me suis rendu compte à ce moment-là que tout ça ne valait pas forcément le coup. Je m’étais défoncé, et même si j’étais devenu très bon, je n’étais pas au même niveau que d’autres gars. Or je suis assez compétitif. J’aime bien être sinon le plus fort, au moins l’un des plus forts, que l’on me remarque. Au fond, c’est aussi comme ça que je me suis retrouvé dans la musique. Mais là-dedans, au moins, je suis respecté, mon nom veut dire quelque chose. » Là aussi, il a pourtant fallu du temps. « Ça a toujours été comme ça dans ma vie. Même pour les choses qui me parlaient, j’ai dû beaucoup bosser pour y arriver. Ça n’a jamais été naturel. C’est Jacques Brel qui disait en interview que le talent, c’est d’abord une question d’envie. »
Au départ, Lomepal commence donc à traîner avec la bande de L’Entourage. Un collectif qui, au début des années 2010, donne avec d’autres un coup de frais au rap français, en le refaisant surfer sur une vague boom bap old school. Lomepal est notamment pote avec Nekfeu. « On fréquentait le même lycée. Il n’était pas encore connu, c’était juste un ami à moi qui rappait. À l’époque, je commençais à chipoter un peu à la vidéo. Du coup, comme il n’avait pas encore de clip, je lui ai proposé d’en réaliser un. » À la base, Areno Jaz, autre rappeur de L’Entourage, doit apparaître sur le morceau. Mais finalement, il préfère décliner. « Je me suis proposé pour faire un couplet, un peu pour rigoler. Finalement, je me suis pris au jeu. »
Le morceau, intitulé À la trappe, est toujours visible sur YouTube. Visage encore poupon et imberbe, Lomepal se fait alors appeler Jo Pump. Il se marre quand on le lui rappelle. « C’est une référence à la bande dessinée Jo, Zette et Jocko de Hergé, et à l’album Le Testament de M. Pump. J’adorais cette BD. Comme j’étais un peu hyperactif, toujours à vouloir tout faire à toute vitesse, j’avais quelques ressemblances avec le personnage de Pump. Et comme pour Facebook je devais donner un prénom, j’ai pris Jo, qui est celui de l’un des enfants » (sourire). Par ailleurs, ce n’est pas la seule connexion qu’il entretient avec la Belgique. Bien avant la hype actuelle, le Parisien a appris à connaître Caballero, JeanJass, La Smala et consorts (voir par exemple Le singe fume sa cigarette, dès 2012).
Aujourd’hui, ils sont toujours là -Caballero, Roméo Elvis et JeanJass apparaissent d’ailleurs sur Flip (le premier sur le morceau Ça compte pas, le second sur Billet, le troisième sur le bonus À mi-chemin)… Le pseudo, lui, a très vite changé: Lomepal, pour la mine pâlotte qu’il traîne encore souvent -« à l’école, on pensait souvent que j’étais malade« . Mais aussi pour souligner et donc désamorcer sa « différence », Blanc dans une « musique de Noirs ». « Je voudrais bien donner des leçons/Mais j’suis qu’un simple tou-bab’/C’est dur d’avoir le poids de 2Pac/Quand t’as le visage tout pâle », rappe-t-il par exemple (Palpal).
Longtemps, il a « compensé » en s’acharnant à perfectionner sa technique. « Au départ, tu peux croire qu’il suffit de balancer ce que t’as à dire, en glissant deux ou trois jeux de mots. Mon premier rap avec Nekfeu, c’était ça. Et c’était nul. D’ailleurs, je me suis fait défoncer. J’étais désespéré, je pensais en rester là. Il a fallu qu’un pote me donne quelques clés, qu’il m’explique le côté plus « mathématique », cartésien de l’exercice. À partir de ce moment-là, tout s’est éclairé et je n’ai plus arrêté de bosser pour maîtriser le truc et devenir le meilleur possible. »
La nouvelle variété
Ce côté « sportif », Lomepal l’a mis aujourd’hui un peu de côté. Sans doute parce que les lignes du hip-hop ont eu tendance à se flouter et s’assouplir ces dernières années. « Je commence à ressembler à ces tristes puristes que je déteste dans le rap« , lâche-t-il par exemple sur Bryan Herman. Crédible, Lomepal l’est. Aujourd’hui, il a surtout envie d’être authentique. Ce qui, dans un genre hip-hop devenu la clé de la musique pop actuelle, ne passe plus forcément par une série de codes à respecter. Lomepal peut ainsi travailler avec le prodige électro Superpoze, inviter Philippe Katerine à l’accompagner quand il passe sur le Planète Rap de Skyrock, ou proposer sur l’édition deluxe de son album une relecture acoustiques de ses morceaux (inspirée par une session live de Julian Casablancas, le chanteur des Strokes). « Aujourd’hui j’estime que mon écriture se rapproche plus des gens qui bossent dans la variété française. J’essaie en tout cas. »
Pour être honnête, Flip est encore loin du compte: il y a peu de risque qu’il transforme Lomepal en nouveau Soprano. En revanche, plus souple dans le format, le rappeur se donne aussi plus de liberté dans ses textes. Et plus de franchise. Quitte même à imaginer abandonner un jour son nom de scène. « Un pseudo, ça a quelque chose d’immature. Ce que je fais, je lui donne un nom. Mais me donner un nom à moi, ça n’a pas de sens, on m’en a déjà donné un quand je suis né. » En attendant, Lomepal en dévoile toujours un peu plus sur Antoine. L’enjeu est désormais moins la punchline à tout prix que le mot juste. Moins l’effet de style que le trait tranchant et révélateur. Pas question de se lancer dans des grandes tirades politiques ou engagées. Dans Lucy, il raconte: « Mes frères veulent me faire croire que la société me baise/Moi, je le vois pas, j’ai la tête dans les chemtrails » (référence aux traînées blanches laissées par les avions dans le ciel, que certaines théories complotistes imaginent être en fait des produits chimiques dispersés par les gouvernements pour asservir les masses). « C’est ironique évidemment. Après, c’est certain que je ne suis pas très politisé. J’ai des idées, mais je ne maîtrise pas assez les sujets pour me lancer dans de grands discours. J’ai fait le choix de nourrir le monde avec autre chose, de faire ma part de travail en faisant de l’art, en essayant de rendre les gens heureux, et éventuellement de les faire réfléchir avec de la musique. »
Ce qui passe donc par une mise à nu, sans filtre. Dans le cas de Flip, elle est poussée assez loin. Qu’il s’agisse d’étaler ses états d’âme, ses contradictions, ses plans amoureux foireux ou une histoire personnelle parfois chaotique -comme quand il parle de sa mère, que les problèmes de santé ont régulièrement emmenée à l’hôpital (« Huit heures du matin, quelques cahiers dans la main, j’enjambe ma mère sur le sol/J’ai même pas l’air embêté, j’encaisse mal la vérité, j’dis des mensonges à l’école »). Tout cela entre deux fanfaronnades et l’une ou l’autre outrances bien senties. « En gros, le disque ne me représente pas entièrement, je ne suis pas que Flip . Mais Flip , ce n’est que moi. » En l’occurrence, c’est déjà énorme.
Lomepal, Flip, distr. Pias.
En concert les 02, 03 et 04/03 (respectivement à Charleroi, Bruxelles, et Liège), et en juillet au festival de Dour.
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Si Flip s’amuse à chatouiller un peu les codes du hip-hop, il le fait dès sa pochette. Loin des clichés machos encore souvent accolés au genre, Lomepal se présente en travesti de bout de nuit . » Dans mes notes, j’avais indiqué que je voulais un artwork qui soit aussi efficace que celui d’Abbey Road , des Beatles » (rires ). Dans son genre, l’image de Flip a en effet marqué les esprits. Certains y ont vu un clin d’oeil à Stromae (Tous les mêmes). « Oui, même s’il joue sur le côté androgyne, ce qui n’est pas vraiment le cas ici. Au départ, j’avais surtout en tête le clip de Mac DeMarco (rockeur indie branleur américain, NDLR), My Kind of Woman. Avec ses robes futuristes, Young Thug joue aussi un peu là-dessus. Plus tard, on m’a aussi rappelé la pochette de Love on the Beat de Gainsbourg. Pour Flip, l’idée était vraiment d’avoir un homme, barbu, qui a voulu se travestir, mais qui s’est complètement loupé. Sur l’image, je souris, mais en même temps le maquillage a coulé, on comprend que j’ai pleuré, que je suis un peu paumé. On peut deviner que je suis mal dans ma peau, que je me cherche. Ce dont parle un peu l’album finalement… »
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