Les Gentse Feesten réinventent l’été en ville
Pendant dix jours, du 20 au 29 juillet, Gand va de nouveau se mettre sur la tête. Entre kermesse populaire et événements culturels pointus, les Gentse Feesten réinventent l’été en ville.
On rencontre Daan au printemps dernier. Le chanteur-musicien flamand basé à la capitale explique: « Bruxelles, j’y reste essentiellement pour mes enfants. Pour le mix de gens aussi: personne ne vient vraiment d’ici, c’est intéressant. Mais si ce n’était pas Bruxelles, je pense que je vivrais à Gand. C’est le petit Berlin de Belgique. C’est une ville très tolérante, très ouverte. Fort jeune aussi, très vivante, très… socialiste. Et tu peux prendre un vélo, ce qui à Bruxelles reste toujours un peu dangereux. Voilà, si je peux recommander une ville en Flandres, allez tous à Gand! » Il n’est pas le seul: en 2011, le Lonely Planet l’intégrait dans son top 10 des villes à visiter, le « secret le mieux gardé d’Europe »…
Party harder
La plus francophile des grandes cités flamandes -un indice parmi d’autres: Julien Clerc y passait encore récemment en concert, au Capitole- est aussi la plus hip: au Wasbar, il est possible de regarder tourner son linge en buvant un verre de cava ou en mangeant un bout de quiche bio. Dans la foulée, on recommandera encore le disquaire Music Mania, les cuberdons (dites neuzeke), le café du Vooruit, une visite du Smak ou l’art outsider exposé au Musée du Dr Guislain. Mais un élément en particulier a boosté l’image de la ville depuis plusieurs décennies: les fameuses Gentse Feesten. Fêtes gantoises au pluriel donc, puisqu’ici, quand il s’agit de faire la bamboule, on ne fait jamais les choses à moitié…
L’affaire est sérieuse. Elle dure dix jours, ni plus ni moins. Dix jours pendant lesquels la ville vit entièrement au rythme de la fête, avec tout ce que cela peut comporter d’enthousiasme, d’euphorie et d’ivresses. L’événement pourrait n’être qu’une grande kermesse estivale organisée par la Ville -ce qu’elle est d’ailleurs en partie. Les Gentse Feesten ont pris cependant au fil du temps une envergure qui attire jusqu’au-delà des frontières. Au cours des quatre dernières années, l’assistance aurait ainsi grimpé officiellement de 1,2 million à 1,7 million de spectateurs. De quoi donner des idées aux autres villes… A Lokeren, 40 000 habitants, la foire annuelle a été boostée avec un festival rock qui attire chaque année une affiche internationale de haut rang (au mois d’août, à côté des autoscooters, sont attendus Iggy Pop, Snoop Dogg, Alice Cooper, Primal Scream…). Ostende a ses Paulus Feesten, Anvers son Zomer… Même Bruxelles, avec ses Plaisirs d’été, a pris conscience de l’importance de proposer une offre culturello-festive conséquente pendant la période des grandes vacances.
La formule gantoise reste cependant assez unique, mélange d’authenticité et d’ouverture, de fête populaire et d’événements culturels haut de gamme. Elle s’est surtout admirablement greffée sur la mythologie de la ville, autant qu’elle l’a d’ailleurs nourrie. Chaque métropole a tendance à s’inventer un passé frondeur et rebelle. Dans le cas de Gand, ville où a été fondé le premier syndicat ouvrier de Belgique, la légende s’avère assez crédible.
Au départ, les Fêtes gantoises sont pourtant une manière de remettre un peu d’ordre. Au XIXe, chacune des huit paroisses de la ville avait son propre calendrier des festivités. Autant dire que les pompes ne cessaient jamais très longtemps de couler. Les patrons se plaignaient d’ailleurs volontiers de l’absentéisme récurrent du lundi matin. En 1843, le conseil communal décida donc de rassembler toutes les réjouissances en une seule grande kermesse, courant du mois de juillet.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la fête avait cependant largement perdu de son intérêt. Il faudra compter sur les hippies pour la relancer…
Fin des années 60, le mouvement contestataire a fait tache d’huile. A Amsterdam, les hippies et les provos bousculent le ronron local, occupent le parc Vondel et les églises abandonneés (le futur Paradiso). En Flandres, le courant baba se double d’une sorte de retour aux sources. Les jeunes chevelus redécouvrent la musique folklorique flamande et les chansonniers du Plat Pays -on parle volontiers de « kleinkunst ». Walter De Buck, un artiste plasticien de Gand (il reçoit le grand prix de sculpture de la ville en 1958), baigne là-dedans. Quand il revient d’un voyage en Inde, il se pique de donner sa propre version des fêtes gantoises: libertaire, folk, populaire, gouailleuse. Le 18 juillet 1970, place Sint-Jacobs, devant le stampcafé de Trefpunt, De Buck et le grand Wannes van de Velde lancent donc leur Gentse Feesten. Ce jour-là, la drache est nationale. Trempé, le public finit par rejoindre les musiciens sur scène pour se protéger de la pluie. La fête est définitivement lancée.
Au fil du temps, ce qui n’était qu’un acte de rébellion hippie, une reprise en mains par les citoyens de l’espace public, va prendre de l’ampleur et se professionnaliser. Au point que la Ville reprendra l’initiative dans les années 80, tout en gardant les basiques -comme la gratuité des principaux événements ou leur caractère gantois. A côté de la fête populaire va également venir se greffer une série d’événements culturels plus « pointus ». L’arrivée par exemple d’un festival international du théâtre de rue et d’un autre centré sur le théâtre de marionnettes donnera une dimension supplémentaire aux festivités. Aujourd’hui, deux autres rendez-vous internationaux ont été ajoutés à l’offre « officielle » des Gentse Feesten: les 10 Days Off (techno, électro, house…) et le Gent Jazz. Quant à Walter De Buck, 78 ans aujourd’hui, s’il a quitté la direction depuis longtemps, il sera toujours sur scène pour le grand concert d’ouverture du 20 juillet prochain…
Le bruit et l’odeur
An Pierlé sera également de la partie. Née à Anvers, cela fait quinze ans maintenant qu’elle habite à Gand. Au point d’avoir été nommée cette année compositrice officielle de la ville -« C’est une de mes compos qu’on entend chaque fois que le carillon du beffroi sonne la demi-heure! » Les Gentse Feesten, forcément, elle connaît. « On habite vraiment en bordure de la fête. La scène extérieure du festival Boomtown est installée au bout de la rue. On a directement accès aux backstages (rires). »
L’an dernier, An Pierlé a donné le dernier concert avec son groupe White Velvet à l’occasion des Gentse Feesten, sur la scène principale de la place Sint-Jacobs. Cette fois-ci, elle sera présente en solo au Boomtown, dans une petite salle intimiste du Handelsbeurs. « Les fêtes ont pris aujourd’hui des proportions gigantesques. Tout est beaucoup plus réglé du coup. Peter (De Bosschere, ndlr), mon batteur, pourrait vous en raconter de belles par exemple. On le surnomme le roi du Vlasmarkt: on le retrouvait souvent encore à jammer à 4 h du mat’, au milieu de la place. C’est un peu plus encadré aujourd’hui, mais il y a toujours une ambiance particulière. Une liberté qui correspond bien à l’esprit de la ville. Et puis le programme est très éclectique. C’est aussi ça qui est très gai dans les Gentse Feesten, qui proposent à la fois des choses très populaires et des événements plus à la marge. »
L’équilibre entre la grande kermesse et l’événement culturel semble cependant de plus en plus compliqué à trouver. Signe des temps, et/ou de l’ampleur prise par les festivités, certains habitants du centre menacent d’aller en justice. Le comité d’action baptisé Leefbaarheidskader Gentse Feesten ne supporte plus les débordements fort « breugheliens » occasionnés pendant les dix jours de bamboules. Pas question de demander la suppression de l’événement, mais bien son encadrement. « C’est vrai que cela cause pas mal de bruits, avoue An Pierlé. Et puis il y a l’odeur! C’est incroyable par endroits (rires): un mélange de vomi et de pisse… Le matin, quand je sors de chez moi, je dois parfois enjamber les gars bourrés, affalés par terre. Mais c’est drôle. Je trouve quand même ça chouette (sic). C’est pas mal que pendant dix jours, la ville puisse se laisser aller à une certaine anarchie. Tant que cela reste vibrant et positif, ce qui est le cas à Gand. »
BOÎTE À MUSIQUE
LES GENTSE FEESTEN MULTIPLIENT LES SCÈNES ET LES MUSIQUES. EXEMPLES AVEC TROIS ESSENTIELS.
BOOMTOWN:Festival indoor à petits prix, le Boomtown a conservé une partie de son affiche gratuite à l’extérieur. Le bon plan: les Danois d’Efterklang, le 25 juillet, sur le Kouter (avec Dez Mona juste avant).
10 DAYS OFF: Il était là avant tout le monde. Malgré la concurrence toujours plus féroce, le festival 10 Days Off tient son rang d’incontournable pour les amateurs de musiques électroniques éclairés, qui se retrouvent chaque année au Vooruit gantois pour danser jusqu’à l’aube. Le bon plan: la soirée du 19 juillet avec Matthew Dear et Jon Hopkins (16 euros).
GENT JAZZ: Ancien Blue Note festival, le Gent Jazz continue de tisser des liens entre jazz pur et déclinaisons plus ou moins proches -soul, hip hop, blues… Le bon plan: après avoir dû annuler sa venue l’an dernier pour raisons de santé, Bobby Womack prend sa revanche le 15 juillet prochain (42 euros).
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