Avec son 3e album, De l’autre côté, Laura Cahen a sorti un petit bijou de folk en français dans le texte. Rencontre avant son concert au festival Francofaune, ce dimanche 5 octobre
Jusqu’au 11 octobre, Francofaune continue de battre son plein. Et se pose plus que jamais comme l’endroit du moment pour se rafraîchir les oreilles, faire des découvertes, et rattraper des petites pépites musicales passées jusque-là en-dessous des radars. Laura Cahen, par exemple. Programmée ce dimanche, à la Maison Poème, du côté de Saint-Gilles, la jeune femme (1990, Nancy) a encore du mal à dépasser le cercle indie des convaincus. Avec De l’autre côté, paru en janvier dernier, elle a pourtant sorti l’un des disques français les plus réussis de 2025 – pour preuve, sa présence dans la shortlist du Prix Joséphine, désignant les meilleurs projets de l’année en France.
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Sur fond de dystopie, Laura Cahen y raconte notamment l’histoire de deux femmes amoureuses fuyant une société conservatrice, rongée par la guerre et la catastrophe écologique. Elle le fait à travers des chansons entre folk et indie rock, paradoxalement lumineuses, transpercées par sa voix cristalline. Il n’est pas d’interdit de faire le rapprochement avec l’univers pastoral d’un autre Laura, l’Anglaise Laura Marling.
De l’autre côté fait d’ailleurs aussi référence à l’autre rive de la Manche. C’est là que Laura Cahen a enregistré ses chansons, du côté de Margate, dans le Kent, dans le studio de Mike Lindsay (co-fondateur de Tunng et du duo LUMP). A ses côtés également (à la ville comme à la scène), Joséphine Stephenson, compositrice franco-britannique, connue pour louvoyer entre classique et visées plus pop (son alter ego folk Juneson, ses collaborations avec Damon Albarn, Arctic Monkeys ou Daughter). « Chacun avait un peu sa place, bien définie. Joséphine travaillait la précision des lignes mélodiques de chaque partie instrumentale. Mike était focalisé sur le son, les fréquences. Et moi, j’avais la vision plus globale de la chanson, l’émotion qu’elle était censée provoquer, chez moi et chez les autres. »
L’Angleterre promise de Laura Cahen
Avant De l’autre côté, Laura Cahen a sorti deux premiers albums : Nord (2017), et Une fille (2021). Plus électronique, celui-ci avait été enregistré avec Dan Lévy (The Do). En 2023, Laura Cahen lui donnera même une « suite », sous la forme d’un EP de duos – Des filles. On y retrouvait notamment Juliette Armanet, Yaël Naim, Mélissa Laveaux, et… Joséphine Stevenson. « On s’est rencontrées à ce moment-là. Elle était en résidence à l’opéra d’Avignon, et cherchait à travailler un projet plus pop. On lui a parlé de mon album, qui était susceptible de rentrer dans la thématique choisie. C’est comme ça qu’on a commencé à travailler ensemble. » Pour Des filles, elles composent le morceau Si rien ne bouge, et l’enregistrent avec un producteur anglais que Joséphine Stevenson connaît bien : Mike Lindsay. Le trio est formé. « Le disque est sorti en janvier 2023. Au mois de mars, Mike m’a rappelé en me disant : « bon, je suis quand même un peu frustré, c’était super, mais un peu trop court : est-ce que tu ne veux pas qu’on fasse un album ensemble ? J’ai un peu de temps cet été ! » »
Aussi simple que ça…
Oui, sauf qu’à l’époque, j’avais encore des concerts qui arrivaient et à peine deux chansons en stock. Je ne voyais pas comment faire. Mais il insistait. Alors je me suis mise à écrire, écrire, écrire. En arrivant à la première session d’enregistrement, j’avais finalement six titres sous le coude. Et sur l’été, on a fini par en empiler une quinzaine. Cela n’a pas été toujours évident, c’est assez stressant comme manière de fonctionner. Mais il n’y a rien à faire, le fait de se plonger dans le travail, à un moment, cela paie. Parce que si j’attends que l’inspiration vienne, je peux écrire une chanson tous les trois mois. Là, je me mettais à mon bureau, avec du papier, un crayon et je noircissais des pages.
A la main ?
Oui. A l’ordinateur, je n’y arrive pas. J’ai ma méthode. Je mets un chronomètre de 20 minutes et je me force à ne pas lever le stylo. Je peux remplir comme ça 4, 5 feuilles volantes. Cela ne ressemble pas à grand-chose, les cinq premières minutes sont même souvent très banales ou factuelles. Et puis, au fur et à mesure, cela se libère. Il y a toujours un moment où les choses ressortent. C’est comme quand on conduit: on est un peu hypnotisé, on peut faire autre chose en même temps. C’est pareil avec le crayon. J’écris sans vraiment penser. Un mécanisme s’active qui, souvent, fait ressortir des images poétiques. A chaque fois, en tout cas, j’arrive à une sorte de synthèse de ce que je ressens.
Le disque est l’histoire d’une fuite. La musique peut-elle représenter cela, une forme d’échappatoire ?
En tout cas, elle me permet d’exprimer des choses que je ne saurais pas vraiment capable d’exprimer autrement dans la « vraie » vie. Elle me permet de grandir, de comprendre aussi qui je suis. C’est presque une thérapie.
Plus concrètement, De l’autre côté raconte l’histoire de deux femmes qui tombent éperdument amoureuses l’une de l’autre, dans un monde en proie aux crises écologiques, aux guerres, et à des gouvernements de plus en plus autoritaires. Toute ressemblance avec des événements existant étant totalement fortuits ?
Au départ, je pensais vraiment écrire une dystopie. Et puis, plus les jours passent, plus je me dis que ce récit est beaucoup plus ancré dans la réalité que prévu. C’est assez hallucinant… Après, c’est un disque très anxiogène, mais qui n’est pas sans espoir. Il y a aussi de la lumière. Je peux pas penser qu’il n’y en a pas, sinon autant sauter de la falaise (rires).
De l’autre côté, c’est aussi de l’autre côté de la Manche, où le disque a été enregistré. Que représente l’Angleterre dans ta culture musicale ?
Globalement, c’est l’essentiel de la musique que j’écoute. Donc c’est logique que cela se retrouve dans ce que je fais. J’avais déjà essayé auparavant de m’en rapprocher. Mais je n’aboutissais jamais à ce que j’avais en tête. Il a fallu que j’aille sur place. Cela correspondait aussi à une envie d’un son plus analogique. On a vraiment travaillé que sur des « vrais » instruments. Tout était palpable. A l’inverse du processus de l’album précédent, avec Dan Lévy : pour lui, tout devait tenir dans la machine. Ce qui était aussi super intéressant en soi. Cela a obligé à aller vers quelque chose d’assez brut, minimaliste. Mais pour ce disque-ci, j’avais envie de retrouver un son un peu plus familier, celui de la vieille folk des années 70.
A contrario, quel est ton héritage francophone ?
J’aime bien dire que je compose la musique en anglais et que j’écris les textes en français. Gamine, j’ai pas mal baigné dans les Fabulettes d’Anne Sylvestre. Tous les soirs, ma mère me les chantait. Du coup, plus tard, j’ai découvert aussi ses chansons pour adultes que j’aime vraiment beaucoup. C’est quelqu’un qui a une puissance folle dans ses textes. Elle ose dire des choses de manière frontale, là où moi j’enrobe encore un petit peu. Barbara a également compté. Et puis, à la maison, on écoutait aussi beaucoup Souchon ou Bashung…
Dans la culture musicale francophone, la voix est souvent fort mise en avant. Quelle est ton approche en la matière ? Quel rôle a-t-elle?
Cela a évolué. Au début, j’avais parfois tendance à en faire des tonnes. Cela se reflétait d’ailleurs aussi un peu dans mon apparence : je portais des grandes robes noires, je me grimais, etc. Aujourd’hui, j’essaye de chanter le plus simplement possible, d’être au plus proche de la voix parlée. Pour ce disque, j’avais vraiment envie que l’auditeur sente que je suis en train de lui confier des secrets. Pas de vibrato, pas d’attaques par le bas. Je chante comme si je parlais, mais avec des notes. En général, les disques qui me bouleversent le plus, sont ceux qui me donnent l’impression que les artistes les ont écrits dans leur chambre, de manière très intime, presque impudique. Nick Drake par exemple. Quand je l’écoute, j’ai l’impression d’être la seule à connaître ses confidences. Et ça, ça me touche beaucoup. Donc j’essaye de de faire ça à mon tour.