Les excitants débuts de Pink Floyd remis au goût du jour
Un ultra-luxueux coffret et une double compilation, Pink Floyd The Early Years 1965-1972, retracent les excitants débuts du mythique groupe psych et prog britannique. Il était une fois…
Sobre, classe et confort. Noir, blanc, stylisé et rembourré. L’emballage à lui seul en jette. Comme ces petites boîtes dans lesquelles on glisse les bagues de fiançailles et de mariage, mais avec la taille d’un ordinateur portable des années 70, il recèle un précieux trésor. Plus de 20 heures de musique et d’images, souvent inédites. Vingt-sept disques (DVD et Blu-ray compris), cinq 45 tours, des films, des répliques d’affiches et de vieux tickets de concert et quinze versions de Careful With That Axe, Eugene… Pink Floyd The Early Years 1965-1972, aussi décliné en double compilation, est assurément le coffret ultime, mais pas le moins cher (environ 500 euros) de cette fin d’année. Avant d’être le groupe préféré des intellos, des faux babas cool et des vendeurs de chaînes hi-fi, de faire bander les comptables des maisons et des magasins de disques, bref avant The Dark Side of the Moon, écoulé à environ 50 millions d’exemplaires depuis sa sortie en 1973, Pink Floyd n’incarnait pas encore le rock frimeur et boursouflé, le plaisir coupable et le talent pompier. Il écrivait en Angleterre les lettres d’or du psychédélisme et tentait de se réinventer sans son cerveau trépané…
Jeu de mots construit sur les noms de deux bluesmen géorgiens, Pink Anderson et Floyd Council, dont Syd Barrett possède un 45 tours, Pink Floyd voit le jour en 1965. Il naît sur les cendres de différents projets (Sigma 6, T-Set, Screaming Abdabs) formés par Roger Waters, Nick Mason et Richard Wright alors étudiants en architecture à Cambridge, mais doit d’abord beaucoup à Barrett, ami d’enfance de Waters et grand admirateur des Beatles et des Stones, des Byrds et des Kinks. Les reprises des standards du rhythm and blues américain comme Louie Louie et Road Runner d’abord tirées en longueur, pimentées de feedback et de solos d’orgue (histoire de suivre la mode de l’acid rock en vogue sur la côte ouest des Etats-Unis) font vite faire place à une musique plus improvisée inspirée du jazz. Pink Floyd devient rapidement l’un des groupes les plus populaires du courant psychédélique britannique et, dès janvier 1967, inaugure le light show (véritable prouesse technique pour l’époque) qui en fait une attraction scénique que personne dans le petit milieu underground de Londres ne veut manquer.
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Le premier 45 tours paraît en avril et se trouve d’emblée boudé par les stations de radio. Personne ne veut entendre cette histoire tordue de travesti qui collectionne des sous-vêtements féminins volés sur des cordes à linge. Arnold Layne (certains sont convaincus qu’il existe vraiment et piquait les petites culottes des mères de Syd Barrett et de Roger Waters pendant leur enfance à Cambridge) se hisse pourtant à la vingtième place des charts. Il n’apparaît pas sur le premier album du Floyd. Quasi entièrement écrit par Syd, The Piper At the Gates of Dawn (« Le joueur de pipeau aux portes de l’aube ») emprunte son titre au chapitre 7 du Vent dans les saules (classique de la littérature pour gosses signé Kenneth Grahame) et mélange le psychédélisme à des airs pop et mélodiques. Il est enregistré épisodiquement entre février et juillet (un laps de temps très long pour l’époque) aux studios Abbey Road, avec Norman Smith, ancien ingé son des Beatles qui bossent dans le studio d’en face sur Sergent Pepper. The Piper… se promène entre comptines enfantines, acid rock surréaliste et envolées cosmiques. Barrett, qui use et abuse du LSD, est devenu complètement perché et son état ne fait qu’empirer. De plus en plus renfermé sur lui-même, il souffre d’hallucinations, de pertes de mémoire et de changements d’humeur. Il sabote les concerts en ne jouant qu’un seul accord, quand il ne reste pas tout bonnement muet. Pink Floyd engage David Gilmour pour le suppléer. Il s’imagine d’abord que Syd n’a plus besoin de jouer sur scène mais peut continuer d’écrire des chansons comme Brian Wilson avec les Beach Boys. Son comportement devenu imprévisible et ingérable, le divorce est consommé et, en 1968, le renvoi de Syd officialisé.
Ô capitaine, mon capitaine…
It Would Be Nice, le premier 45 tours enregistré sans Barrett, sort une semaine seulement après son départ. Le premier chapitre de l’histoire de Pink Floyd se referme. Le deuxième, intitulé A Saucerful of Secrets, glissera sur les pistes d’un space rock plus lourd et délayé. Changement, réinvention, schizophrénie: trois mots qui collent à merveille à l’histoire et à l’image de cette imposante et divagante embarcation. « À bord du Floyd, j’étais sous les ordres de capitaines exigeants et parfois intransigeants, résumait son batteur Nick Mason dans un livre, Inside Out, paru en 2004 au Royaume-Uni. Le premier fut le dingue capitaine Barrett. Ses yeux brillants d’histoire de trésor et de visions étranges ont failli nous mener à la catastrophe, jusqu’à ce que la mutinerie nous place sous le commandement du cruel Roger… Un peu plus tard, Roger allait s’infliger le supplice de la planche et se faire remplacer par le deuxième classe Gilmour. Je me suis maintenu au poste de cuisinier du navire. »
En 1969, le groupe, qui doit se réinventer sans son leader, compose la musique du film More de Barbet Schroeder et, en 1970, s’invite au nez et à la barbe de Jim Morrison sur la bande son du Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni. Le premier (inclus comme La Vallée, un autre Schroeder, dans The Early Years) suit les aventures d’un jeune Allemand à qui une Américaine fait découvrir les plaisirs et l’enfer de la drogue. Le deuxième (dont des chutes sonores qui n’ont pas plu au réalisateur italien sont elles aussi coffrées) raconte la rencontre d’une étudiante idéaliste et d’un militant plus radical dans la vallée de la Mort durant les troubles étudiants qui secouent les États-Unis dans les années 60… Pink Floyd est en phase avec son époque. La précède même.
Le cordon ombilical n’est pas encore complètement coupé. Gilmour, Wright et Waters aident Barrett, 25 ans et déjà complètement cramé, à enregistrer ses albums solo et à accoucher de The Madcap Laughs, petite merveille d’artisanat paranoïaque sur le fil du rasoir… Mais de son côté, sans son âme droguée et tourmentée, Pink Floyd perd en intérêt ce qu’il gagne en succès et en notoriété. C’est l’époque du virage progressif, des nouvelles prétentions artistiques. « Sur le moment, cela revenait à imaginer les Beatles sans Lennon, sans McCartney, expliquait l’ingénieur du son Peter Jenner dans les colonnes du Monde au début des années 2000. Grâce à Syd, Pink Floyd a établi le son psychédélique anglais vers 1966-1967 avec, dans une moindre mesure, Soft Machine. Des chansons longues, des improvisations, de l’écho. Le Floyd a eu une influence décisive sur la scène électronique jusqu’à aujourd’hui, y compris la dance, ce dont peu de gens sont conscients. Des groupes allemands aussi importants que Can ou Kraftwerk lui sont redevables.«
Longtemps chimère, l’idée d’une anthologie sur les débuts de Pink Floyd remonte à plus de 20 ans mais le résultat, bâti sur des enregistrements EMI, des archives de la BBC et la pile des inconnus, les « unknown des unknown » (des bandes retrouvées dans le garage de l’un et le grenier de l’autre), est à la hauteur de l’attente. The Early Years, dont le visuel renvoie à celui de son premier van (« on a passé beaucoup de temps à essayer de le faire démarrer »), commence avec la toute première session, rolling-stonienne, enregistrée par Pink Floyd avant de traverser le psychédélisme de Barrett, les improvisations cinématographiques, le flirt avec la danse classique, les suites orchestrales ambitieuses et le film expérimental (Live at Pompeii). Des reportages télé explorent les prémisses de l’underground psychédélique, des clips barjots succèdent à de vieilles interviews de Barrett et de Waters… On trouve même un petit film tourné à Bruxelles les 18 et 19 février 1968, avec l’Atomium en toile de fond, pour Tienerklanken, une émission de la télé publique flamande diffusée sur ce qui s’appelait alors la BRT et qui s’attaquait à la contre-culture et à des sujets controversés comme le sexe et la drogue. Puis aussi, surtout, une captation de leur concert de 1969 à Amougies et la version d’Interstellar Overdrive qu’ils y ont enregistrée avec Frank Zappa. Another brick in the wall…
Pink Floyd The Early Years 1965-1972, distribué par Warner. ****
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