Leimma et Apotome en accès libre: la prochaine révolution musicale couve-t-elle?
Selon Pitchfork et selon ce Crash Test S06E32, la prochaine révolution musicale, aidée par deux logiciels libres permettant une production électronique moins biaisée par la perception occidentale de ce qu’est l’architecture de la musique, serait peut-être bien en train de couver. En route vers le soundclash global et permanent?
Quand on en vient à écouter celles et ceux qui militent pour la décolonisation culturelle, je me permets de penser qu’on entend ces jours-ci beaucoup trop de foutaises. C’est mon ressenti, inutile de pinailler. Mon privilège blanc s’est quoi qu’il en soit senti bien titillé par un article publié fin février sur le site musical Pitchfork et titré « Decolonising Electronic Music starts with its Software » (Décoloniser la musique électronique commence par ses logiciels). C’est assez technique et n’étant pas moi-même musicien, je dois bien avouer n’avoir pas tout compris. Peu importe. Le problème soulevé dans le papier est aussi immense qu’évident: les logiciels qui servent à produire de la musique électronique, vendus à échelle mondiale, n’ont jamais tenu compte des musicalités régionales. Des microtonalités et de ces petits détails typiques aux cultures musicales non-occidentales. Les stations de travail telles que Ableton, FL Studio, Logic et Cubase ont toutes été créées en se basant sur les principes de la musique classique européenne, âgés de deux siècles. Autrement dit, l’architecture fondamentale de ces outils est biaisée. Leur utilisation a beau permettre une certaine flexibilité, voire une flexibilité certaine, il peut malgré tout rester compliqué pour des artistes non-occidentaux d’y « entrer » par exemple de ces microtonalités que l’on trouve dans la musique arabe. Créer avec ces logiciels une musique qui ne sonne pas occidentale en surface est totalement possible. Mais au niveau le plus fondamental de ces outils, subsiste bel et bien une certaine « rigidité » de musicien blanc, éventuellement imperceptible pour nos oreilles européennes conditionnées, mais assurément problématique pour des artistes baignant dans d’autres environnements culturels.
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La bonne nouvelle, c’est qu’il existe désormais deux solutions à ce problème et qu’en plus, elles sont gratuites. Fondateur de Nawa Recordings, un label de musique arabe « alternative », le musicien Khyam Allami, en collaboration avec la firme Counterpoint, vient en effet de lâcher dans la nature deux logiciels novateurs en accès libre, Leimma et Apotome. Je serais bien incapable de vous détailler en quoi cela consiste mais en gros, cela permet donc aux musiciens de composer sur une « ardoise vierge » sans être plus ou moins consciemment prisonniers d’une architecture restrictive et biaisée. D’après Pitchfork, ce n’est pas rien. Cela pourrait même considérablement changer la musique électronique à venir et peut-être même provoquer une véritable révolution musicale. Ah! Là, je me sens davantage dans mon élément, vu que je connais bien davantage le concept de « révolution musicale » que celui de « musique générative ». Le rock des années 50/60, l’électronique des années 80, le rap et le punk pour certains… Et plus grand-chose depuis. Bien entendu, le concept même de « révolution musicale » tient à la fois de la tarte à la crème journalistique, de l’enroule marketing éhontée et du sujet propice à la véritable foire d’empoigne. Pour moi, le punk par exemple, n’a rien de musicalement révolutionnaire: ce n’est qu’un retour à la furie originelle du rock and roll. L’esprit punk a libéré des âmes, lancé des vocations et révolutionné quelques aspects de la culture et de la société mais d’un strict point de vue musical, c’est juste un retour à la case départ, certainement pas un bon en avant. Je vois d’ici d’anciens keupons monter aux rideaux et se sentir profondément offensés après avoir lu ça mais ici aussi, inutile de pinailler: c’est mon ressenti.
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Je pense en effet personnellement que les révolutions musicales n’ont rien à voir avec les styles de musique soudainement plus appréciés ou socioculturellement plus déterminants que d’autres. Le punk est du rock, le rap descend du funk, la techno du disco. Strictement musicalement parlant, on ne peut donc pas parler de révolution. Plutôt d’évolution, d’involution même parfois. Pour moi, la véritable révolution musicale n’a lieu que lorsque change l’instrument-étendard. Le rock a été une révolution musicale parce que mettant en avant la guitare électrique et remplaçant (ou piquant au jazz et au blues) l’idée d’orchestre par des groupes d’une poignée de personnes. Le synthé et les logiciels ont provoqué une révolution musicale parce que rendant non seulement ringarde l’idée de musique basée sur la guitare électrique mais permettant aussi aux artistes de créer quelque chose pouvant concurrencer le travail de groupes en studio alors que totalement seuls, chez eux, à chipoter sur un petit ordinateur d’occasion. Or, cela fait des années que certains producteurs se plaignent non seulement de biais dans les logiciels mais aussi de limites criantes dans les banques de sons et les presets, ainsi que d’une certaine normalisation, d’une tendance à empêcher les « accidents heureux ». Ce qui m’a toujours semblé annoncer que la prochaine révolution musicale n’adviendrait que lorsque ces problèmes seraient justement en passe d’être résolus. Y est-on? Khyam Allami est-il un nouveau héros de l’histoire de la musique? Va-t-on voir proliférer des productions électroniques moins métronomiques, plus organiques? Leimma et Apotome sont-ils des logiciels qui vont accélérer une déferlante de musiques électroniques non-occidentales taillées pour les clubs, ringardisant donc à jamais la deep house bien blanche et bien BCBG? Franchement, ce monde d’après là me plairait bien, oui!
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