Musique | Le retour en force des Pixies: “Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes vrais”

Frank Black, ses lunettes noires, et ses Pixies: "Je suis un surréaiste amateur". © Travis Shinn
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Les Pixies ressuscités sortent avec The Night the Zombies Came leur meilleur album depuis le début des années 90. Le patron au rapport.

Attablé en terrasse, au soleil, il est extrêmement souriant, affable et bavard. Avant de fêter en concert les 30 ans de son album solo Teenager of the Year (le 4 février au Trianon parisien et le 6 février au Palladium londonien) puis ni plus ni moins que ses 60 balais (il est né le 6 avril 1965), Charles Michael Kittridge Thompson IV, plus connu sous le nom de Frank Black ou encore de Black Francis, décortique le dixième album de ses Pixies (le cinquième depuis leur reformation), explique son rapport au cinéma et questionne sa place dans l’Histoire du rock. Here comes your man…

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Des zombies, des poulets décapités… Le pitch du nouveau Pixies ressemble à un album d’Alice Cooper ou de Marilyn Manson. C’était quoi l’idée?

Souvent quand je fais un disque, il n’a pas particulièrement de thème. Mais quand tu causes de musique, tu parles de ce truc invisible. Cette chose que tu ne peux pas toucher, sentir, voir ou goûter. Tout ce que tu peux faire, c’est l’entendre. Et toute discussion, toute verbalisation autour de la musique devient un peu abstraite, ancrée dans les métaphores. Que tu causes avec des producteurs, des Japonais ou qui que ce soit d’autre, c’est toujours très imagé. Souvent, quand tu bosses sur un album, un mot, une phrase, une idée revient. Ce n’est pas un cahier des charges. Ce n’est même pas une règle. Mais quand tu vois qu’il est là plusieurs fois, tu te dis que c’est intéressant. Et tu commences à lui accorder une valeur, une signification, disons, psychologique. Tu ne forces pas les choses. Mais tu leur permets d’être dans la pièce. Et tu réalises qu’elles sont aussi ici et là. Pour ce disque, ça a été le terme zombie. Et je m’en suis rendu compte très tôt. Les gens aujourd’hui baignent dans le streaming. Ils n’écoutent plus vraiment de CD ou de vinyles. Ils ont été détruits, tués par l’industrie. Mais ils sont toujours là. Je ne sais pas dire pourquoi. Même ceux qui n’ont pas grandi avec le vinyle en ont cette conception romantique. L’album, c’est un instantané. C’est le résumé d’une saison. Qu’est ce qu’il s’est passé dans la vie personnelle et intime de l’artiste quand il a fabriqué ce disque? Dites-moi. Dites-nous. Après, ce n’est pas un opéra rock. J’aime certaines chansons sur Tommy et Quadrophenia (les deux opéras-rock de The Who, NDLR) mais je ne crois pas en l’aspect opéra du truc. Ça reste Buddy Holly. Ça reste des pop songs de deux minutes.

Tellement de menaces pèsent pour l’instant sur le monde. De quoi ces zombies seraient-ils une métaphore?

Je ne sais pas. Fais ton choix. On peut s’aventurer sur tellement de terrains. Le plus évident serait évidemment celui de la pandémie. C’est encore très frais dans nos esprits. Même les autorités avaient oublié qu’une pandémie à l’échelle mondiale pouvait se produire, qu’on expérimente tous les mêmes choses, qu’on vit tous dans le même village. Je pense qu’on peut déjà partir de là. Mais il y a plein d’autres manières d’explorer ces idées. Je n’essaie pas de le faire moi-même. J’essais juste de le permettre. Mais je n’insinue rien. Je n’ai pas d’agenda. Je ne prends pas de drogues mais je travaille dans une espèce d’urgence catatonique. Ça va très vite la manière dont les idées se connectent quand j’écris des paroles. C’est très maniaque. Et ça fait complètement sens pour moi. Puis, quand on essaie de fabriquer le disque, je tente de tracer les lignes pour relier tous ces points mais je ne me souviens plus du chemin. Cet état d’esprit n’est plus là. Il s’est envolé. Parfois avec les années, avec le temps qui passe, je ne sais même plus de quoi mes chansons parlent.

© Liam Maxwell

Pourquoi l’horreur et la science-fiction t’intéressent tant?

(Il réfléchit longuement) Je pense que c’est lié à Dalí, au surréalisme. Ces choses que tu apprends quand tu es adolescent ou en tout cas encore un jeune homme. Ils ont exercé une influence considérable sur la culture en général. Je suppose que je ne peux pas me considérer comme un vrai surréaliste, mais j’ai tellement de respect pour ces formes d’expression artistiques que je leur laisse l’occasion de m’influencer. La science-fiction t’emmène forcément en des lieux surréalistes. Des endroits qui ne sont pas réels, où des choses étranges se produisent. Si pas dans le monde physique, dans un monde mental, spirituel. C’est automatiquement quelque chose d’autre. Ce n’est pas le quotidien. Ca vient de tes rêves. C’est ce que les surréalistes cherchaient vraiment. Ce qui nous trottait dans la tête. Je ne sais pas comment exprimer ce genre d’idées musicalement. Mais je peux avec mes textes. Disons que je suis un surréaliste amateur. J’écoute beaucoup le compositeur belge André Souris. Je suis obsédé par sa musique. Je ne sais pas pourquoi. Il n’a pas écrit énormément de choses et il n’y a pas vraiment d’enregistrement de lui. Un de ses titres, La Java (il se met à chanter), a été un hit à Paris dans les années 1930. Souris se considérait, du moins était considéré, comme faisant partie du surréalisme belge. Je ne sais pas pourquoi mais il est surréaliste. Et Beethoven ne l’est pas. Ce sont des notes, du son, mais il y a quelque chose dans sa musique que je trouve incroyablement spécial et qui m’enchante. C’est peut-être parce que je suis un peu surréaliste moi aussi. Comme Serge Gainsbourg. Je ne sais pas si j’en suis un vrai, si j’en suis un dans leurs critères de l’époque. Je suis sûr qu’ils m’auraient mis un coup de pied au cul. Mais j’aime cette idée que je suis un homme moderne du milieu du siècle dernier.

Le disque peut avoir des côtés cinématographiques. Tu es encore fort inspiré par le cinéma?

Plus autant que j’ai pu l’être. Quand on me parle de sources d’inspiration, je réponds souvent que plus rien de récent ne m’inspire. Quand j’étais très jeune, avant même que je sois adolescent, lorsque j’ai entendu les Beatles, Bob Dylan, tous ces disques de rock’n’roll dont je suis tombé amoureux, ils ont été importants pour moi. Mais une fois que j’étais lancé, j’étais lancé… Je n’ai pas besoin de davantage d’inspiration. Je suis toujours inspiré. Le processus m’inspire. Je rends les producteurs dingues. Je peux arriver à une session d’enregistrement sans même une chanson. Parce que j’aime l’écriture automatique. Je ne m’inquiète pas. Je fais. J’aime vraiment cette manière de fonctionner. Même si les résultats sont parfois mitigés. La chose la plus chouette et amusante que j’ai faite dans mon existence, ça a été de fonder les Pixies et d’enregistrer un disque. Le cinéma m’a donné des idées il y a longtemps. Mais ces mêmes films et ces mêmes notions continuent de me nourrir. Je n’ai pas besoin d’aller voir davantage de films. Je vais encore au cinéma, mais je ne pense pas que les films m’inspirent comme ils ont pu le faire quand les Pixies ont commencé. À l’époque, j’avais beaucoup de temps. Je n’avais pas de famille, pas de boulot régulier, pas de responsabilités. Rien de tout ça. Alors, j’allais au cinéma. J’y allais tous les jours. J’enchaînais les films. Ma fille est maintenant à l’université à Boston. Et elle va tous les soirs dans le cinéma où j’avais l’habitude d’aller.

© Liam Maxwell

Les liens semblent indéfectibles entre les Pixies et le 7e art. On pourrait parler de Fight Club et de Where Is My Mind. Mais The Vegas Suite qui ferme votre nouvel album est basé sur Que sera, sera, à jamais lié à Alfred Hitchcock et The Man Who Knew Too Much… Avec quel réalisateur aimerais-tu travailler?

David Lynch a exercé une grande influence sur moi quand j’étais jeune. À un moment de notre histoire où nous étions managés par un dur à cuire, on avait entendu que Lynch -je ne sais plus sur quel film il bossait- utilisait une chanson de notre album Bossanova comme musique temporaire d’une scène. Son équipe nous a contactés pour nous demander si elle pouvait l’utiliser. Mais elle ne proposait pas d’argent. Elle voulait s’en servir gratuitement. Notre manager a répondu: « si vous ne voulez pas nous filer de fric, allez vous faire foutre. Vous n’aurez pas la chanson« . Du coup, ils ont utilisé autre chose. C’était une erreur. Parce que j’aurais dû savoir. Maintenant je me dis: merde. C’était David Lynch putain. J’aurais dû accepter. On aurait été dans le film. On n’avait pas besoin de cet argent. Si je pouvais juste remonter dans le temps, je serais content.

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Comment expliques-tu que les Pixies parlent toujours autant aux jeunes?

Je n’ai pas de bonne explication mais j’y ai évidemment réfléchi. Je ne sais pas si je détiens la vérité, mais ma meilleure supputation, c’est que nous, les Pixies, pour le meilleur et pour le pire, nous sommes vrais. Nous n’essayons pas d’être ce que nous ne sommes pas. On est très honnêtes dans notre expression artistique. Il n’y a pas le moindre compromis. On a tous notre définition de la musique, de la musique populaire, du rock, de ce qu’est un groupe, de ce qu’est un album. Mais il n’y a pas de compromis. Même quand on fait un truc plus pop et plus produit, ça ne va jamais à l’encontre de ce en quoi l’on croit. On croit en tout ce qu’on fait. On croit en le DIY. On n’est pas un groupe punk, mais on aime le punk. On n’est pas un groupe de heavy metal, mais on aime le heavy metal. On n’est pas un groupe de rhythm and blues, mais on aime le rhythm and blues. Notre esthétique est intrinsèquement liée à notre authenticité. On ne cherche pas à plaire au public. Ce genre de musique basée sur la crainte du rejet. Certaines parties de nous essaient de lui faire de l’œil mais pas aux dépens de l’art. Nous ne faisons pas de compromis. La pop fait partie de notre esthétique. Mais comme le anti. L’anti pop, la dissonance, l’opposition, la déconstruction… Le minimalisme aussi fait souvent partie de notre monde. Mais je pense qu’à la fin, on est très vrais. Et que beaucoup de gens se retrouvent en nous. Genre: si je fondais un groupe, je sonnerais peut-être un peu comme eux… Il y a beaucoup d’imperfections et de folie dans notre univers. La plupart des groupes ne se le permettraient pas. Ils ne se permettraient pas d’être aussi tarés, aussi petits, aussi bizarres. Je ne prétends pas que tout ce que je fais est génial. Je dis juste qu’on va où on veut aller. La La Love You (il la chante) est presque une marque de fabrique. On se moque de la pop. Ce n’est pas sérieux. Même si ça en a l’air parfois. C’est les deux. Et c’est juste parce qu’on est nous. Au plus près tu es de ta propre identité, au plus le public s’y retrouvera.

Une autre explication, c’est que beaucoup de gosses entendent votre musique dans ce qu’ils écoutent aujourd’hui?

Je comprends ce point de vue, mais je ne sais pas si je peux m’y ranger. Je me sentirais bien trop coupable. Parce que moi-même je repose sur les choses qui sont venues avant moi. Sans Pixies pas de Nirvana… Euh, mouais… Peut-être que c’est vrai. Mais sans Violent Femmes pas de Pixies. Sans Hüsker Dü pas de Pixies… Sans les Beatles, rien de rien… Je ne peux pas m’accorder tous les crédits de ce que je suis. C’est un processus.

Es-tu encore en contact avec Kim Deal (qui a quitté le groupe en 2013)? Son album solo sort d’ici quelques semaines.

C’est une coïncidence et je n’ai rien entendu encore. Mais j’ai pas mal roulé dans des voitures de location à travers l’Europe et les États-Unis et pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvé à écouter The Breeders et The Amps. J’ai bien aimé. On n’est plus en contact, non. Mon fils a été la voir en concert il y a deux ans. Il a été en backstage lui dire bonjour. Il n’y a pas de problèmes entre nous. Je lui souhaite beaucoup de succès avec cet album. Je suis content qu’elle revienne avec un disque. Je savais qu’elle bossait sur un album depuis longtemps. Mais je ne savais pas quand il allait sortir et si c’était un disque des Breeders.

Le vôtre. Le sien. Il y a aussi le retour de Jesus Lizard et The Cure. On pourrait presque être en 1994. Ca dit quoi de l’industrie du disque?

Tu es sans doute mieux placé que moi pour répondre à cette question. Peut-être qu’Internet et le streaming ont permis à des gens qui sont établis de continuer à rester dans le business. Parce que c’est vraiment compliqué pour de jeunes groupes de commencer aujourd’hui. Aujourd’hui l’industrie est vraiment basée sur la performance, sur le concert, sur le live… Tu dois convaincre les gens de venir te voir. Et c’est compliqué. Parce que ça coûte cher d’aller à un concert. Quand tu as une réputation, ils ont l’impression de prendre moins de risques. Il en allait différemment il y a 30 ans. Les gens écoutaient des CD. Il y avait des magasins qui en vendaient. Les radios étaient impliquées. C’était comme ça qu’on découvrait la musique. Mais le monde a changé. Les gens n’achètent plus autant de disques. Ils peuvent écouter tous ces albums formidables sur Internet. Et s’ils décident de dépenser de l’argent dans un concert, ce sera souvent pour aller écouter quelqu’un qu’ils connaissent. Parce qu’ils veulent être sûrs d’en avoir pour leur argent. C’est dur pour les jeunes. Mais que dire, c’est le show-biz…

Pixies, The Night the Zombies Came ***(*)

Distribué par BMG.

Ce n’est pas l’album le plus fougueux et furieux des Pixies (en concert le 26/04 à la Lotto Arena d’Anvers), mais c’est leur meilleur depuis longtemps. Plus probablement que Trompe le Monde et le début des années 90. Flanqué d’une nouvelle bassiste, l’Anglaise Emma Richardson de Band of Skulls, le groupe américain qui a préfiguré le grunge et bouleversé le système se montre plutôt posé, acoustique et même cinématographique sur cette collection de chansons immédiates et bien troussées qui emmènent de western en zombie movie. Mais aussi sur les traces de Shirley Collins, Phil Spector, Fleetwood Mac et un troubadour provençal (Arnaut Daniel). Planet of sound…

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