La paix retrouvée de Gandhi: « J’estime que l’histoire n’est pas terminée »
Star de la scène rap bruxelloise, Gandhi a vu la hype hip-hop belge lui passer sous le nez. Cinq ans après son dernier projet, il amorce son retour.
Au comptoir du café, le barman dévisage Gandhi. “Vous ne seriez pas… artiste?” L’intéressé sourit et confirme: “Oui, je suis musicien/rappeur.” De l’autre côté du zinc, le franc tombe: “Mais oui! évidemment!” Et le serveur, confus, d’offrir non seulement le verre, mais aussi la parfaite anecdote pour démarrer le thème du jour: plume essentielle de la scène rap belge de ces 20 dernières années, Gandhi a-t-il toujours eu la reconnaissance qu’il mérite? Pas sûr.
Les choses sont cependant peut-être en train de changer. Ces dernières années, le Bruxellois a ainsi vu son nom cité en boucle par quelques-uns des rappeurs les plus en vue du moment. À commencer par Damso, mais aussi Frenetik ou Green Montana. “Je ne pensais pas être le genre de rappeur qu’on mentionne en interview. J’ai conscience que ma musique a pu être importante pour certaines personnes, dans le public. Mais qu’elle ait aussi été une influence pour d’autres artistes, c’est une vraie surprise. Ça me touche énormément.”
Ce 7 octobre, Gandhi jouera au Botanique. Le concert affiche complet. Certes, Gandhi y investira la plus petite salle (250 places). Mais une deuxième date a été ajoutée. Il viendra notamment présenter son dernier EP, Germinal- le nom du quartier d’Evere dans lequel il a grandi-, sorti il y a un peu moins d’un an. Un deuxième volet devrait suivre prochainement. “Il reste encore le mix à réaliser. Mais le projet est là. Aujourd’hui, je suis en train de tracer le chemin vers l’étape suivante.” À savoir? “Un nouvel album, qui- scoop!- sera intitulé Le Point G, tome 2.” Soit la suite de son premier album, publié en 2010…
Mauvais timing
Sur Cœur froid, sorti l’an dernier, Gandhi rappait: “Fuck le stream, je suis disque d’or de CD gravés.” Une manière cocasse de rappeler d’où vient le rappeur, né Trésor Georges Mundende Mbengani. En l’occurrence, Gandhi a déboulé sur la scène rap au milieu des années 2000. Précisément au moment où l’industrie musicale boit la tasse, minée par le téléchargement illégal. C’est l’époque des “rois sans couronne”: tout le monde écoute du rap, mais peu de monde l’achète. Après le succès de sa première mixtape et du Point G, Gandhi enchaîne avec Univers Sale. Durant ces années-là, le Bruxellois rappe avec Lino, Kery James, Sexion d’Assaut, Youssoupha, etc. En 2012, il devient également le premier rappeur belge à remplir l’Ancienne Belgique en solo. Mais ce succès ne se traduit ni en chiffres, ni vraiment en visibilité médiatique.
En 2016, lassé, il change de nom et devient G.A.N. En avril, il publie l’album Texte symbole. Quelques semaines plus tard, Damso sort Batterie faible et Roméo Elvis poste le clip de Bruxelles arrive. Le train du rap belge est lancé. Il laissera Gandhi à quai… “Est-ce que ça m’a laissé amer? Oui, bien sûr. J’estimais que ma musique était trop bien pour sortir dans les conditions dans lesquelles elle sortait, et pour les retours que je pouvais en avoir. C’est l’ego qui parle évidemment. Mais à un moment, ça a fait que je ne trouvais plus ma place dans le paysage musical. J’ai fini par me demander si les gens avaient vraiment encore envie de m’écouter. Après Texte symbole, j’ai continué. Mais je n’avais plus la niaque. Je sortais les choses presque sous le manteau, sans tout à fait assumer.”
Racines
À un moment, il pense même raccrocher. “Mais je me suis vite rendu compte que c’était impossible. L’art est comme une drogue. C’est une manière de vivre, d’exister, de respirer. Me priver de ça, c’est comme si je m’étais dit que je n’allais plus utiliser mon bras gauche.” Il commence alors à écrire pour d’autres, y compris pour des projets plus pop ou chanson. Les marques de reconnaissance de la nouvelle génération finiront de le convaincre qu’il a peut-être encore des choses à raconter. Et que son pseudo originel parle toujours au public. “En changeant de nom, j’avais pensé couper l’arbre. Mais les racines étaient trop profondes.”
Il en aura la preuve sur scène. Quelques mois après la sortie de l’EP Germinal, il a donné un mini-concert au Café Central, dans le centre de Bruxelles. “C’était gratuit. Donc tout le monde pouvait venir. Mais aussi personne…” Ce soir-là, pourtant, le public répond présent, débordant jusqu’au trottoir. “Ça a été un moment magique. J’ai réalisé l’importance qu’avait pour moi la musique, et la scène en particulier. Devant moi, je voyais des gamins qui reprenaient les paroles d’Affolant. Ce morceau est sorti il y a quinze ans. Ils étaient à peine nés!”
Retour aux affaires
Aujourd’hui, Gandhi confirme son retour. “J’estime que l’histoire n’est pas terminée.” Mais avec de nouvelles manières de faire et d’autres objectifs. “Je suis en discussion avec trois, quatre labels, français. On verra…” Au moment où le rap retrouve un certain goût pour le texte, le terrain est sans doute plus ouvert pour un artiste dont la plume mélancolique a toujours aimé voltiger. De là à se remettre la pression… “C’est peut-être l’âge… Mais je n’ai plus l’impression d’être en compétition. Quand j’ai démarré, c’était vraiment cette ambiance-là: compète, guerre, etc. Aujourd’hui, je veux juste faire la musique qui me plaît et y mettre toutes mes tripes. Parce que j’ai constaté que ce sont surtout ces morceaux-là qui restent.”
Canal historique
Un effet des célébrations autour des 50 ans de la culture hip-hop, qui poussent le public à fouiller dans son histoire? Cet automne, Gandhi n’est en tout cas pas le seul “ancien” à revenir dans l’actualité. Le mois dernier, c’est par exemple CNN199 qui a sorti un nouvel album, Indélébile. Dans la foulée, le crew qui a fait les belles heures de la scène bruxelloise des années 90-2000, n’a eu aucun mal à remplir l’Orangerie du Bota, comme à la “grande époque” -figures de break dans le public et message vidéo de soutien d’IAM compris. Quelques jours plus tard, ce sont les pionniers belges de Namur Break Sensation qui venaient parler de leur livre paru l’an dernier, dans le cadre du Rap Book Club. En décembre (le 16), quelques jours à peine après Scylla, Pitcho passera lui par l’Ancienne Belgique. Il viendra rejouer Regarde comment!, son premier album sorti il y a exactement 20 ans. Pour l’occasion, il ressortira même une version vinyle en édition limitée.
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