La Bruxelloise Lubiana de retour avec l’album Terre rouge: “Raconter un rapport inconscient à mon africanité”

Lubiana se sent toujours inspirée par sa kora. © Diane Moyssan
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Trois ans après Beloved, la Bruxelloise Lubiana creuse ses racines africaines avec Terre rouge, toujours guidée par sa kora.

Le 19 juillet, Toumani Diabaté, le grand maître de la kora, mourait à l’âge de 58 ans, dans un hôpital de Bamako, au Mali. Alors que la nouvelle commençait à se répandre dans le monde entier, Lubiana recevait directement un message de la famille. « Comme toute disparition brutale, au début, tu n’y crois pas, c’est assez lunaire… » Le quotidien The Guardian écrira qu’à l’instar de Ravi Shankar avec le sitar, le musicien malien a contribué à moderniser la kora, pratiquée en Afrique de l’Ouest par les griots. Cette même kora qui est devenue aujourd’hui l’instrument-fétiche de Lubiana (en concert le 13/12 au Botanique, à Bruxelles).

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La jeune Bruxelloise a déjà souvent raconté l’histoire. À 20 ans, elle fait un rêve dans lequel elle joue d’un instrument qu’elle ne connaît pourtant pas. Une sorte de luth/harpe à 21 cordes. Elle découvre qu’il s’agit de la kora, réservée traditionnellement aux hommes. « J’ai quand même voulu m’y initier. Après un mois à peine, mon professeur m’a proposé de rencontrer Toumani Diabaté. Il venait en concert à Gand. Comme ils se connaissaient, on a été manger ensemble. Je lui ai expliqué mon histoire, comment la kora m’est apparue dans mon sommeil. Il m’a tout de suite encouragée. C’est comme s’il me donnait sa bénédiction… »

Depuis, Lubiana n’a plus jamais lâché l’instrument. Il lui sert de boussole dans une quête musicale qui, dans son cas, tient également souvent de la quête personnelle. Née à Bruxelles en 1993, d’un père camerounais et d’une mère belge, la musicienne, fan de jazz, est passée par The Voice (saison 1), a étudié au Conservatoire (à Louvain), tenté sa chance à Londres, puis Los Angeles. Mais sans jamais vraiment trouver la musique qui lui correspond. C’est la kora qui va lui permettre de se poser

Notes d’espoir

En 2021, Lubiana sort l’album Beloved. Elle enchaîne aujourd’hui avec Terre rouge. Le premier était une sorte de déclaration d’intention personnelle. Le deuxième en est une autre. Mais cette fois, Lubiana creuse davantage ses racines africaines. C’est le morceau-titre qui a donné la direction. Dans la soixantaine de compos accumulées, il sortait du lot. « Déjà parce que c’est mon premier en français. Et puis quand il arrive, je m’étonne moi-même de chanter sur ce thème-là, d’écrire des paroles comme « Je n’oublie pas où je vais, d’où je viens, pour que je n’oublie jamais les miens », etc. J’ai compris qu’il y avait une histoire que j’avais envie de raconter. Un rapport inconscient à mon africanité que j’avais besoin d’explorer. » Elle écrit donc d’autres chansons, comme Ancestors, enregistre la voix de son grand-père camerounais, ressort une photo d’elle, gamine, entre les cases du village dont est issue sa famille africaine -« Je savais que je tenais la pochette du disque ».

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Elle a également un son précis en tête, « très organique, proche du live, où l’on pourrait quasi entendre mes doigts glisser sur les cordes ». Pour l’aider à le réaliser, Lubiana va chercher Clément Ducol, musicien/producteur français hypersollicité –des disques de Souchon, Vianney à ceux de sa compagne Camille, en passant par la B.O. du dernier film de Jacques Audiard, Emilia Pérez. « Mon label m’a fait comprendre qu’il était impayable. Mais je l’ai quand même contacté via Instagram. On a fini par se voir. J’avais analysé toute sa discographie, je crois que ça l’a intrigué. Et puis à un moment, je lui ai parlé de mes racines familiales à Bangoua, au Cameroun. Un tout petit village, à une dizaine d’heures de route de Douala quand même. C’est là que Clément me raconte qu’il connaît, que la seule fois qu’il est allé en Afrique, c’était là, pour le mariage de son frère avec une femme du village! C’était fou! » La connexion est établie. Il y en aura d’autres, comme par exemple celle avec Gaël Faye, sur le titre Farafina Mousso, qui chante la « beauté et le courage des femmes africaines ».

Une douceur positive

De la même manière que sur son disque précédent, la voix de Lubiana dégage une sorte de sérénité enveloppante, qui s’assure de tenir à distance toute négativité. Même si cela n’est pas toujours simple pour une personne métisse. Comme elle le suggère par exemple sur le titre La Blanchecomme on la désignait quand elle se rendait, petite, en vacances, au Cameroun. Alors qu’ici, à l’inverse, on la renvoie régulièrement à son africanité -y compris avec des remarques racistes, comme ce fut encore le cas sur les réseaux après son passage sur la Grand-Place pour le concert de la Fédération Wallonie-Bruxelles… « J’ai grandi dans un environnement où l’on disait volontiers que le monde était mauvais, que l’enfer c’était les autres, ce genre de grandes phrases… Mais moi, ce n’est pas ce que je voyais. Bien sûr que le monde souffre. Mais je pense qu’il y a aussi énormément de belles choses, d’amour et de gens qui sont prêts à te tendre la main. C’est ce que j’ai envie de mettre en lumière: l’espoir. »

Malgré les tiraillements, Lubiana célèbre donc plus que jamais le métissage. Y compris musical. « Je ne voulais pas faire un « album de musique africaine » par exemple. J’avais envie qu’il soit à mon image, et qu’à côté des percussions, il y ait aussi des instruments « occidentaux »: une harpe, un quatuor à cordes, du piano, de la contrebasse, etc. » Avec toujours, comme pour faire le lien, sa kora.

Elle est un peu le fil… rouge. L’élément-clé qui permet à Lubiana de déverrouiller ses angoisses en musique. D’ailleurs, la jeune trentenaire essaie toujours de partir au moins une fois par an en « retraite », dans l’un des pays de l’ancien Empire mandingue, pour perfectionner sa pratique Après le Sénégal et la Gambie, elle a atterri au Mali, en 2023. « Je jouais 8 à 9 heures par jour. » Sous un soleil souvent carnassier. « À 23 heures, les températures redescendaient enfin jusqu’à 30 degrés. Et là, je revivais. C’est comme ça que j’ai composé un soir le morceau Mali, sous les manguiers et le ciel étoilé. » La chanson a fini par atterrir sur son nouvel album. Comme une manière de boucler la boucle, Lubiana a encore eu le temps d’y glisser un invité de marque: Toumani Diabaté…

Lubiana, Terre rouge ***(*), distribué par 6&7.

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