Icône de la musique africaine, Koffi Olomidé est de retour sur une scène bruxelloise, après 15 ans d’absence. Entretien, en roue libre, avant son concert prévu ce samedi, à l’ING Arena.
Koffi Olomidé entre dans la pièce, revêtu d’une longue toge rouge flamboyante, raccord avec son statut de star internationale . Juste avant, l’attaché de presse a prévenu. « Il est très drôle, il a réponse à tout. Mais il est parfois un peu… lunaire. » C’est noté. Pour une fois, on va quand même tenter de passer outre le « folklore » et la bagout du personnage (spoiler : raté). Et creuser l’ héritage de l’une des plus grandes stars de la musique africaine, icône de la rumba congolaise : Koffi Olomidé. Le « Maître de double demeure » est de retour en Europe pour une série de concerts, dont une date bruxelloise, ce 6 septembre, à l’ING Arena.
Cela faisait longtemps, au moins une quinzaine d’années que Koffi Olomidé n’était pas monté sur une scène belge. La pandémie a joué. Mais aussi des ennuis judiciaires – en 2021, le Tribunal de Nanterre a condamné le chanteur à 18 mois de prison avec sursis pour avoir séquestré quatre de ses danseuses lors d’une tournée en France. Et peut-être la crainte, comme avec d’autres, qu’un concert de la star ne crée des troubles ? Plusieurs dates précédentes avaient ainsi dû être annulées. Mais cette fois semble être la bonne : soutenu par la Ville de Bruxelles, le show de Koffi Olomidé devrait bien avoir lieu ce samedi, du côté du Heysel…
Cela fait longtemps que vous n’aviez plus joué à Bruxelles. Qu’est-ce qui a motivé votre retour ?
Oh mais c’est plus qu’une motivation. Cela fait 16 ans que je ne pouvais pas jouer ici.
Pourquoi ?
Pourquoi ? Disons qu’il y a des impératifs injustes qui ont fait que cela n’était pas possible… Mais je ne veux pas parler de ça, je veux rester positif. Donc le 6, c’est mon grand retour. La scène, comme le studio, c’est toute ma vie. Quand je croisais les fans dans les aéroports ou dans des endroits publics, ils n’arrêtaient pas de me demander quand je revenais en concert. Donc voilà, j’ai l’opportunité de pouvoir à nouveau chanter. Certains étaient encore sceptiques, pensaient qu’il allait encore se passer quelque chose, que j’allais annuler. Je me mets à leur place, je peux comprendre. Mais je serai bien là.
Vous avez été reçu à l’hôtel de Ville de Bruxelles. Le bourgmestre Philippe Close a même enfilé une chemise à vos couleurs…
Une très belle chemise, très jolie. C’est un mélomane aussi, il a le droit.
Vous pensez qu’il connaît bien votre musique ?
Je ne pense pas qu’il l’écoute au quotidien, mais je me dis que c’est un monsieur cultivé. Quand vous rentrez dans son bureau, c’est plein de tableaux, des objets, des sculptures, etc.
Je me permets la question, parce que je crois qu’une majorité des gens connaissent Koffi Olomidé, mais pas forcément sa musique, et…
Mais moi-même, je ne la connais pas bien. Sérieusement, j’ai le plus grand répertoire au Congo. J’ai sorti 27 albums, avec des succès relatifs. Et je compte entre 600 et 800 chansons. J’en ai forcément oublié. Donc moi-même, après 48 ans de carrière, il y a des titres que je suis obligé de répéter pour pouvoir les restituer.
Mais comment vous décririez votre musique à quelqu’un qui justement ne la connaît pas bien ?
C’est la musique qui vient du cœur, et qui vise le cœur des gens. Une musique qui traverse les générations et les années. Vous savez, j’ai des chansons qui ont 30 ans, que des fans ont aimées. Et qui sont aujourd’hui chantées par leurs enfants.
Comment l’expliquer ?
C’est parce que ce sont des chansons que j’ai construites – je dis bien construites !- pour durer. Comme les Champs-Elysées ou les grands monuments que l’on peut trouver ici, ou aux Etats-Unis, etc. Aujourd’hui, on me dit que mes plus belles chansons, ce sont les anciennes. Et ce sont encore celles-là qui sont à la mode aujourd’hui. Récemment, j’ai sorti un remix de quelques vieux titres. C’est un succès incroyable. Une chanson comme Fouta Djallon, c’est 8 000 000 de vues déjà, en deux mois. Chez nous, c’est beaucoup. Vous savez, nous, on fait ce qu’on fait sans RTBF, sans TF1, sans France 2, sans CNN. On ne passe pas à la télé. Aujourd’hui, mes collègues, jeunes surtout, bénéficient d’Internet, qui est un outil qui facilite tout. Mais à notre époque, il n’y avait pas ça. J’ai été le premier Africain à remplir Bercy, 17000 places. Sans, télé, sans radio. Je me rappelle que j’allais avec mes potes la nuit coller des affiches sur le mur de façon clandestine. Oui, on prenait même des risques ! Et ça a été rempli de la même façon que les Madonna, Prince, etc. Donc, oui, je suis pas mal content de moi quand même.
Vous avez des titres intemporels. Mais vous avez aussi souvent sorti des morceaux qui parlaient de l’actualité.
Oui, je parle de la situation dans mon pays. Une chanson comme Affaire d’Etat est devenue culte. Il n’y a pas un Congolais qui n’a pas été touché par ça. Je n’ai pas été payé pour le faire. C’est mon patriotisme, c’est l’amour de mon pays qui m’a motivé. J’en ai encore d’autres, où je parle par exemple aussi de l’Inspection des Finances, parce qu’il y a trop de détournement des deniers publics. Donc j’ai pris le risque de chanter pour ça… Moi, j’aime mes compatriotes, mon pays. Et la moindre chose que je puisse revendiquer pour ce peuple, c’est un peu de considération. Que les gens qui tiennent les rênes du pouvoir s’occupent un peu mieux d’eux, qu’ils puissent se dire qu’ils sont quand même importants.
Quel regard portez-vous sur ce qui se passe à l’Est ?
Je viens de vous le dire. Vous savez, le peuple congolais n’a aucun problème avec le peuple rwandais, ougandais, ou burundais. Le peuple n’a rien à voir là-dedans. Ce sont ces gens qui nous dirigent, qui ont passé des accords, qu’ils n’ont pas respectés, etc. Mais le peuple n’a rien fait. Personnellement, je parle avec les Rwandais. Je n’ai pas de problème. Mais le président du Rwanda ? Quel est son but ? Je ne sais pas. Même si on commence à voir une idée…
Vous êtes né en 1956, quatre ans avant l’indépendance, dans ce qui était encore le Congo belge. Quel est votre rapport avec la Belgique ?
J’étais un gamin. Mais la Belgique, c’est un peu le papa ou la mère du Congo, non ? Il faudrait d’ailleurs qu’elle l’assume un peu plus. Aujourd’hui, j’ai l’impression que la Belgique a carrément tourné le dos au Congo, et n’en a plus rien foutre.
Vous vous rappelez de votre premier séjour en Belgique ?
Vaguement. Je sortais des études et je me cherchais. J’étais en Suisse, et tout le monde me disait que la Belgique, c’était mieux. Donc je suis venu. C’est ici que j’ai acheté ma première voiture. J’avais 27 ans… Mais vous savez, la Belgique représentait quelque chose d’important pour les Grand Kalle, Tabu Ley Rochereau, Nico, etc. Mais pour ma génération, c’était déjà un peu moins le cas. Il y avait l’Allemagne, la France, la Suède, la Suisse, l’Espagne, etc. Mais la Belgique ne faisait pas spécialement rêver. La preuve, quand je suis venu étudier, j’ai atterri dans une université française. A Bordeaux. Je ne buvais pas de vin. Mais je suis quand même allé là-bas.
Malgré tout, votre premier véritable album a été enregistré à Bruxelles.
Au studio de la Madeleine ! J’ai pu notamment compter sur l’aide de ce monsieur, dont j’ai oublié maintenant le nom, mais qui m’a beaucoup appris. Un Belge. J’étais en train d’enregistrer des chœurs. En m’entendant, il m’a appelé et m’a suggéré de changer de méthode. Je l’ai suivi et appliqué avec le Quartier Latin. Et depuis, mon orchestre est devenu un peu une référence en matière de chœurs. Grâce à ce monsieur !
Comment êtes-vous tombé dans la musique ?
Au départ, j’écrivais des poèmes. Mais vous savez ce que j’écoutais ? Mes camarades étaient étonnés, mais j’étais fou de Charles Trénet, et surtout de… Jacques Brel. Ah ! Vous aussi, vous êtes étonné !
On pouvait entendre les chansons de Jacques Brel à Kisangani ?
Je suis né à Kisangani, un peu par accident. Ma mère était enceinte. Je suis arrivé un monde, alors qu’elle était en voyage avec mon papa dans ce coin-là – c’est un peu l’équivalent de Bruges ou Ostende…. Donc, je suis né là-bas, mais j’ai grandi à Kinshasa. Cela étant dit, j’aime beaucoup ces gens parce que j’ai failli y laisser la vie. J’ai été allaité par Maman Alphonsine, la femme de l’ami de mon père, qui s’appelait Antoine. Ma mère était désespérément malade. Elle pouvait même pas me donner son lait. Du coup, par gratitude, mon père m’a donné le nom de son ami quand j’avais déjà un certain âge. Mais Antoine n’est pas mon nom de naissance…
Donc Brel…
Ah oui, un grand monsieur ! Il avait de l’humour, il était entier. Je l’écoute encore. Sa musique m’a traumatisé. Vous savez, tous les sondages du monde disent que la plus belle chanson d’amour de tous les temps est Ne me quitte pas. On est d’accord. Moi, à partir de cette chanson, je pense en avoir écrit peut être 20. Mais je n’ai toujours pas le sentiment d’avoir atteint le niveau de Brel. (NdR: Il commence à chanter : ) « Moi je t’offrirai des perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas… » Ah non, mais c’est incroyable quoi !
D’autres artistes vous ont marqué ?
Il y avait Madame Nana Mouskouri. (NdR: Il chante : ) « Puisque tu m’aimes/Marie-moi vite, vite, je t’en supplie »… J’ai repris cet air pour l’une de mes chansons !
Vous avez plagié Nana Mouskouri ?
Non! J’ai montré que j’étais intelligent et que j’aimais vraiment sa musique… Mais il y en a d’autres. Michel Jonasz, Nougaro, etc. Et puis Johnny Hallyday évidemment. Vous savez qu’on m’appelle parfois le Johnny Hallyday du Congo ? C’est exagéré…
Vous êtes plus grand que Johnny…
Toi, tu ne m’aimes pas. Il ne m’aime pas, il me piège!… Non, mais Johnny, sa voix était encore plus belle à la fin ! (NdR: il chante : ) « Allumez le feu, allumeeez le feu ! »… Vraiment Johnny, Philippe Smet, incroyable.
Encore un Belge…
Oui. Maurane aussi, que j’aimais beaucoup. Et le marrant là, qui a pris la chanson de quelqu’un d’autre…
Plastic Bertrand?
Voilà ! Génial, cette chanson. Je planais aussi quand je l’entendais. Et puis, il y a… Hazard que j’aime beaucoup.
Eden?
Oui, voilà ! Jusqu’à aujourd’hui, je ne me rendais pas compte que j’aimais vraiment les Belges (rires). Vous savez, j’ai dit une fois à mes potes que… j’aurais pu faire un enfant à la Reine Fabiola ! C’est grave, hein ? Je l’a-do-rais. Et elle est morte sans avoir eu d’enfant. Mais j’aurais pu lui en donner un. Que le Roi Baudouin, qui était un homme très beau, ne m’en veuille pas, hein….
…Pour revenir à ce que vous écoutiez plus jeune, quels artistes congolais vous ont marqué ?
Tabu Ley Rochereau. Et puis y avait un groupe d’étudiants congolais en Belgique. C’était des grands messieurs, très élégants, qui faisaient la musique autrement avec beaucoup d’intelligence, de très beaux textes, de belles mélodies, etc. Ils s’appelaient Los Nickelos… (NdR: rapprochant le plateau-repas qu’on lui a amené : ) Pardon de manger devant vous. Vous voulez une frite ?
Non, merci, j’ai déjà mangé.
Vous seriez pas un peu écologiste, non ?
Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Je ne sais pas. Vous avez quelque chose de ces gens-là. Vous me rappelez… Ushuaïa ou, comment encore ?… Ah oui, Koh Lanta ! Vous semblez faire partie de ces gens qui aiment se dépenser physiquement.
Vous aussi, vous êtes un peu sportif, non ?
Un peu oui. Dans ma jeunesse, j’étais excellent footballeur. Mieux que Hazard. Je dribblais grave.
Mais vous avez préféré faire des études que de vous lancer dans une carrière de footballeur.
Mon père voulait que j’ai un diplôme. Donc j’ai été étudié à l’Université de Kinshasa, une propédeutique en math-physique. J’adorais ça.
Pourquoi avoir fini alors chanteur?
A la demande générale. La clameur publique l’a emporté. J’avais écrit des chansons pour les stars de l’époque qui sont devenues des tubes. Le plus grand pour moi, c’était Papa Wemba. Il a interprété une quinzaine de mes chansons au début.
Je vais vous laisser manger, mais je voudrais encore vous demander quel regard vous portez sur la nouvelle génération d’artistes issus de la diaspora congolaise, et qui sont aujourd’hui des stars. Ce sont principalement des rappeurs. Le rap est une musique qui vous touche ?
Absolument. Je me suis même hasardé à rapper. Et cela n’a pas fait vomir les gens, hein. Mais oui, il y a des jeunes incroyables : Ninho, Gims, ou Stromae, etc. Ce sont vraiment des poètes, des génies. Je les respecte beaucoup. J’ai enregistré un duo avec Ninho, qui s’intitule Hercule. Il faut que l’on vous traduise le texte en lingala.
Vous avez déjà rencontré Damso aussi ?
Non, mais je n’ai pas besoin, c’est comme si on vit ensemble. C’est comme mon fils. Ils m’appellent tous le papa. Et quand on est père, c’est pour la vie…
Merci pour votre temps.
Merci à vous. Vous ne voulez toujours pas une frite ?