On entend tellement parler de « légende » ces derniers temps, que le terme paraît galvaudé par ceux qui l’emploient. J’entendais récemment une animatrice de La Première parler du « légendaire » Benabar. Et dans le monde de la musique électronique, on est catalogué « légendaire » après deux maxis digitaux et trois DJ sets dans des clubs berlinois. Le « légendaire » machin, la « légendaire » truc. Ca me fait doucement marrer.
Les légendes ont la carrière longue, la peau dure, se réinventent, dépassent les épreuves du temps, une légende influence son environnement, le modifie, suscite des vocations. Ian Fraser « Lemmy » Kilmister est fait de ce bois-là. Une vie entière consacrée au rock’n’roll, 55 ans entre ses premiers groupes et ce funeste 28 décembre 2015.
L’album The Ace of Spades a été l’un de mes premiers disques avec Grandmaster Flash & The Furious Five, j’ai assisté à une bonne vingtaine de concerts de Motörhead depuis le début des années 90 quand mon défunt ami Thierry me proposa d’y aller. Ceux qui me connaissent savent que j’ai grandi autant avec le rock’n’roll qu’avec le hip hop, le jazz et la soul music, mon plus jeune fiston a « Lemmy » comme quatrième prénom. Si je n’achetais, ni n’écoutais pas les albums (mis à part le Live at Hammersmith), j’étais religieusement à l’église où prêchait ce groupe mythique qu’est Motörhead. Je connais très mal Hawkwind, et je me fous du quart comme du tiers des side-projects.
J’organise mes croyances d’une manière assez animiste, j’ai prié devant quelques merveilles de la Nature comme le Fish River Canyon en Namibie, en Cappadoce (Turquie), à la falaise de Bandiagara au Mali, à l’île à Vache en Haïti. Je pratique assez régulièrement le paganisme auditif dans ces cathédrales des temps modernes que sont les salles de concert (et les stades de football). On y est incantations, dévotion. On y est à genoux pour vénérer un objet transactionnel. Assister à un concert de Motörhead ressemblait fort à un rite païen même si, ces dernières années, le prêtre était nettement moins convaincant, moins présent, moins incantatoire, moins transcendantal.
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Reste qu’une carrière et une constance pareilles, autant de chansons parfaites (imagine The Ace of Spades en version bossa ou We Are the Road Crew en reggae, ça tiendrait la route), autant de kilomètres parcourus, autant de concerts donnés, ça force mon respect. Tout comme les bottes cousues main et d’avoir conduit un char de combat, les rouflaquettes, et ce poireau que tous ses fans lui enviaient. L’attitude du bonhomme, l’absence de compromis dans son art et son parcours de vie. Les hagiographes (dont moi) arriveront trop tard tant la légende Lemmy était déjà bien en place avant son décès, annoncé cette nuit. Comme le disait Dave Grohl dans le documentaire (voir ci-dessus) qui est consacré à St Lemmy, « pendant que de prétendues légendes sortent avec des top models, boivent du champagne et vivent la grande vie dans des hôtels de luxe, Lemmy, lui, est en train de boire un Jack & Coke, dans son tour bus en écrivant son prochain album « . Tout est dit. Murder One est orphelin. Moi aussi.
Repose en paix Ian Fraser « Lemmy » Kilmister.
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