HIP HOP | Que signifie être Noir aux Etats-Unis en 2015? Attendu au tournant, Kendrick Lamar répond avec To Pimp A Butterfly, un 3e album passionnant de bout en bout, à la fois dense et intrépide.
Certains signes ne trompent pas. Le jour de sa parution, To Pimp A Butterfly a affolé la twittosphère, étourdi Spotify (record de streaming sur une seule journée)… Lâché une semaine avant la date officielle, il n’a cessé depuis de faire parler de lui, suscitant déjà des dizaines d’exégèses. Qui a dit que la musique ne se résumait plus aujourd’hui qu’à un objet de consommation?
Le premier miracle de To Pimp A Butterfly, 3e album studio de Kendrick Lamar, est d’abord de répondre aux attentes. Enormes en l’occurrence. Après good kid, m.A.A.d city, en 2012, le rappeur avait été intronisé nouveau king du rap US. Comment enchaîner après ça? Les relents pop d’un premier single, I, ont pu laisser certains sceptiques. Il ne faut toutefois pas plus de trois morceaux pour saisir que l’album file dans une toute autre direction. Dense, touffu, multipliant les couches et les lignes narratives, To Pimp A Butterfly impressionne d’abord par son intrépidité. Le pari est risqué. Il peut même laisser éventuellement à distance. S’y plonger est pourtant l’une des expériences musicales les plus passionnantes du moment.
Oncle George
Se passant de tout hit évident, l’album pétrole à la soul psyché seventies, au jazz et au p-funk cosmique de Parliament, Kendrick Lamar se raccrochant en cela à l’esprit des Great Black Music. Au risque de perdre la rue, lui qui a grandi dans les quartiers chauds de Compton? De s’embourgeoiser dans sa quête de crédibilité? Comme s’il fallait faire un choix entre les deux. Car, aussi ambitieux soit-il, To Pimp A Butterfly est d’abord et avant tout un disque viscéral. Une leçon de courage, qui interroge aussi bien les contradictions de son auteur que celles de la société américaine.
George Clinton himself introduit le disque: « are you really who they idolize? » Lamar est le premier à en douter, et à interroger son intégrité. « Loving you is complicated », s’énerve-t-il sur U, miroir inversé de l’autocélébration de I. Immanquablement, on repense à un autre chef-d’oeuvre récent: sur My Beautiful Dark Twisted Fantasy, Kanye West avouait déjà: « I’m so gifted at finding what I don’t like the most » (Runaway)… L’un et l’autre rappeur n’ont pas grand-chose à voir. A côté de Kanye West, as de la provoc’ et troll n°1 de la culture pop, Kendrick Lamar passe pour un exemple de pondération zen. Il ne faudrait pourtant pas s’y tromper: son verbe est cru, défiant, frondeur, citant Mandela et Martin Luther King, mais tout en conversant avec l’idole gangsta Tupac (Mortal Man).
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Dans l’Amérique de Ferguson, Lamar clashe ainsi le racisme ambiant. Car le pays a beau avoir un Président métisse, Obama loge toujours à la Maison Blanche. Sur The Blacker The Berry, le rappeur ne tergiverse pas: « You hate my people, your plan is to terminate my culture ». Sans faire l’impasse pour autant sur les responsabilités de sa propre communauté, rappelant que, davantage encore que les violences policières, c’est la guerre entre gangs qui fait le plus de victimes: « So why did I weep when Trayvon Martin was in the street? When gang banging make me kill a nigga blacker than me? Hypocrite! »
S’aimer est compliqué, répète Kendrick Lamar. Surtout quand on naît Noir aux Etats-Unis… C’est ce que raconte Pimp The Butterfly. De la manière la plus magistrale qui soit.
Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly, distribué par Universal. En concert le 9/07, aux Ardentes, Liège.
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