DC Salas, le DJ et producteur bruxellois qui use du dancefloor en guise de thérapie

DC Salas: "Je peux jouer dans un endroit pendant cinq heures et me sentir comme chez moi". © Mayli Sterkendries
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sept ans après son premier album, le DJ/producteur bruxellois DC Salas sort To the Places I Call(ed) Home. Un disque intime, mais pas « intimiste », qui célèbre les pouvoirs thérapeutiques du dancefloor.

Où se sent-on vraiment chez soi? Quels sont les endroits où l’on se sent à sa place? Qu’est-ce qui fait foyer? Toutes ces questions, DC Salas se les pose sur son nouvel album. Intitulé To the Places I Call(ed) Home, il arrive sept ans (!) après The Unspoken. Entre les deux, le DJ/producteur bruxellois n’a toutefois pas chômé, enchaînant les EP. « J’ai fait le compte l’autre jour! (rires) Je dois être à 21 ou 22 sorties. » DC Salas a ainsi publié chez des labels électroniques aussi importants que Live At Robert Johnson, Correspondant, etc. À chaque fois, pour des formats courts, entièrement conçus pour le club. « Ce qui ne veut pas dire que c’est une musique purement « fonctionnelle ». Mais je les ai imaginés davantage comme des snapshots, des instantanés de ce que je joue à un moment précis. Là où un album, pour moi, repose sur d’autres schémas et essaie d’extérioriser des choses plus profondes. »

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The Unspoken, par exemple, venait soigner une rupture amoureuse. To the Places I Call(ed) Home part lui de la perte de proches. « Dans une période assez resserrée, j’ai perdu mes deux grands-mères, l’oncle de mon père, qui était aussi mon parrain… Jusque-là, j’avais été plutôt épargné. Je n’avais jamais vraiment fait l’expérience de la mort de membres de ma famille, dans ma vie d’adulte. Du coup, quand c’est arrivé, ça m’a pas mal retourné. Avec l’impression que je n’arriverais pas à dealer avec ça autrement que via la musique… »

Publié en septembre 2023, l’EP Tio lui confirme cette intuition. Sur le morceau-titre, on entend notamment la voix de son parrain. « Le lendemain de son décès, on a retrouvé une vidéo de lui, datant de son dernier anniversaire, alors qu’il détestait être filmé! Il remercie tout le monde, dans un super beau discours. J’ai voulu en faire quelque chose et l’intégrer dans un morceau. Ca a été un peu ma première approche avec le deuil. À partir de là, je savais que je devais creuser la question au-delà d’un simple EP… »

Le nouvel album de DC Salas évoque la perte de certaines proches. © Mayli Sterkendries

Homework

Né à Bruxelles, en 1988, Diego Cortez Salas est le fils d’une mère belge et d’un père péruvien. Quand il perd sa grand-mère paternelle et son parrain, ce sont aussi ses racines sud-américaines qui sont mises à nu. Avec tout ce que cela fait remonter comme souvenirs, comme les deux mois d’été qu’il a passés gamin, plusieurs années de suite, à Lima. « En gros, depuis que je suis rentré dans la vie active, je n’avais plus jamais mis les pieds sur place. Et puis, il y a eu ces décès consécutifs. En 2022, j’y suis retourné pour la première fois, seul avec mon père. Ca m’a fait prendre conscience de l’importance de certains lieux, de ce qu’ils signifiaient pour moi, et comment ils pouvaient m’aider à digérer la perte de gens qui comptaient pour moi. C’est pour ça que l’album est une sorte d’hommage, à travers des endroits qui ont été comme une maison pour moi, et qui le sont parfois encore. Ou pas -comme ce terrain de foot en bas de l’immeuble de ma grand-mère, où je passais des journées entières, et qui a été transformé aujourd’hui en parking… »

DC Salas © Mayli Sterkendries

De manière symbolique, To the Places I Call(ed) Home démarre avec un field recording des rues de Lima et se termine avec Au revoir, dans lequel on entend la voix de sa grand-mère, maternelle cette fois. Une manière de faire le pont entre ses deux origines. « C’est maintenant qu’on en discute que j’en prends conscience. Mais c’est tout à fait ça! Concernant ce dernier morceau, j’ai utilisé l’enregistrement de notre dernière conversation avec ma grand-mère. Ce qui est fou, c’est que mon dictaphone s’est allumé par inadvertance. Ce n’est qu’en sortant de la chambre d’hôpital que j’ai réalisé que mon téléphone avait enregistré toute notre discussion. Quand j’ai fini par la réécouter, après plusieurs mois, j’ai eu envie de l’inclure d’une manière ou d’une autre dans cette histoire. »

Disque personnel, To the Places I Call(ed) Home n’en reste pas moins entièrement dirigé vers la piste de danse. Vu la thématique et le fil rouge choisis, on aurait pu pourtant imaginer un album dessinant de grands paysages mélancoliques. Au lieu de ça, DC Salas ne descend jamais en dessous d’un certain BPM, zigzaguant entre techno, (acid) house, trance ou même new beat. Avec, à la clé, un disque intime mais pas « intimiste », qui tournoie sous la boule à facettes. « Clairement, je n’avais pas envie de faire l’album un peu cliché du producteur électronique qui pond dix morceaux sans beat. Je ne voulais pas non plus être dans le mood un peu plus pop de mon disque précédent. J’avais envie de proposer une musique qui rassemble toutes mes influences électroniques, et que je puisse à la fois écouter à la maison et jouer en club. Le deejaying a pris tellement de place dans ma vie que c’est devenu bien plus que simplement « partager » des disques. Aujourd’hui, c’est une manière de prolonger cette thérapie qu’est pour moi la musique. »

Pour celui qui s’est fixé récemment du côté de Laeken, le dancefloor est en effet devenu comme une seconde maison. En particulier celui du Fuse, le célèbre club bruxellois, dont il est aujourd’hui l’un des… résidents. « Clairement, je peux jouer dans un endroit pendant cinq heures et me sentir comme chez moi. C’est forcément encore plus vrai pour le Fuse, avec tout ce que le lieu peut avoir de familial. On l’a encore vu avec le départ de Sami (surnommé « l’Indien », le célèbre portier/physio du Fuse est décédé le 18 octobre dernier, NDLR), qui a affecté toute l’équipe. »

Cette année, le Fuse fête ses 30 ans. Une longévité exceptionnelle, a fortiori dans une nightlife où le club n’est plus forcément le modèle dominant. « C’est clair qu’on peut trouver une énergie folle dans le côté éphémère que peuvent avoir certaines soirées « nomades », que j’adore aussi. Mais il y a quand même encore dans le club une manière particulière de créer des histoires et des liens qui me touchent. » Une façon à la fois de rassembler et de servir de refuge. Comme le disait la critique anglaise Emma Warren dans son dernier ouvrage: Dance your way home

DC Salas, To the Places I Call(ed) Home ***(*), distribué par R.A.N.D. Muzik & Echocentric.

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