Album - Oh Dear
Artiste - Isolde Lasoen
Genre - Pop
Label - Distribué par Mayway Records/Sony Music
Dans son deuxième album, Oh Dear, Isolde Lasoen creuse les multiples ressources de son talent de chanteuse-batteuse-compositrice inspirée. Quelque part entre la narration Birkin-Gainsbourg et d’élégantes orchestrations organiques contemporaines. Wow.
“Toute l’équipe qui entoure Isolde Lasoen, que ce soit l’ingé son ou les cordes, est excellente. Et possède ce côté belge qui consiste à assumer un vrai travail musical sans trop se prendre au sérieux. Ce qui définit aussi Isolde, son talent multiple. Appliqué mais pas au sens scolaire. Je la connais depuis une vingtaine d’années et lorsqu’elle m’a demandé de venir poser ma voix sur un morceau du nouveau disque, j’ai pris le train pour la Belgique… Et puis, dans le jeu d’Isolde, il y a quelque chose qui tient aussi du jazz. Peut-être parce que chez vous, les enfants apprennent aussi la musique par les fanfares.” Le duettiste n’est autre que Bertrand Burgalat, invité sur Douce mélancolie, ballade diaphane et limpide qui a déjà trouvé le chemin des radios en France. Tout comme l’autre extrait d’Oh Dear, Bed & Breakfast, un titre qui rend hommage à Toots Thielemans via un sifflement sixties rappelant la légende jazz belge, en plus d’orchestrations descendant des grands arrangeurs et compositeurs que furent Henry Mancini ou Ennio Morricone.
Isolde reprend ici la route musicale ouverte en 2017 avec son premier solo, Cartes postales. Mais elle l’élargit, la nourrit de davantage de luxuriance: “Depuis lors, je me suis libérée, notamment par une reprise au printemps 2021 de The Four Horsemen d’Aphrodite’s Child(1). Un morceau psychédélique qui malgré son style, sa durée proche des 5 minutes, a été plébiscité par les radios. Ce qui m’a donné confiance en moi. Et la possibilité de ne plus m’occuper de la question du format radiophonique.” Confiance tardive? Isolde a déjà pourtant un CV bien garni: née à Bruges le 31 décembre 1979, éduquée dans le fruit cuivré des fanfares, étudiante en jazz au conservatoire de Gand, elle incarne une multi-percussionniste dont le plumage vaut le ramage. Celle qui est aussi fine vibraphoniste noue dès 2002 un pacte musical avec Daan, qui prospère de disques en centaines de concerts où l’alchimie sans peine met volontiers Isolde au chant à côté du crooner louvaniste. Dans ce parcours déjà riche, lorsque les biscuits Delacre utilisent, en 2017, son titre francophone Provocateur aux inflexions soul gainsbourgiennes, Isolde touche un autre public. Celui de la pub et peut-être même des amateurs de sucreries. De la pop sucrée-salée où elle cite d’ailleurs dans le texte Serge Gainsbourg. Aussi une façon de regagner l’argent perso investi dans la production de ses disques soignés, “dans de bons studios avec de bons producteurs”.
Volupté
En période Covid, les activités d’Isolde ne s’arrêtent pas totalement. Elle présente en 2021 sur Canvas le documentaire She’s Lost in Music, où six jeunes musiciennes flamandes et bruxelloises -dont Sylvie Kreusch et Coely- racontent leur parcours. Et posent des questions “à l’ancienne”, notamment sur la pertinence du management et des réseaux sociaux. Fin 2020, sous incubation du virus, on a déjà retrouvé Isolde en co-host des Toots-sessies de la VRT, qui présentent des groupes en live dans un studio de Reyers. “Disons que c’était hors de ma zone de confort mais vu le Covid, c’était bienvenu, comme ma participation à She’s Lost in Music. On sait que 90% des musiciens interviewés dans les docs habituels, sont des hommes…”
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Tout cela donne du poids et une visibilité supplémentaire à l’actuel retour discographique d’Isolde. Qui a commencé son album numéro 2 simplement: un laptop qui avale des lignes de basse et quelques rythmes, plus son vibraphone, éternel frère sonore, sans oublier des couches de voix. De cette démo partira le désir de “vrais instruments enregistrés dans de vrais studios, qui doivent sonner grand”. “Parce que c’est moi, parce que je ne peux pas faire de compromis.” Les intentions se doublent d’une volupté évidente et de références assumées et digérées. Oh Dear réussit la jonction entre les B.O. sixties et seventies popularisées par les cinémas français ou italiens et une forme de mélancolie pop très actuelle. Avec Bertrand Burgalat et l’autre duo performant, Batterie, avec le frère de sang, Daan. Tout cela pourrait aussi bénéficier d’un ricochet en France: le potentiel succès hexagonal reviendrait donner du grain à moudre au marché belge. Parce qu’elle le mérite.
(1) Extrait du double concept album 666, paru en 1972, de ce groupe grec composé entre autres de Demis Roussos et Vangelis, avant leurs succès solo.
Isolde Lasoen
Oh Dear ****
Distribué par Mayway Records/Sony Music.
L’ambition donne -parfois- des résultats forts. Isolde Lasoen a eu pleinement raison de travailler avec le producteur Tobie Speleman: “Je crois qu’il va devenir très grand. Il vient d’ailleurs de réaliser le prochain disque d’Hooverphonic”. Pas sûr que ce dernier atteigne le niveau organique, sensitif, emballeur, de ces dix titres échappés de la cuisse de John Barry, épicés d’intonations birkinesques, saupoudrés de gainsbourgisme. Mais qui au final sonnent comme du Isolde Lasoen. Par la voix, de haute qualité, et l’univers d’une Flamande qui prend à bras-le-corps la langue française. Pas à la manière d’Arno et de feu son accent sablé mer du Nord, mais juste avec de minces et sensuelles aspérités linguistiques. Pas si loin d’un exotisme possiblement fantasmé. Il suffit d’entendre le délire acide de Tigra, le jamesbondesque Something French ou le psyché Capricorn Avenue pour mesurer que, oui, c’est du serious shit.
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