Les Rencontres inattendues à Tournai: un festival qui met en scène les liens

Au centre de cette nouvelle édition des Rencontres Inattendues: le lien. © Véronique Pipers

Tournai s’apprête à vibrer au rythme des Inattendues. Trois jours durant, le festival installe un espace où la pensée n’est pas confinée sur scène et où la musique ne se contente pas d’orner le programme.

A la veille de leur 15e édition, Les Rencontres inattendues réaffirment leur singularité. Avec, au centre, le «lien»: nos attachements, nos appartenances, nos dépendances, des plus intimes aux plus collectives. L’enjeu n’est pas seulement d’en parler, mais d’en faire l’expérience, de sentir ce qui nous relie, de mesurer ce qui nous manque.

Le commissaire du festival, le philosophe Pascal Chabot, donne le ton: «On peut voir le festival comme une sorte de réseau vivant dans lequel chaque participant découvre de nouvelles idées, écoute des musiques qui le touchent, mais aussi participe et devient finalement l’acteur d’une expérience unique. Les liens sont clairement au centre de cette édition», explique-t-il. Sur le terrain, cela se traduit par une circulation constante entre idées, sons et gestes, au plus près du public. Chabot insiste sur la diversité des formats et des voix : «Ils sont déclinés dans toutes une série de conférences et débats –avec Sophie Galabru, Julia de Funès, Jean-Michel Longneaux, Pascale Seys, Ingrid von Wantoch Rekowski, Luc Dardenne, ou encore autour des travaux de Tobie Nathan-, mais aussi vécus dans des ateliers participatifs.»

Pascal Chabot, commissaire du festival: «quand deux personnes sont en relation, il y a en fait trois êtres: les deux personnes, et puis la relation elle-même, qui vit, qui agit, qui transforme. Les relations, c’est du vivant, pas de l’accessoire.»

Le parti pris est clair: ouvrir, impliquer, faire passerelle. L’idée est de ne pas seulement assister à une programmation, mais d’y prendre part. «Là, le public peut s’approprier des idées, composer de la musique, se balader en forêt ou discuter avec les intervenants. Notre rêve est que le festival agisse comme une thérapie de nos liens, souvent malmenés, distendus, voire horrifiants d’un point de vue géopolotique. Le temps d’un week-end, à la fois lucide et amical, ils peuvent s’éprouver d’une manière plus… inattendue!», poursuit le philosophe. Dans un paysage culturel saturé d’offres, Les Inattendues parient sur la présence et la qualité des échanges. Ni colloque, ni simple série de concerts: une œuvre de liens à l’échelle d’une ville, qui invite chacun à se laisser toucher, à contribuer, et à repartir avec une relation de plus, aux autres, aux idées, au monde.

Musique et philosophie

C’est la signature des Inattendues: la pensée n’est pas un préambule à la musique ni l’inverse. Les deux circulent, se répondent, dialoguent à dignité égale, se contredisent parfois, jusqu’à faire surgir ce troisième terme qu’on n’avait pas prévu: la relation elle-même, le lien. Au cœur du dispositif, une conviction: le lien n’est pas un thème mais plutôt un mode d’apparition du réel, un passage entre des voix qui, sans lui, resteraient parallèles.

Pascal Chabot nous le confirme sans détour: «La métaphore est belle, c’est vrai qu’en parlant de lien des images viennent directement en tête. Il y a une phrase que j’aime, du philosophe Gilbert Simondon: «La relation a valeur d’être». Elle signifie que quand deux personnes sont en relation, il y a en fait trois êtres: les deux personnes, et puis la relation elle-même, qui vit, qui agit, qui transforme. Les relations, c’est du vivant, pas de l’accessoire.»

Cette «valeur d’être» éclaire ce qui se joue sur scène: non pas deux disciplines juxtaposées, mais une entité vivante qui naît du frottement entre concepts et sons, timbres et idées, souffle et arguments. La précision vaut manifeste: «Il en va ainsi pour la relation entre philosophie et musique, qui est la marque de fabrique et l’originalité du festival.» Et la méthode suit: «Nous cherchons à les lier, à assortir des propos intellectuels avec des musiques qui les révèleront, ou à accompagner du jazz, de la musique classique, de la techno, d’idées qui pourront se répondre. Ainsi, ce sont des relations uniques entre philosophie et musique qui se créent. On ne peut jamais prévoir ce qu’elles donneront. Après tout, c’est du spectacle vivant, et il arrive que musiciens et philosophes ne se soient encore jamais rencontrés avant de jouer ensemble sur scène. Mais si on les a associés, c’est qu’on a pensé qu’il y avait entre eux un grand potentiel de résonance.»

Le pari est assumé: l’inouï plutôt que le déjà‑vu, l’imprévisible plutôt que la reproduction. Dans la salle, on n’assiste pas à une illustration sonore d’une idée ni à une glose savante sur un concert, mais à l’émergence d’une forme relationnelle, ce moment où l’écoute, partagée, devient elle aussi une manière de penser.

«Nous cherchons à les lier, à assortir des propos intellectuels avec des musiques qui les révèleront.»

Réapprendre l’attention

Ancré à Tournai, à une dizaine de kilomètres de la frontière française, le choix n’est pas arbitraire. Le festival déploie ses scènes et ses idées à l’échelle d’une ville qui devient, le temps d’un week-end, un territoire relationnel. Pascal Chabot le rappelle: «Les fondateurs du festival, Serge Hustache et Didier Platteau, l’ont en effet ancré dans cette ville très belle, parfois méconnue. Entre la place de l’Evêché, la Halle aux Draps, le nouvel Atrium (NDLR: remarquable salle, très contemporaine), les jardins, le Conservatoire ou encore la Maison de la Culture, la programmation permet aussi, pour celles et ceux qui connaissent moins la ville, de la découvrir.»

L’ambition déborde pourtant des remparts. Le festival veut faire circuler les publics et les idées à l’échelle d’un bassin transfrontalier, créer de nouvelles habitudes culturelles et un désir d’itinérance. «Des liens locaux se consolident, évidemment. Mais l’ambition est en effet de rayonner plus largement. Lille est toute proche et nous tâchons d’expliquer à nos voisins français que, oui, il y a un excellent festival, unique, de l’autre côté de la frontière… Certains néerlandophones nous visitent, mais trop peu. Ils représentent une minorité, cependant toujours plus nombreuse, des 6.000 entrées sur lesquelles nous pouvons compter chaque année.»

Reste à retisser la qualité du lien à l’ère des notifications et des flux continus. Ici, la proposition tient en un mot: présence. Sortir des automatismes numériques, réapprendre l’attention, retrouver l’altérité réelle des échanges. Au fond, Les Inattendues ne promettent pas davantage de connexions, elles proposent mieux: des liens qui comptent, vécus à hauteur d’oreille et de présence. Dans un monde saturé de signaux, l’essentiel revient à l’état d’évidence: on ne sort pas d’un festival avec plus de barres sur son écran… mais avec plus de liens (inattendus) dans sa vie.

Festival Rencontres inattendues, du 29 au 31 août, à Tournai

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