La Camerounaise Uzi Freyja crie sa rage dans un premier album entre rap et électro

En concert, Uzi Freyja ne fait pas de quartier, sur son album n’ont plus © LANG SEBASTIEN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son premier album, comme sur scène, la Camerounaise Uzi Freyja livre bataille avec ses démons les plus intimes, entre rap rageux et électro frondeuse. Rencontre avec une résiliente.

Son nom de scène fait déjà office en soi de manifeste. Uzi pour la rafale d’arme automatique. Freyja pour la «déesse nordique de l’amour, de la guerre, de la fertilité et du sexe». Une combattante. Ceux qui l’ont vue en festival cet été –à Dour, Esperanzah!, Ronquières– peuvent d’ailleurs en témoigner: en concert, Uzi Freyja ne fait pas de quartier, partant à la conquête du public avec une énergie et une pugnacité rares. A tout juste 28 ans, la chanteuse-autrice-compositrice originaire du Cameroun est du genre intense. Quand on la rencontre, quelques minutes après sa prestation à Dour, elle glisse notamment: «J’ai grandi dans une maison où c’était compliqué de trouver ma voix, d’avoir vraiment une place…» Alors Uzi Freyja a dû manifestement apprendre à hausser un peu le ton et jouer des coudes pour s’en faire une.

Début d’année, elle sortait Bhelize Don’t Cry. Un premier album entier et excessif, débordant d’un rap-trap teigneux (Anger) pour virer vers l’électropunk la plus abrasive (Medusa), ne ralentissant que rarement la cadence (Talk Sick). Le verbe est souvent cru et queer. Drôle aussi, mélangeant joyeusement anglais et français. Sur Spicy Mami, on entend même la voix d’une invitée très spéciale: l’actrice Béatrice Dalle, star connue pour son tempérament d’écorchée vive et son franc-parler. Un peu comme son hôte? Sur Bhelize Don’t Cry, Uzi Freyja ne tergiverse pas. Exemple pris au hasard, sur Don’t Disturb Me: «Je n’ai pas besoin d’une invitation pour venir foutre le bordel dans ton cœur et ton pantalon/Je n’ai pas besoin d’une invitation pour te voir déverser des pleurs quand tu me lécheras tout à l’heure.» Au petit jeu des références, on pense éventuellement à Missy Elliott ou encore Nicki Minaj. Le nom de cette dernière ne tarde d’ailleurs pas à débouler dans la conversation. «Je n’ai pas toujours eu une vie très simple. Et elle faisait partie de ces artistes qui me permettaient de m’évader un peu. C’est aussi une pionnière, qui a par exemple poussé les mecs à mettre plus de mélodies dans leur rap. Et puis, j’adore surtout sa manière de s’imposer, sans jamais s’excuser.»

Attachée au rap des années 2000-2010, Uzi Freyja a grandi avec Lil Wayne et Eminem, Kendrick Lamar et Drake. Fan également de r’n’b –«Mettez-moi n’importe quel morceau de Sisqó, et je crie»–, elle bourre ses playlists –surtout celles «pour accompagner mes ruptures amoureuses»– de titres de Mary J. Blige, Faith Evans, TLC. Mais aussi, plus proche de ses racines africaines, de Lady Ponce, la «Beyoncé du Cameroun!» Il y a toutefois un nom qui la fascine plus que les autres: Tina Turner. «OK, elle n’est pas de ma génération. Mais je suis une boomer précoce (rires). J’admire son énergie, son charisme. Puis je me retrouve aussi en partie dans son histoire…» En l’occurrence, un parcours particulièrement chahuté, marqué par les violences.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Racines gospel

Kelly Rose de son vrai nom est née et a grandi à Douala. Gamine, elle accompagne souvent sa mère, chanteuse de gospel. C’est lors d’un de ses concerts qu’elle a par exemple sa première épiphanie musicale. «Je devais avoir 6 ans. Comme il n’y avait pas de garderie, j’étais l’une de ses danseuses. Je m’en rappelle très bien, c’était une chanson autour de l’histoire d’Abel et Caïn. Et à un moment donné, elle a tenu une note hyperaigüe, un peu comme quand Mariah Carey part en whistle. Ça m’a choquée!»

Alors, la future Uzi Freyja se met elle aussi à chanter, partout, tout le temps. «Je me souviens que je me mettais par exemple à chanter en suivant le rythme que faisaient les crépitements de l’huile de friture quand ma mère plongeait les beignets dans le bac» (rires). On ne peut pas dire que sa vocation ait été pour autant encouragée… «Ma mère trouvait que je n’avais pas une très jolie voix. Elle estimait que je faisais trop garçon manqué. En vérité, j’étais plus ou moins d’accord avec elle…» La relation parent-enfant n’est pas simple. Elle se complique encore quand sa mère tombe amoureuse d’un homme violent. Les coups pleuvent régulièrement, et, à ses 12 ans, Kelly Rose part en France pour habiter chez une tante, du côté de Nantes.   

«Je n’ai pas besoin d’une invitation pour venir foutre le bordel dans ton cœur et ton pantalon.»

L’adolescence reste compliquée. A 17 ans, «je me suis fait foutre dehors», explique-t-elle. A la rue, elle enchaîne les petits boulots, jusqu’au jour où elle rencontre Stuntman5, alias Christian Bagnalasta. Producteur électro, il entend Kelly Rose lors d’un open mic organisé pendant la Fête de la musique. On est en juin 2019. Les deux vont connecter et créer le projet/duo Uzi Freyja, mélangeant rage rap et bourre-pifs électroniques.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Six ans plus tard, Uzi Freyja est uniquement incarnée par la frondeuse camerounaise. Mais le programme n’a pas changé. Quelque part, il s’est même renforcé. Toujours plus cru, toujours plus intime. Avec aussi pas mal d’humour (souvent grinçant). Mais sans jamais lâcher une exigence d’authenticité, cherchant à la fois à faire «danser et pleurer», chaque morceau tenant autant de l’envie de s’évader que de la séance d’exorcisme. Son premier album est ainsi présenté comme une lettre adressée «à la petite fille que j’étais» –Bhelize étant le surnom que lui a donné sa famille. Entre une courte pause détente (Oulala) et une charge cyberpunk (Medusa), Uzi Freyja démarre la «conversation» avec I Don’t Luv MeMirror, mirror is my first enemy») et se termine avec l’explicite Mummy & Daddy Issues («Je n’arrive plus à aimer/Ni même à être aimée»).

En français dans le texte donc, mais toujours à mille lieues des canons d’un format chanson, qui ne la touche pas vraiment, préférant plutôt évoquer une rappeuse comme Megan Thee Stallion ou des figures comme Etta James ou Nina Simone. «Quand j’écoute un morceau comme Blackbird par exemple, je m’y retrouve complètement. J’ai l’impression qu’il définit exactement ce que je ressens par rapport à moi-même.» Publié en 1966, le titre de Simone évoque autant la lutte des Noirs pour les droits civiques que son propre mal-être. La légende du jazz chantant notamment: «No place big enough for holding/All the tears you’re gonna cry/Cause your mama’s name was lonely/And your daddy’s name was pain »…  

En concert le 22 novembre à la Madeleine, à Bruxelles.

Bhelize Don’t Cry

De Uzi Freyja. Distribué par Fougue.
La cote de Focus: 3,5/5

 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content