Album - Une aventure de VV (Songspiel)
Artiste - Aksak Maboul
Genre - Contemporain
Label - Crammed Discs
Conte philosophico-poétique écrit par Véronique Vincent sur des musiques joliment éclectiques de Marc Hollander, le cinquième album d’Aksak Maboul propose une heure d’ambiances oniriques aventureuses. Lumières éteintes.
Une aventure de VV (Songspiel), c’est 63 minutes de parlando et de chant posés sur des tapisseries aux multiples inflexions musicales. Ambiance qui peut rappeler les mystères de Ravel et même les inquiétudes organiques de Brecht. La VV du titre, c’est bien Véronique Vincent. Que l’on rencontre dans la maison bruxelloise partagée avec Marc Hollander, compagnon de vie et d’aventures sonores. Parisienne ayant suivi son père, fonctionnaire européen, dans notre capitale en 1963, chanteuse des Tueurs de la Lune de Miel entre 1980 et 1985, elle incarne alors, avec sa blondeur cendrée, la sensation de la new pop belge, partageant les vocalises avec le leader de l’improbable machin, l’incroyable Yvon Vromman (1950-1989). Les Tueurs font la une du New Musical Express en 1982, via une photographie classieuse d’Anton Corbijn.
De son côté, toujours avec Marc Hollander, Aksak Maboul, groupe cousin des Tueurs, sort un premier album en 1977. Onze danses pour combattre la migraine paraît sur l’éphémère label Kamikaze de Marc Moulin. Une déconstruction de musiques -jazz, électronique, world, pop- pour en reformater d’autres, flottantes, libertaires, fouineuses. Un deuxième Maboul suit en 1980 et après un dernier concert, new-yorkais, en 1986, la formation prend un quart de siècle de quasi-break total. Le combo revient en déterrant des enregistrements eighties auxquels Véronique Vincent participe, mais qui ne sortiront qu’en 2014 pour un troisième album. Puis paraît le double Figures, en 2020.
Et voilà donc un numéro cinq, Une aventure de VV (Songspiel) qui tranche avec les précédents: “On a imaginé qu’il y aurait du parlé, du scandé, des personnages, une histoire, plutôt qu’une série de chansons, explique Véronique Vincent. Et donc, ça devenait un objet différent: Marc fait même allusion au genre spécifique des pièces radiophoniques. Marc a composé la musique en imaginant un ordre des morceaux. Et puis j’ai construit l’histoire d’un personnage qui part d’un endroit pour arriver à un autre, en passant par toutes sortes de contrées imaginaires et différentes. Un peu comme dans L’Enfant et les Sortilèges de Ravel.” VV s’incarne dans une femme qui veut se débarrasser des choses pesantes de son existence. “Dans notre précédent album Figures, le morceau Dramuscule raconte une dispute entre une femme, moi, et un homme joué par Steven Brown (Tuxedomoon). La femme finit par se casser par la fenêtre. Le présent disque est donc un clin d’œil à cette scène qui va amener le personnage à rencontrer des humains et des non-humains.”
Rêve éveillé
Le cœur des textes de VV est alimenté par les lectures de Véronique. Elle cite les ouvrages de Philippe Descola, anthropologue français qui s’est intéressé entre autres à la densité de la nature. Et puis, il y a L’homme qui rit de Victor Hugo: “J’ai pris une claque dans la figure. Ce livre n’est pas forcément connu mais il est très fort, incroyable. Le début est magistral et je me suis complètement laissée aller à l’histoire de cet enfant qui fuit. Quand je commence à lire quelque chose, j’ai envie de tout connaître de ce qui se passe autour. Et je suis tombée sur un poème d’André du Bouchet (1924-2001) que je ne connaissais pas du tout. Il parle de Victor Hugo de façon admirable. Il reprend cette notion de feuille noircie de mots qui évoque une terre noircie de mouches. D’où le truc dans le disque qui utilise la notion de tempête de lettres où tout sens est perdu.”
Du Bouchet est une référence qui revient dans l’air du temps, aujourd’hui redécouvert. Lorsque Véronique Vincent se rend chez son bouquiniste Images, à Saint-Gilles, des “jeunes” sont passés avant elle pour demander les œuvres de l’écrivain. L’album VV tient de l’onirisme, du rêve éveillé, davantage de sensations que de références savantes. C’est le même ressenti à l’écoute du parcours d’Aksak Maboul, qui amène naturellement dans la conversation la notion de surréalisme. Vincent: “Oui, le surréalisme est toujours présent dans un coin de ma tête et André Breton traverse l’espace, comme Perec ou Nerval. Ce dernier, dans ses Vers dorés est ici cité. Dans Zone blanche, mon personnage se promène dans le genre d’endroit où il n’y a pas de réseau GSM, mais pas que cela. Il s’agit aussi de zones qui ne sont pas forcément représentées sur les cartes, des endroits où il n’y a rien.”
Endroits à l’abandon, voués à une reconstruction qui n’arrive pas. L’album nouveau est ce genre d’entreprise qu’il vaut mieux écouter le soir, la nuit, peut-être même dans le noir complet. Histoire de se laisser gagner par le récit, sa narration, ses fantômes et drôles de créatures. Faune et flore musicales décalées: “L’objet fait avec Marc est tout à fait particulier. C’est pour ça qu’il a eu l’idée de mettre ce cinquième album d’Aksak Maboul dans la collection Crammed baptisée Made to Measure. On refera sans doute des chansons, mais là, on plonge dans une histoire qui est hors temps. Qui me rappelle au passage cette incroyable fiction de Hermann Hesse où un prisonnier parvient à s’échapper par le train qu’il a dessiné sur le mur de sa cellule.” L’imagination au pouvoir.
Notre critique d’Une aventure de VV (Songspiel) d’Aksak Maboul
Parfois, on dirait du Françoise Hardy version Pierre Boulez. Par exemple, dans La Tempête. L’un des quinze titres d’une pièce considérée par ses auteurs comme un récit global à écouter en continuité. Les salaisons musicales signées Hollander -mash up de contemporain, pop, jazz, électronique, impro, chœurs, carillons- accueillent les mots de Véronique Vincent. Elle parle, chante en français avec une cuillère d’anglais, s’imprègne de toute une littérature et de musique pour livrer au final quelque chose d’intemporel. L’album arrête le temps via des ambiances laiteuses/dissonantes (Miracle au jardin) et une allusion à des synthés partis pour le cosmos (Talking with the Birds) dans ce qui constitue déjà l’une des originalités discographiques de l’année.
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