Concert - Rosalía
Date - 12-12-2022
Salle - Forest National
Critique - L.H.
Avant de revenir à Werchter en juillet, Rosalía a enflammé Forest National, pour sa première date belge en salle.
Sur le coup de 21h, Rosalía fait son entrée en scène, planquée au milieu de ses danseurs. Tous casqués. Non pas façon Daft Punk, mais plutôt en mode Easy Rider. Illuminé, le casque de motard de la chanteuse laisse passer deux couettes très kawaii : est-on le seul à y voir dessiné un appareil génital féminin ? La chanteuse porte également une combi de cuir, prête à enfourcher sa grosse cylindrée. Le sexe féminin sur la tête, l’armure virile sur la peau : yo me transformo, chante l’Espagnole sur Sako.
Lundi soir, à Forest National, le titre ouvre son concert, son premier dans une salle belge. C’est aussi le morceau qui démarre Motomami, son dernier album. Inventif, mutant, libre, orgasmique, spirituel, c’est l’un des disques de 2022. Avec son mix de pop, flamenco, bolero, reggaeton, bachata, auxquels viennent se mêler aussi bien des sonorités jazz que new wave, le disque a d’ailleurs permis de consacrer le statut de superstar de Rosalía. Pas seulement sur les territoires hispanophones (même si, à Forest, le public l’est manifestement en grande partie). Mais bien dans le monde entier.
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Il faut dire que la Catalane a tout compris. A son époque, d’abord. Notamment dans l’utilisation des réseaux et dans la manière de se mettre en scène. A Forest, une steady cam monte régulièrement sur le podium pour accompagner et filmer en gros plan la chanteuse et ses danseurs. Le cameraman ne fait pas semblant de vouloir être discret ou de maquiller les ficelles. Quitte à gêner la vue du public ? Oui, mais ici, ce que diffusent les écrans géants – parfois un simple close-up – est au moins aussi important que ce qui se voit depuis la fosse. D’ailleurs, il y a des caméras partout. Sur le bord du piano pendant Hentai, ou le guidon de la trottinette (Chicken Teryaki). A plusieurs moments, Rosalía ou ses danseurs filment d’ailleurs eux-mêmes avec des téléphones. Comme un miroir des milliers d’appareils allumés dans le public.
Sur scène, il n’y a, à proprement parler, pas grand-chose de « spectaculaire ». Pas de grands effets pyrotechniques, pas de changements de structure impressionnants. En fait, il n’y a même pas de musiciens – seul un pianiste rejoint la chanteuse pendant Sakura, en toute fin de concert. Se déplaçant sur un simple fond blanc, Rosalía se contente du minimum – rappelant en cela la « sobriété » scénique d’un autre artiste incontournable de 2022, Kendrick Lamar. La pop star oublie même les pourtant inévitables changement de garde-robe pour conserver sa combi de motard pendant les quasi deux heures de concert. En fait, même quand elle fait mine de se remaquiller, Rosalía le fait sur scène, pendant Diablo – tout ça pour se renverser une bouteille d’eau sur la tête quelques minutes plus tard… Comme avec les caméras visibles de tous, la chanteuse participe à l’artifice autant qu’elle fait mine de le dégoupiller.
Cela n’empêche pas d’en avoir plein les yeux. Notamment grâce aux chorégraphies, aussi inventives que précises. Que ses danseurs rejouent les mouvements TikTok (Bizcochito) ou qu’ils emmêlent leurs corps pour figurer un gros cube, sur lequel vient s’asseoir la chanteuse (Motomami). Pétroleuse passionnée, celle-ci fonce tout droit et met le feu.
Car c’est à une équipée sauvage que l’on assiste. Une virée folle, durant laquelle Rosalía en fait voir de toutes les couleurs à la pop. Ici aussi, la chanteuse a tout compris. Notamment comment le medium ne fonctionne jamais aussi bien quand on lui résiste, en l’embrassant autant qu’en le tordant. En rappel, par exemple, la chanteuse arrive à coincer la plainte sublime de Sakura entre les percussions métalliques de CUUUUuuuuuute et le reggaeton tordu de Chicken Teryaki.
Un peu plus tôt, elle osait déjà enchaîner quasi dans le même mouvement un medley pop latino euphorique et une envolée flamenco : pour De plata, issu de son premier album Los Angeles, elle rajoute alors une longue traîne noire à sa combi, et, uniquement accompagnée d’une guitare, se lance dans une dramaturgie andalouse crève-cœur, comme venue du fond des âges. A la fin du morceau, la caméra zoome sur les larmes qui roulent sur les joues de la chanteuse. Réelles ou jouées, au fond, peu importe : le public est bouche bée. Rosalía, le grand frisson.
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