La vie est Dour: retour sur une success-story improbable
En 30 éditions, Dour a réussi à transformer son petit festival local, planté à l’extrémité d’une Wallonie snobée par les grandes stars du rock, en l’un des rendez-vous incontournables du circuit européen.
Ici, c’est le bout. Ou presque. Sur l’E19, le panneau le certifie: « Dernière sortie avant la France. » Quelques minutes et une nationale plus loin, on y est: Dour. Un coin de Borinage planté au fin fond de la Belgique. Près de 17 000 âmes, à l’Ouest, tout à l’Ouest. Le Far West? La ruée vers l’or est cependant terminée depuis longtemps. Comme dans toute la région alentour, on a creusé pour remonter le charbon, épuisant les sols et les corps. À Dour, le dernier site a fermé au début des années 60. Depuis, comme partout ailleurs dans le bassin minier, c’est la sinistrose. Un taux de chômage qui dépasse la moyenne wallonne, une collection de devantures de magasins désespérément vides. Pourtant, des choses bougent. Comme l’ancien site du Belvédère, transformé en centre récréatif et sportif, avec sa piscine biologique à ciel ouvert. Et puis, forcément, il y a le festival.
Si on avait assisté à un match de foot, peut-être que l’on aurait organisé un tournoi de foot, qui sait?
Il faudra un jour étudier ce goût des grands rendez-vous rock pour les terres à la marge, décentrées. De Woodstock, par exemple, à Roskilde, en passant par Glastonbury -la terre où le roi Arthur aurait été enterré, et le Saint-Graal planqué, certifient les guides touristiques; en fait, un patelin comme un autre, même pas 9 000 habitants au beau milieu du Somerset. Dour, c’est un peu pareil. Rien ne pouvait prédire que la petite commune hennuyère allait devenir le terrain de jeu de l’un des festivals les plus importants de Belgique, l’un des rendez-vous rock les plus reconnus d’Europe. Que Beyoncé allait y patauger dans la boue, et Pulp y donner son premier concert belge. Qu’il allait surtout finir par attirer jusqu’à 240 000 personnes, devenant l’un des mastodontes de l’été, tout en conservant un certain « esprit », la fameuse « ambiance Dour » dont tout le monde répète qu’elle n’existe nulle part ailleurs. Un, deux, trois, quatre, puis finalement cinq jours de paix et d’amour, à l’ombre des terrils. Voici son histoire. Elle démarre par une bagarre…
Touche pas à mon terril
1988. Les charbonnages ont tous fermé, la sidérurgie placée en coma artificiel. C’est le moment où la société Ryan Europe rachète un à un les terrils wallons pour en grignoter les dernières matières exploitables. À Dour, elle vise par exemple le terril Saint-Antoine. Mais là, comme ailleurs, l’entreprise bute contre la mobilisation d’une série d’anciens mineurs et de jeunes du coin, qui veulent préserver ce qui est devenu un patrimoine et un site écologique. Carlo Di Antonio figure parmi les contestataires. À 26 ans, il a un diplôme d’ingénieur agronome en poche, prolongé d’un doctorat. « La semaine, je travaillais en laboratoire à Louvain-la-Neuve. Et le week-end, je rentrais à Dour. » Quand il revient, il retrouve ses amis, au café Le Midem. C’est là notamment que s’organise la contestation. Elle s’achèvera sur une demi-victoire: le contrat est bien octroyé à Ryan Europe, mais conditionné à une exploitation limitée du site (avant que la faillite de l’entreprise quelques années plus tard ne sauve définitivement le terril…).
Ce soir-là, la cause est donc entendue. Alors que les tournées s’enchaînent, la bande se cherche une nouvelle bataille. « La veille, on avait été voir un petit festival, dans notre coin, à Bernissart: une scène minuscule, sous une tente SNJ, au bord du canal, avec maximum 50 personnes. On s’est dit qu’on était capables de faire la même chose, chez nous, à Dour, en mieux. Voilà comment tout a démarré. Mais si on avait assisté à un match de foot, peut-être que l’on aurait organisé un tournoi de foot, qui sait? » À quoi ça tient…
Le 16 septembre 1989, le premier festival de Dour est donc lancé. En tête d’affiche, Bernard Lavilliers, et une flopée de groupes belges. Mais la météo est passablement pourrie, et le public clairsemé. C’est un four. Au moins, le festival existe. C’est déjà une première victoire, dans une Wallonie où l’idée d’un festival rock paraît aussi saugrenue que celle de faire pousser des cocotiers sur les collines de schiste noir. Ça vaut peut-être la peine d’insister…
Seul rescapé du trio organisateur de départ, Carlo Di Antonio décide donc de s’accrocher. Une deuxième édition réussit à appâter notamment Jean-Louis Aubert, Arno et Noir Désir. Toujours en français dans le texte, mais en lorgnant plus franchement le rock. Cette année-là, le festival a lieu dans l’enceinte de l’Institut secondaire de la Sainte-Union: en près de 30 ans, c’est la seule fois que Dour plantera sa scène ailleurs que sur la plaine de la Machine à feu. Le public est cette fois un peu plus nombreux. Mais toujours pas assez pour que le festival rentre dans ses frais. Soit. Les médias sont là. Et, Di Antonio en est convaincu, il y a une place à prendre dans un paysage wallon où les tentatives restent rares, et souvent éphémères. Il faut alors faire un choix. « Quand vous perdez de l’argent, il n’y a pas 36 solutions. Soit vous vous débrouillez pour tout rembourser directement. Soit vous transformez ces pertes en investissements. » Le festival mute donc en société et se trouve des actionnaires, qui lui permettent de continuer.
Cela ne résout pas tout. La troisième édition s’avère à nouveau « compliquée « . « On n’a pas eu l’affiche qu’on voulait. Puis, c’était aussi une première tentative de mélanger les genres, en invitant les rappeurs de De La Soul. Au milieu de toute la scène alternative française -Boucherie productions, etc.-, c’est mal passé. Le choc était trop grand. » Pas grave. Di Antonio réessaiera plus tard, avec plus de réussite. En attendant, le festival peut s’enorgueillir d’être parvenu à choper un premier groupe américain, à l’heure où les Anglo-Saxons snobent encore largement le sud du pays.
Internationaliser l’affiche, c’est un peu le nerf de la guerre. Si le festival veut s’installer définitivement et grandir, c’est une étape indispensable. Dès l’année suivante, le programme joue plus franchement la carte européenne. Des Français (Les Négresses vertes), des Suisses (Young Gods), des Italiens (Litfiba) et même des Espagnols (Héroes del Silencio). Mais toujours pas d’Anglais… Pour cela, il faudra attendre l’année suivante. Et un « malentendu », un accident même. « J’avais été voir Therapy? au VK. À l’époque, ils étaient bookés en Belgique par Pieter Verstraelen qui avait sa propre boîte. J’essayais de le convaincre d’arranger une date en Wallonie. En même temps, je sentais bien qu’il avait peur de la contre-attaque de Torhout-Werchter, qui dominait largement le marché. Mais je me décide quand même à lui faire une offre. Sauf que quand je balance le fax, je me trompe de numéro et l’envoie à Stageco, avec qui on travaillait déjà pour le montage des scènes. » Or, il se trouve que la société appartient à… Herman Schueremans, le grand patron de Werchter. « Trois minutes plus tard, je reçois un coup de téléphone. C’était Herman qui appelait pour me prévenir que je m’étais planté. En attendant, il avait pu jeter un oeil à ma proposition. C’est là qu’il m’a dit: « Carlo, on bosse déjà ensemble pour les scènes, et ça se passe bien. Pourquoi on n’essaierait pas de collaborer aussi pour les groupes? » Quelques jours plus tard, on se rencontrait pour discuter. » Résultat: l’édition 1993 propose à nouveau Noir Désir ou Litfiba, mais aussi Therapy?, The God Machine ou encore The Wonderstuff. « Depuis, Herman est devenu un proche, un ami même. » L’année suivante, Dour programme près de 25 groupes, dont Blur, Pulp et Henry Rollins. La machine est définitivement lancée…
Quand Johnny allume la Machine à feu
Cela ne veut pas dire que Dour roule sur l’or pour autant. « Pendant les dix premières éditions, personne n’était payé, il n’y avait pas d’argent pour dégager des salaires », se rappelle Damien Dufrasne. Celui qui est devenu aujourd’hui le boss de Dour a commencé au montage des scènes, dès de la deuxième édition. « À l’époque, j’avais 20 ans. J’avais arrêté les études, je m’emmerdais. Comme je bossais en tant qu’éducateur la nuit dans un internat, j’avais pas mal de temps libre en journée. » Embarqué dans le navire, Damien Dufrasne ne le quittera plus. C’est le temps des pionniers, des journées à rallonge et des pâtes sauce rien, où il faut multiplier les astuces pour terminer le mois. « Comme le festival ne rapportait rien, on essayait de trouver des solutions pour se payer en annexe. » Par exemple en lançant le Rockamadour, café-concert « planté au beau milieu des champs, isolé avec des boîtes d’oeufs », avant de trouver refuge au 10, rue du Marché, en face de la maison communale. « Ce qui nous permettait d’installer des bureaux à l’étage, et un petit appartement pour Carlo. »« À 30 ans, j’habitais toujours chez mes parents, ça commençait à devenir embarrassant », rigole l’intéressé.
On avait aussi mis sur pied un camping de mobile homes qui attirait pas mal de punks français. Ils étaient déchaînés, ils dansaient sur les toits.
Quand il ne s’occupe pas du festival, Di Antonio vend des espaces publicitaires, signe des contrats de sécurité avec Forest National ( « une ou deux fois par mois, on envoyait une équipe de 50, 60 personnes pour contrôler les entrées de la salle »)… Bientôt, il se retrouve même à lancer la version française du magazine gratuit Rif Raf, alors uniquement édité en néerlandais. Damien Dufrasne: « On se chargeait nous-mêmes de la distribution. J’embarquais les exemplaires dans ma Kangoo et j’étais parti sur la route, pendant cinq jours. » Les idées ne manquent pas. Même les plus farfelues. « En 1996, on avait réussi à faire venir Johnny Hallyday le lendemain du festival. Il fallait être taré pour avoir imaginé ça. Le lundi matin, quand l’agent de Johnny est arrivé sur le site encore dégueulasse du week-end, il hallucinait. On lui a dit de ne pas s’inquiéter, qu’on allait tout nettoyer. « Mais vous êtes combien pour faire ça?! » Je me suis retourné: en gros, il y avait le papa de Carlo, sa maman, sa soeur et moi… (rires). »
Évidemment, toute cette agitation et cet éparpillement ne pourront pas durer éternellement. Carlo Di Antonio en a bien conscience. Le festival doit pouvoir fonctionner seul, trouver son autonomie. En 1993, il décide de partir en voyage. Il passe par le Paléo à Nyon, en Suisse, puis par Glastonbury en Angleterre. Et prend note. « Jusque-là, on s’était calqués sur le modèle de Werchter, soit une scène, un jour, tout le monde qui regarde dans la même direction, avec les buvettes à droite et les stands de bouffe à gauche. On a voulu casser ça. En commençant par étaler le festival sur plusieurs jours. » Dès 1994, deux ans avant Werchter ou le Pukkelpop, Dour décide donc de déborder, en s’étendant sur trois jours. Et ça change tout.
Beyoncé dans la gadoue
Il n’est pas seulement question d’amortir le coût d’infrastructures terriblement lourdes et coûteuses, les implications du nouveau schéma vont bien plus loin. Il donne notamment l’opportunité de développer un vrai camping. Si l’événement dure trois jours, dans un endroit en plus décentré, le spectateur doit bien trouver un moyen de rester sur place. À Dour, le camping prendra une importance de plus en plus grande, participant désormais pleinement à l’esprit et l’ambiance du festival. Il devient même rapidement un espace parallèle, où la fête peut se prolonger toute la nuit. Damien Dufrasne: « À un moment, c’était musique 24 heures sur 24. Une année, Inbev avait amené un bus tout beau, sur lequel était perché un DJ. Le lundi matin, à 8 heures, ils nous ont appelés pour nous demander d’envoyer la sécurité: les gens ne voulaient pas qu’ils arrêtent la musique, ils ont commencé à défoncer le bus, en tapant dessus avec des bâtons! » Des anecdotes du genre, Damien Dufrasne en a des tonnes . « On avait aussi mis sur pied un camping de mobile homes qui attirait pas mal de punks français. Ils étaient déchaînés, ils dansaient sur les toits. L’après-midi, ils arrivaient au festival avec leurs chiens. Comme ils ne pouvaient pas pénétrer sur le site avec leurs animaux, ils les accrochaient aux barrières et rentraient. J’ai dû appeler la SPA! » Tout le folklore de Dour…
Le camping n’est pas la seule conséquence du déploiement du festival sur plusieurs jours et plusieurs scènes. Il faut aussi rallonger l’affiche. Quitte à se passer de grosses pointures internationales de toute façon impayables, pour miser plutôt sur la découverte de groupes émergents. À côté du Pukkelpop, le festival de Dour devient progressivement l’autre grand-messe alternative de l’été.
Pour cela, Carlo Di Antonio s’appuie sur une série de programmateurs. Comme par exemple Manu Barron. Celui qui deviendra le patron du label Bromance et du Social Club à Paris est alors programmateur pour l’Aéronef de Lille . « Je suis originaire de la région, et quand Carlo m’a contacté, je connaissais déjà bien le festival. J’y étais déjà allé lors de la deuxième édition. » Quand il rejoint l’équipe à la fin des années 90, il prend en charge tout ce qui se rapproche des musiques black et électroniques, qui prennent de plus en plus d’importance dans l’affiche -dès 1997, le célèbre club Fuse programme par exemple sa propre scène. En 2000, Manu Barron réussit par exemple à faire venir Beyoncé et ses Destiny’s Child dans la gadoue douroise. « C’était assez osé à l’époque, pas forcément très bien vu. Mais je trouvais que les véritables innovations se trouvaient davantage dans les productions r’n’b des Neptunes ou de Timbaland que dans le énième retour de la techno minimale. C’est comme ça que j’ai booké Destiny’s Child qui étaient déjà des immenses stars aux États-Unis. » La suite est restée gravée dans les annales du festival. « Ce jour-là, il n’a pas arrêté de pleuvoir, le terrain était détrempé. On a dû démonter un plateau pour jeter les planches dans la boue afin qu’elles puissent rejoindre la scène sans salir leurs robes de princesses. C’était surréaliste. »
Manu Barron ramène aussi LCD Soundsystem et fait jouer les 2 Many DJ’s cinq fois d’affilée, entre 2000 et 2004 (dont une dernière sur la grande scène). « Je suis français, mais j’étais tout le temps fourré à Gand et à Anvers. Lefrères Dewaele ont même fini par devenir des amis, des membres de la famille. » Cocasse: si le festival de Dour est parvenu à séduire le public flamand, c’est en partie grâce à un programmateur… français.
Cri de ralliement
À force de parier sur l’éclectisme, Dour se met ainsi à rassembler de plus en plus de tribus différentes. La scène reggae côtoie les secousses rock les plus hardcore, les DJ’s succèdent aux groupes de rock, etc. Là encore, Di Antonio prend le parti de déléguer. C’est l’approche grassroots, bien avant le Net 2.0. « Dans les années 90, je programmais également un petit festival à Durbuy. J’avais déjà remarqué ce petit jeune, qui avait réussi à s’infiltrer trois fois de suite dans les backstages. Un jour, il m’a envoyé un mail en me disant tout le mal qu’il pensait de Dour, le fait qu’on n’avait même pas de site Internet. Il avait 18 ans. Je lui ai proposé de s’en occuper. » Aujourd’hui, Alex Stevens est devenu le programmateur principal de Dour… « J’avais seize ans quand j’y ai misles pieds pour la première fois, en 1997. J’étais parti avec 400 francs belges. Le samedi, je n’avais déjà plus rien, je bouffais des Grany depuis deux jours. J’ai fini par reprendre le train (rires ). Mais ce jour-là, j’ai compris que Dour était mon festival, que j’allais y revenir chaque année. Pourquoi? Parce que je découvrais un endroit qui mélangeait un tas de styles différents. Et en même temps, le gars à côté est comme toi. Pendant toute l’année, dans ta classe, vous n’êtes que trois. Mais là tout à coup, tu tombes sur plein de types qui ont la différence en commun. » Pareil pour Mathieu Fonsny. Lui aussi débarque pour la première fois à Dour à quinze ans, en 1997. « Je venais avec le centre jeunes de Spa, on faisait un petit fanzine. On avait une animatrice pour nous encadrer, mais on ne la voyait jamais (rires). Chacun faisait sa vie. Moi, je venais pour le circuit hip-hop et électro. Je dois d’ailleurs encore avoir quelque part mon autographe d’IAM et de la Fonky Family. » Dix ans plus tard, Mathieu Fonsny et son collectif Forma.T reçoivent l’opportunité de programmer une scène. « On avait déjà amené Justice à Liège avant tout le monde. On avait une accointance avec le label Ed Banger, etc. L’idée était de les faire venir à Dour. Mais on avait l’habitude de la Soundstation où on faisait 250 entrées en s’en sortant bien. Là, tout à coup, on disposait d’un chapiteau de 3 000 places. On avait même fait faire 30 casquettes destinées à être jetées dans le public, en pensant que tout le monde allait en avoir une (rires). » Évidemment, la programmation cartonne. « ça reste un souvenir incroyable », confirme Mathieu Fonsny, devenu entre-temps lui aussi programmateur, aux côtés d’Alex Stevens.
Au milieu des années 2000, Dour a définitivement décollé. Il faut dire que, parallèlement aux chutes des ventes de CD, minées par le téléchargement illégal, le secteur du live est en plein boom. En 2005, le festival engrange un premier sold out. Deux ans plus tard, il affiche même complet deux semaines à l’avance. « Mais l’édition a été catastrophique, se souvient Damien Dufrasne. On s’est plantés dans les parkings, sur les sanitaires. Un vrai carnage. Dès l’année suivante, il a fallu corriger le tir. » La rançon du succès en quelque sorte. En attendant, le festival a une ligne éditoriale claire, et un camping qui ne désemplit pas. Il a même son cri de ralliement, le fameux Doureuuuuh. Alex Stevens a son idée sur l’origine du gimmick: « Dans les années 90, j’allais aussi au Pukkelpop. La nuit, au camping, chaque fois qu’un train passait, les campeurs gueulaient: « hoeren! » (qu’on traduira par… « putes », NDLR) , et les filles répondaient: « boeren » (« paysans », NDLR) . Quelques années plus tard, quand les festivaliers flamands ont commencé à venir en masse à Dour, ils ont importé la « tradition ». Sauf que quand le public français, lui aussi fort nombreux, a entendu ça, ils n’ont rien compris et ont cru qu’ils gueulaient Doureeeeuh. À un moment, c’est devenu tellement populaire qu’on a fini par le reprendre dans notre com’. Des gens nous ont même raconté l’avoir entendu dans le métro à Paris, la semaine qui suivait le festival (rires) « .
Des gens nous ont même raconté avoir entendu des gens crier ‘doureuhhhHH!’ dans le métro à Paris
Pour faire courir le mot, Dour a aussi évidemment pu compter sur son présentateur fétiche: le seul et l’unique Jacques de Pierpont, alias Pompon. Présent depuis la deuxième édition, le journaliste rock RTBF (Radio 21, Classic, La Première) est une des figures essentielles du festival. « C’est Carlo qui m’a appelé en 1990. À l’époque, il y avait plein de Bruxellois qui me disaient: « Mais qu’est-ce que tu vas aller faire chez les culs-terreux?! » Mais j’ai tout de suite vu qu’il y avait un vrai projet qui allait au-delà du simple festival, qui voulait aussi faire revivre une région sinistrée. » Le festival devient ainsi rapidement un incontournable pour Pompon – « le seul rendez-vous annuel que je ne veux pas louper, avec le BIFFF ». Certaines années, il se retrouve à courir entre trois scènes différentes, tout en enchaînant les séquences radio. « Pendant longtemps, j’ai campé avec les bénévoles. J’avais même fini par installer ma tente derrière la grande scène. ça me permettait de grignoter quelques minutes de sommeil supplémentaires. » En 2008, une drache plus violente que les autres noie la toile du John Peel wallon. « Je me suis dit qu’à l’approche des 60 balais, il était peut-être temps d’arrêter (rires). »
Dour toujours
La vie d’un festival n’est jamais un long fleuve tranquille. Particulièrement à Dour. Il y a eu les galères du début, les caprices météo à gérer, les drames aussi -la mort accidentelle d’un festivalier dans la carrière jouxtant le site, en 2006; celle par overdose d’un jeune homme, en 2014; ou l’arrêt cardiaque dont a été victime un campeur l’an dernier. C’est évidemment toujours trop. Mais aussi très peu, eu égard à la réputation de « grande fête sans entraves » que continue de véhiculer le festival. Malgré lui?
Car Dour a forcément évolué. Avec plus de 240 000 spectateurs réunis pendant cinq jours, il est devenu une machine énorme. Cette année, il quittera même son site historique pour se planter au pied des éoliennes, et introduira pour la première fois une puce sur les bracelets des festivaliers. Sa programmation aussi a muté. Si elle reste éclectique, le rock y cède désormais davantage le pas au rap et aux musiques électroniques . Question d’époque . « C’est aussi pour ça que je ne présente plus la grande scène, depuis trois ans, avoue Pompon, qui s’est rabattu sur la Caverne et le Labo. Mais c’est dans l’ordre des choses, la musique change! Dans le cas de Dour, soit tu te braques et tu deviens un festival nostalgique; soit tu évolues avec ton public. » Manu Barron confirme: « C’est normal qu’un festival évolue. Il n’y a rien de plus relou que les types de 50 ans qui essaient d’en paraître 20. Le fait est que, malgré cela, l’état d’esprit de Dour est conservé, et sa programmation reste l’une des plus riches d’Europe. »
S’il n’est jamais très loin, Carlo Di Antonio s’est aujourd’hui retiré de l’organisation, confiant les rênes du festival à Damien Dufrasne. Bourgmestre empêché de Dour, le fondateur est devenu ministre wallon de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire. Une fonction qu’on imagine en effet peu compatible avec la direction d’un événement aussi « rock’n’roll » que le festival de Dour. « C’est vrai. Mais je reste malgré tout responsable de ce qui a été créé, et je suis toujours l’un de ses propriétaires. Aujourd’hui, de toute façon, on ne peut plus improviser. Et ceux qui viennent pour la première fois me disent souvent que le festival est beaucoup plus cadré qu’ils ne le pensaient. Ce qui n’empêche que Dour propose aussi pendant cinq jours le plus grand camping de Belgique, avec un public dont la moyenne d’âge tourne autour des 20 ans. ça crée forcément une ambiance particulière. On peut gérer beaucoup de choses, mais on ne peut pas tout contrôler… »
On devrait pouvoir s’en rendre compte du 11 au 15 juillet. À coup sûr, Pompon sera là, fidèle au poste. Et c’est déjà rassurant. Pour peu, il passerait même pour le symbole d’un événement qui peut continuer à grandir, sans vieillir . « Il reste à Dour une dimension que les organisateurs ne peuvent, ou ont l’intelligence de ne pas vouloir contrôler, assure l’homme au micro. Ce truc qui donne au public un sentiment d’appartenance: Dour est à nous, aux festivaliers! Et tant qu’il y aura ça, le festival restera toujours ce moment un peu différent et spécial. »
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