Le métal est-il soluble dans la mode au rabais?
Quand une multinationale suédoise invente des noms de groupes pour une collection métal, c’est toute une communauté qui crie au scandale. Jusqu’à orchestrer un gigantesque hoax pour dénoncer la récupération éhontée de la marque.
Panique dans le milieu métal ces derniers jours. Et pour cause. Lundi, les sites spécialisés Metalsucks et Metal Injection repèrent une nouvelle collection « métal » chez H&M, dont les logos de groupes appliqués sur les divers blousons ou pantalons ont sérieusement l’air d’être inventés. Lany, Mortmos, Crepuscular ou même… Metal, il ne faut pas pousser très loin les recherches pour se rendre compte que tout est bidon. Il n’en faut pas moins pour créer un tollé parmi les métallos: c’est qu’on ne joue pas avec les codes du genre si c’est pour vendre du textile au rabais.
Cerise sur le gâteau, une contre-campagne promo d’envergure semble vouloir donner une légitimité à cette collection de mauvais goût qui se réapproprie tout un pan de la contre-culture métal. On y trouve de tout: de fausses bios érigeant les groupes au statut de « culte », n’ayant enregistré « que sur cassette », de faux visuels se jouant de tous les clichés, de faux morceaux enregistrés pour l’occasion (voir la vidéo ci-dessous) sensés se retrouver sur une compilation à paraître… Et l’enseigne de prêt-à-porter de s’y jeter des fleurs à force de « faire redécouvrir les légendes oubliées du metal underground ». Rien que ça.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Sauf que la communauté métal n’est pas dupe: il ne faut pas plus de 48 heures pour que l’on se rende compte de la supercherie. Qui est si énorme qu’elle donne du fil à retordre aux différents sites et blogs qui relaient l’info: la campagne menée par le « label » Strong Scene Productions est bel et bien un immense hoax. Vice retrace ainsi la chronologie in extenso avant de réussir à contacter Henri Sorvali, soit la seule personnalité à avoir « légitimé » la campagne en quelques tweets rapidement supprimés. Le claviériste du groupe Finntroll avoue alors: « tous [les groupes ont] été inventés à partir des noms sur les patches et les T-shirts de la collection de printemps H&M ». On se décrispe, et on salue le travail de titan du métalleux.
En plus de vouloir dénoncer la récupération de l’esthétique métal par un géant du textile, Sorvali explique à Vice avoir « voulu montrer que tu ne pouvais pas vendre la contre-culture, surtout quand on n’y connaît rien. (…) La mission de Strong Scene dans ce cas précis était d’éduquer et de pousser les gens à réfléchir, à utiliser leur esprit critique. » Bien joué. Car à force de se réapproprier les codes culturels pour en faire du business décérébré, les multinationales de la sape finissent par en ôter toute la légitimité autant que l’âme. Joli coup pour ces head bangers, même si on est en droit de se demander si finalement, pour qui n’a pas la curiosité d’aller voir plus loin que le bout de son nez pour ces rendre compte de l’ironie de la démarche et en tirer une leçon d’intégrité, cette campagne moqueuse ne rajoute pas un supplément d’âme jusqu’alors inexistant, aux pièces sorties des usines du géant suédois. Et de là, avoir l’effet inverse: à savoir vendre plus que ça n’aurait été le cas sans elle. Car, même si on aimerait pouvoir penser autrement, il ne faudrait pas présager de l’intelligence du client. Bah oui, on ne compte plus le nombre de fois où on a failli s’étrangler en voyant arborer des T-shirt Ramones ou Motörhead par autant de personnes pour qui « le logo était joli », sans plus. On passera sur l’éthique plus que douteuse de ceux qui ont imprimé la lettre de suicide de Kurt Cobain sur un T-shirt. Ou ces autres qui affichent fièrement un Che Guevara sans s’être renseigné une seconde sur le personnage atroce qui se cache derrière la photo certes très esthétique.
Quant à ceux qui voudraient réellement s’afficher métal, rock ou quoi que ce soit d’autre par réelle passion, on ne saurait que trop leur conseiller de la vivre avec un peu d’intégrité. Filer chez Anik ou au stand merch de leur festival préféré et sortir les aiguilles à coudre. Parce que même si musique et business ont toujours dangereusement flirté, la passion ne s’achète pas en grande surface. L’originalité et la classe non plus.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici