Le sideman Nicolas Fiszman sort de l’ombre pour un premier album solo: « Ça n’a jamais fait partie de mes intentions »
Sideman de studio et/ou de scène pour Bashung, Biolay, Cabrel ou Sting, le bassiste/guitariste bruxellois Nicolas Fiszman sort un premier et juteux album solo. l’Occasion aussi de (re)parler du métier de “salarié musical” en questionnement générationnel.
“Ça n’a jamais fait partie de mes intentions de faire un album solo, en mon nom, déclare Nicolas Fiszman. Même si ça fait un bout de temps que les gens me posent la question. Il a fallu qu’à deux reprises on me propose une participation perso dans des festivals belges pour que l’idée fasse son chemin. D’autant que le Covid a fait foirer toute tentative concrète d’amener en scène ma propre musique.” Dans sa maison uccloise inondée d’objets africains -Nicolas y partage la vie et quatre enfants avec Cécilia Kankonda (1)-, l’artiste trace un sacré parcours. Qui aboutit ces semaines-ci à ce premier album solo, rond et cristallin, nourri de jazz universel. Peut-être la résultante de travailler d’abord “au service desautres”, que ce soit à la basse pour une tournée de 140 dates en treize mois avec Cabrel, pour débarquer sur deux albums de Bashung ou, fin avril, plier bagage pendant un bon mois. Notamment pour une tournée avec Dominic Miller, guitariste attitré de Sting depuis 30 ans. Et un retour à la maison avec un prestigieux concert prévu dans la grande salle de Flagey le 27 mai.
Il est d’ailleurs beaucoup question de temps et de timing dans l’histoire de Nicolas Fiszman, comme lorsqu’en 2019, il tient la basse pendant un mois pour une quinzaine de concerts de Sting, blessé à la main -chute de douche…- et incapable de jouer de la quatre cordes. “Ils m’ont appelé la veille du concert à Bercy, à 23 heures. J’étais à deux doigts d’aller me coucher (sourire). J’ai appris le répertoire via un MP3 enregistré au Japon deux jours auparavant. La tournée comportait surtout de gros hits. J’ai peu dormi parce que je devais aussi prévoir le planning de mes quatre enfants, leur mère étant absente. J’ai préparé une grosse marmite de bolo tout en écoutant le MP3. C’est aussi pour ça qu’on fait ce métier: le challenge. J’avais déjà connu un peu la même chose avec Joe Zawinul: souci avec le bassiste, pour le concert du soir même à Prague. J’étais à la maison communale à gérer une histoire de cartes d’identité lorsqu’on m’a proposé le gig. Mais bon, je suis arrivé à temps à Prague.”
La pelote de laine déroule ses surprises, hasards et expériences au fil des décennies. La première pour Nicolas Fiszman (né en 1964) tient sans doute à sa famille bruxelloise, d’origine juive polonaise, où les enregistrements des Beatles constituent la plus matricielle des madeleines musicales. Il pratique la guitare acoustique dès l’âge de 6 ans, comme participant d’un mouvement de jeunesse où le premier morceau joué sera le Lay, Lady, Lay de Dylan. Nicolas devient autodidacte tentant de répliquer les accords des Fab Four, admirant l’autre mélodiste suprême qu’est Brassens, et passant par un album de Bach pour l’orgue “assez austère, mais mélodieux”… “Mon père était graphiste et réalisait des pochettes de disques. Un jour, il se trouve en réunion avec Marc Moulin pour discuter du lay-out du nouveau 33 tours de Placebo. Et Philip Catherine est là. Mon père lui a demandé s’il voulait bien écouter mon jeu, histoire d’avoir l’avis d’un guitariste professionnel et largement reconnu.”
De Catherine à Bashung et Biolay
Le professionnel Catherine ne se contente pas de donner un avis, il propose déjà quelques cours au petit Nicolas. À l’âge de 12 ans, celui-ci bénéficie d’un article dans le magazine belge En attendant, faisant ses louanges de doué précoce. “J’imagine que Catherine s’est dit que j’avais quelque chose… J’y allais quand il avait le temps, le mercredi après l’école. Il avait déjà une carrière, notamment avec Larry Coryell. Ce n’était pas vraiment une relation entre prof et élève. On jouait ensemble, il m’apprenait ses morceaux. Il me montrait des plans d’exercice. Très jeune, j’avais envie de lui ressembler, de façonner mon jeu en le recopiant. Très vite, il m’a fait monter sur scène.” D’où l’album duo Fiszman/Catherine, live à Berlin 1982. Nicolas a alors 17-18 ans. Il a arrêté l’école, le lycée d’Ixelles, juste avant l’âge légal, 16 ans. Il explique que la basse est arrivée lors d’une séance, en 1979, pour le Visco Video des Bowling Balls, sorti l’année suivante. Un groupe bruxellois où l’on retrouve Frédéric Jannin et feu Bert Bertrand (suicidé en 1983). “J’ai toujours préféré le rôle de bassiste que de guitariste. Davantage dans l’ombre mais qui contrôle pas mal ce qui se passe autour de lui… La déferlante Pastorius a été déterminante (2). Je me sens totalement bien avec cet instrument, y compris dans la relation avec un batteur.”
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Fiszman commence à travailler avec Maurane et puis avec une copine de cette dernière, Ann Gaytan, pour laquelle il remplace en dernière minute de concert le bassiste Vincent Kenis. Entre cette époque et l’actuelle, Nicolas va jouer, par exemple, sur les disques de Bashung. Un titre d’Osez Joséphine et plusieurs de Chatterton, à la basse mais aussi à la guitare électrique. Outre Bashung, il joue pour Cabrel, Zazie, Angélique Kidjo et beaucoup d’autres. “Depuis 2003 et l’album Négatif, Benjamin Biolay m’a offert un vaste terrain de jeu. Dans un monde où être session man incarne aujourd’hui, une tout autre profession: y compris en pop ou chanson, on peut boucler les sections rythmiques de tout un album en deux ou trois jours. Ce métier a totalement changé.”
Next session men?
Jusqu’au triomphe du home studio, être musicien reconnu paie. Nicolas Fiszman parle de 750 euros la journée, il y a trois décennies, pour les collaborations Bashung. “Je pense que le métier de musicien de studio est, aujourd’hui, en perdition. Même s’il est assez noble. Je fais beaucoup moins de sessions. Ça a changé depuis une dizaine d’années et je ne pense pas qu’une jeune génération prenne le relais. C’est dommage parce que scène et studio, sans mettre de hiérarchie ou d’opposition, demandent des capacités différentes…” Fiszman atteste du monde qui change. Des Damso ou Stromae -juste des exemples- faisant appel aux proches alors qu’avant l’avènement du home studio, il est habituel qu’un studio (tradi) ou un producteur engagent des équipes familières. En Belgique, l’ICP ou en France, des noms circulent sur des tonnes d’albums, comme celui du bassiste Laurent Vernerey: “Quand il n’est pas libre, on a peut-être tendance à m’appeler moi, sans aucune prétention (sourire). Reste bien sûr le live, que je continue à pratiquer. J’ai refusé des choses comme de tourner avec Hallyday. J’avais été en studio, mais il y avait un peu trop de barouf autour de lui pour partir une année sur la route dans ces conditions.”
Ô hasard, l’un des premiers à avoir écouté l’album solo de Nicolas Fiszman est Guillaume Vierset. Guitariste né à Huy en 1987, ce dernier mène à la fois ses propres projets solos -le premier album d’Edges est sorti en mars (chez Igloo)- et joue à la fois pour Typh Barrow et Sharko. Possible point commun entre les deux? Passer dans le sas des session men. Guillaume: “J’ai fait toutes les sessions pour les albums de Typh et je travaille avec Sharko, en scène et ailleurs. Il y a à la fois une disparition de l’ancienne génération de session men, mais aussi l’impression qu’il va y avoir un retour aux cordes, aux guitares. On a sans doute un petit peu marre de ces mêmes sons de claviers ou de batteries. Où tout est devenu quand même pas mal aseptisé, où tout se ressemble, devient éphémère. C’est devenu difficile d’entendre une production qui sorte un peu du lot. Parfois, j’ai l’impression que des gens plus jeunes que moi, nourris à Pro Tools et Logic, ne sont peut-être pas capables d’être musicien de session. Ceux qui réagissent dans l’immédiat, sans être sur ordinateur. Je ne vais citer aucun nom, mais je vois certains musiciens qui ne peuvent pas sortir de leur routine supportée par le numérique. Je ne suis pas très effrayé, quand ça joue, ça joue. En scène, c’est important d’avoir de l’espace, de l’improvisation. Rien ne peut remplacer la jouissance de se produire en live, celle d’avoir tellement d’adrénaline et de terminer le concert trempé. On joue vraiment, sans les morts et les blessés, en dehors des machines.” La rédemption et l’avenir du session man de studio passera-t-elle donc par la scène?
En concert le 27/05 au Studio 4 à Flagey, Bruxelles.
(1) Artiste belgo-congolaise ayant fait partie des premières versions de Zap Mama, elle est professeure à l’IAD et mène une carrière d’actrice prolifique, particulièrement au théâtre.
(2) Jaco Pastorius (1951-1987), bassiste notamment de Weather Report, sorte de Jimi Hendrix de l’instru.
Nicolas Fiszman
“J’avais envie d’un premier album instrumental. Et je ne voulais pas faire de la basse, mais bien de la guitare. Tout en ne voulant pas réaliser un “album de guitariste”. Il y a peu de solos, ils sont assez courts, y compris celui de Philip Catherine.” Le premier morceau, Sesiliya, est une musique à l’origine écrite pour le quatrième album de la chanteuse burundaise établie à Bruxelles Khadja Nin, son ex-compagne. Et comme les autres, elle s’inscrit dans une tradition jazz, nourrie d’autres parfums, sans obligation de genre. Pour un disque aéré sur de larges avenues instrumentales, poussé au meilleur par huit accompagnateurs, où l’on pointe le buggle brumeux d’Olivier Bodson ou encore l’ingénieux piano d’Arnould Massart. Sans négliger les fines interventions six cordes de Nicolas lui-même, qui dans Broken Light, Freddy, Z & Z ou Mau (dédié à Maurane) se trouve en état de grâce. À l’unisson d’un enregistrement qui caresse plusieurs mondes.
Nicolas Fiszman Distribué par Xango Music.****Philip Catherine & Nicolas Fiszman
En registrée à Berlin-Est en 1982, cette archive exhume huit titres balancés entre le maître Catherine et l’élève Fiszman. Ne s’efface pas seulement le mur qui existe alors entre les deux Allemagnes, mais aussi la part déterminée de chacun, dans un duo de guitares auxquelles Nicolas ajoute de la basse électrique. Le kid, qui n’a pas encore 18 ans, se fond complètement dans ce duel complice et lumineux, décliné en multiples tempos. On y retrouve la patte caractéristique de Catherine (End of August) et une frénésie contagieuse entre les deux talents. Notamment dans les 10 minutes de l’éblouissant Petit Nicolas-Grand Nicolas, où l’intensité inventive rappelle le génie de Paco De Lucía. Flamenco en moins.
Live at the Berlin Jazzbühne Festival 1982 Distribué par New Arts International.****Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici