Bouffé par un égo surdimensionné, Kanye West y trouve aussi le moteur d’un nouvel album audacieux, plaque d’électro-rap étouffante. Yeezus loves you. Vraiment?
Il y a d’abord le bruit. Avant même la première note d’ailleurs. A peine annoncé, le nouvel album de Kanye West a déjà provoqué un beau vacarme. Ne serait-ce que par son titre christique, nouvelle preuve de la mégalomanie du rappeur. A cet égard, il y a quelque chose d’insensé, de profondément masochiste, à voir Kanye West tendre ainsi le bâton pour se faire battre. On se souvient de la couverture du Rolling Stone de février 2006, sur laquelle West rejouait la Passion du Christ, enfilant la couronne d’épines, le visage ensanglanté. Aujourd’hui, ‘Ye insiste, joue la surenchère, à la manière d’un Mohammed Ali au regard exorbité, vantard et provocateur. Dans sa dernière interview-fleuve, donnée au New York Times, le rappeur superstar jongle ainsi en permanence entre outrances et confessions désarmantes, se profilant à la fois comme un monstre de boulot et une boule de frustrations que rien ne semble pouvoir apaiser…
Psycho
Au barouf médiatique, West enchaîne en ajoutant du bruit au bruit. Dès les première secondes de Yeezus, il saute aux oreilles. On Sight s’ouvre sur une décharge électrique grésillante. Les circuits crépitent, le plastique fond. Entrecoupé d’un sample soul incongru, le groove est signé Daft Punk: pas celui de Get Lucky, mais bien la version plus abrasive et minimaliste de Rollin’ & Scratchin’. Les Français mettent encore la main sur les deux morceaux suivants. Black Skinhead sonne comme une sorte de relecture flippante du Rock and Roll de Gary Glitter (?!). I Am God voit Kanye West définitivement partir en vrille. Ego trip et surenchère ultra-lol. Trop énorme en tout cas pour être pris tout à fait au sérieux: « I am a God/So hurry up with my damn massage ». Tout à coup, la musique s’arrête: un cri d’effroi, animal, haletant. Kanye West passe en mode Thriller, mais sans les tubes. On voit mal en effet quel morceau le rappeur pourrait éventuellement placer en radio, tant Yeezus sonne âpre, rêche. Et à vrai dire, c’est aussi ce qui le rend passionnant…
Cela fait longtemps que le hip hop a mis la main sur la manne électro-dance. Souvent pour le pire, rameutant les gros bateleurs, genre David Guetta ou Calvin Harris. Sur Yeezus, West invite lui non seulement Daft Punk, mais aussi Hudson Mohawke ou Gesaffelstein. Pas de gaudrioles eurodance au programme. A la place, le rappeur crache son venin sur fond de paysages électroniques fracturés: réminiscences techno, angoisses acid house, ou trap music malsaine. Le tout est vaguement contrebalancé par les falsettos désabusés de Bon Iver ou Frank Ocean…
L’album se termine avec Bound 2 et son sample de Ponderosa One Plus One, groupe obscur pressenti dans les années 70 pour devenir les nouveaux Jackson 5, avant de se faire broyer par le music business. Le morceau est l’exception funky dans un album acerbe et souvent étouffant. Un peu comme 808’s & Heartbreak (2008), Yeezus montre ainsi Kanye West dans ce qu’il a de plus frondeur et névrosé. C’est à la fois épuisant et éblouissant. Autiste aussi, dans ce besoin d’hurler, jusqu’au ridicule parfois, sa liberté artistique et son besoin de marquer l’histoire pop. Et c’est vrai qu’à force, l’animal risque bien d’y arriver…
KANYE WEST, YEEZUS, DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ****
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