L’Hyper Weekend, ce festival sans œillères
Des concerts inédits autour de la scène francophone, mélangeant les genres et les étiquettes, les stars et les nouveaux venus, le branché et le popu. Bienvenue à l’Hyper Weekend, événement de trois jours qui secoue l’idée d’un festival. Et d’une radio de service public?
Paris, Maison de la Radio, 19h30. Au 22e étage de l’immense paquebot de Radio France, amarré en bord de Seine, la baie vitrée embrasse toute la rive gauche. C’est là que François Atlas et Aja donnent leur deuxième concert de la journée. À leurs côtés, Emma “Blumi” Broughton et Clément Variéras. Les quatre musiciens se partagent un impressionnant instrumentarium: claviers, harpe, guitare, viole de gambe, flûte traversière, tambourin, etc. Autour d’eux, les spectateurs se sont assis sur les coussins dispersés par terre, quand ils ne sont pas carrément couchés de tout leur long sur la moquette.
Ambiance cosy, voire carrément zen pour une musique qui se déploie lentement. Une sorte de liturgie folk ambient et poétique, qui, là, au sommet du bâtiment, trouve le parfait écrin. “À un moment, je me rappelle avoir joué un tout nouveau morceau, raconte Aja, alias Clémence Quélennec, vue notamment chez La Femme. C’était déjà super émouvant en soi de le voir exister pour la première fois. Quand j’ai levé la tête, j’avais en plus devant moi la pleine lune, toute dorée, d’un côté, et la tour Eiffel qui scintillait, de l’autre. C’était assez dingue.” Aja et François Atlas ont occupé l’endroit pendant trois jours, à raison de deux concerts par soir. “En comptant les répétitions, on a passé en tout cinq jours là-haut. C’est devenu un peu notre cabane. On n’avait plus envie de redescendre!”
L’Impératrice en cuisine
Le refuge du 22e étage n’est pourtant qu’un des lieux qu’a occupés l’Hyper Weekend festival cette année. Durant trois jours, du 26 au 28 janvier, c’est tout le bâtiment de Radio France qui a été investi: des foyers -dont l’un, accessible gratuitement- à l’auditorium -1 400 places installées en balcons, entourant entièrement la scène-, en passant par le studio 104. Même le restaurant du premier étage a été “pimpé” pour l’occasion. Rebaptisé Radio Eat, son menu a été conçu par le groupe L’Impératrice. Entre “bibimbap au bœuf” et “joumoulok” (un émincé d’échine de porc au piment), la carte ne manquait pas de piquant.
L’affiche du festival en lui-même, non plus. D’un hommage à François Hardy à un concert spécial de Jeanne Added, accompagnée de l’Orchestre philharmonique de Radio France; en passant par un événement autour de la culture/danse voguing; ou une carte blanche offerte au label No Format pour ses 20 ans. Un fameux programme. Dans un mois de janvier encore un peu amorphe, il a même donné un joli coup de fouet. “Ah, je suis content que vous le voyiez comme ça. Parce que quand j’ai annoncé que le festival se déroulerait en janvier, tout le monde m’a pris pour un fou: “Les gens n’ont plus d’argent après les fêtes! Il fait froid, tout le monde reste chez soi, etc.” Mais j’ai insisté. En s’installant sur la troisième semaine de janvier, ça inaugure un peu l’année, ça permet de donner un élan, de repartir en beauté.”
Cette voix pleine d’enthousiasme est celle de Didier Varrod. Officiellement directeur musical des antennes de Radio France depuis 2019, il est un peu le Monsieur chanson française, auteur de plusieurs livres, documentaires, émissions, sur le sujet (lire plus loin). Et donc aussi grand manitou de l’Hyper Weekend Festival. Impossible de le louper. Il court partout, passant d’une scène à l’autre. Et quand il n’est pas présent, rares sont les artistes qui ne mentionnent pas son nom. Le boss, c’est lui.
Nulle part ailleurs
Cela faisait un moment que l’idée d’un festival lui trottait en tête. “Quand Sybile Veil, présidente-directrice de Radio France, m’a proposé ce poste de directeur musical des antennes, on a réfléchi ensemble à ce que ça pouvait impliquer. Très vite, il m’a semblé important d’imaginer un rendez-vous qui rassemble un peu toutes les musiques.” L’idée à peine lancée, le Covid passe par là. Le projet est mis au placard. Jusqu’à ce qu’un collectif de musiciens, baptisé #etonremetleson, mené par Juliette Armanet et Malik Djoudi, vienne frapper à la porte de Didier Varrod pour lui proposer de monter un événement. Une soirée pour soutenir les artistes et tous les professionnels de la musique, entre deux confinements.
En janvier 2021 a lieu l’Hypernuit, un marathon radio de 6 heures, live, rassemblant une centaine d’artistes. L’impulsion est donnée. L’année suivante, le premier Hyper Weekend Festival est lancé. Avec encore les masques et des jauges limitées. Mais les fondamentaux de l’événement sont posés. L’Hyper Weekend mettra l’accent sur la scène francophone, tous genres confondus. Et avec un goût prononcé pour les créations et l’inédit.
Ce que confirment par exemple Olivier Biron et Valérie Dumont, de l’agence de relations presse belge This Side Up. Croisés sur place, ils avaient déjà fait le déplacement l’an dernier. L’intérêt est évidemment professionnel. Mais pas seulement. Olivier Biron: “C’est un moment où l’on peut voir les projets des artistes avec lesquels on bosse -comme Eddy de Pretto l’an dernier. Ou découvrir de nouveaux -comme Lucky Love cette fois-ci. Mais au-delà, c’est un événement assez singulier, avec des créations que l’on ne verra pas ailleurs. C’est très inspirant.” Valérie Dumont continue: “Ça tient à la personnalité rassembleuse de Didier Varrod, à ses goûts, son amour pour les artistes. Mais pas seulement. Le cadre fait aussi beaucoup. Que ce soit pour le public ou les professionnels présents, il y a des conditions et un confort d’écoute assez uniques.”
Messages personnels
De fait, le bâtiment de la Maison de la Radio est bien plus qu’un décor. La scène installée au 22e étage en est un bon exemple. Aja: “L’idée était vraiment de créer un moment autour de ce lieu assez incroyable. Au début de chaque concert, François invitait par exemple le public à regarder vers l’extérieur. On avait envie de créer une musique contemplative, et que les spectateurs oublient presque qu’on était là, pour mieux se perdre dans le ciel et l’horizon.” Et d’ajouter: “Les conditions dans lesquelles on a pu travailler étaient aussi idéales. Les équipes techniques sont par exemple incroyables. Et puis, la Maison de la Radio dispose d’un grand magasin d’instruments, dans lequel on a pu allègrement piocher. C’est comme ça qu’on a pu emprunter des percussions, un gong, etc. On s’est fait plaisir.”
C’est en effet un des atouts de l’événement. Si l’Hyper Weekend a un budget “conséquent”, dixit Didier Varrod, mais loin des sommes engagées sur les grands rendez-vous outdoor de l’été, il a d’autres ressources. Le festival peut ainsi s’appuyer sur les équipes et moyens techniques de Radio France, particulièrement confortables, et son orchestre maison. Sans oublier, cerise sur le gâteau, la possibilité d’ajouter dans le package proposé aux artistes, une belle fenêtre promotionnelle: la diffusion de leur concert sur une des antennes du groupe, de France Inter au Mouv…
Le média public ne manque donc pas de cartes dans sa manche. Il s’en sert notamment pour jouer à fond celle de l’éclectisme. Aussi bien au niveau des genres -de la chanson à l’électronique, en passant par le rap, la pop, le rock, etc.- que des générations -mélangeant joyeusement stars et artistes émergents. En 2023, par exemple, Bonnie Banane et Flavien Berger rendaient hommage à Brigitte Fontaine et Areski Belkacem; tandis que les tubes de Mylène Farmer étaient célébrés par Juliette Armanet, Benjamin Biolay, Lala &ce, Bilal Hassani, etc. Cette année, c’est Dalida qui était reprise par Barbara Pravi, et François Hardy mise à l’honneur par Sage, lors d’un concert à l’auditorium avec Thomas Dutronc, Clara Luciani, Philippe Katerine, Voyou, November Ultra, etc.
De Luidji à Sheila
C’est aussi là que, le vendredi soir, se déroulait Qui va piano au solo, rassemblant une dizaine d’artistes, chantant chacun trois chansons, seulement accompagnés d’un piano à queue. Avec là aussi un casting osant le grand écart. De Camélia Jordana -démarrant ses trois morceaux avec un chant de résistance palestinien- à Piche, drag queen vue dans la saison 2 de Drag Race, et qui bluffera toute la salle avec son morceau Respire. En passant par la sensation Yamê ou les sœurs Ibeyi.
Au fond, c’est encore la rappeuse martiniquaise Méryl, également invitée, qui résume le mieux l’esprit, dans son morceau La Brume: “J’écoute du Cabrel, j’écoute du Niska.” Ou encore, dans ce cas-ci, le rappeur Luidji et… Sheila, 78 ans, icône yéyé, visiblement touchée de se retrouver là –“Après des années de traversée (sic), c’est une très belle récompense”, glisse-t-elle. Pour l’occasion, elle réussira la gageure d’enchaîner le tube disco Spacer, mais aussi le plus récent La Rumeur. “Mais que chancelle la flamme, jamais ne s’éteint la bougie/Mais que chancelle la flamme, jamais ne s’éteindra Annie”, chante-t-elle alors, forcément désarmante. Tous les goûts -et les émotions- sont dans l’Hyper Weekend.
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