Jeffrey Lewis, compositeur et dessinateur de BD: «Pour moi, le trait d’union entre le punk, le folk et la BD, c’est l’accessibilité»

Jeffrey Lewis, un artiste à double facette: compositeur et dessinateur de BD.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

A presque 50 ans, Jeffrey Lewis n’a rien perdu de son charme. Compositeur génial et formidable dessinateur de BD, la légende de l’antifolk new-yorkais sort The Even More Freewheelin’ Jeffrey Lewis.

Samedi, 9 heures du matin en Belgique, 16 heures sur la cote Ouest de l’Australie. Jeffrey Lewis arrive doucement au bout de sa tournée au pays des koalas et des kangourous. Il a filé son numéro de téléphone sans heure de rendez-vous et décroche du premier coup. «Ça tombe bien. Notre avion vient d’arriver à Perth et j’ai deux heures devant moi.» Tout semble toujours simple avec le troubadour new-yorkais. Lewis, qui ne s’était pas fait prier pour rendre hommage en images à Leonard Cohen dans le numéro spécial que Focus lui a consacré à son décès, est le roi des bricoleurs et du do-it-yourself. Il tourne régulièrement tout seul, abandonne ses BD et ses disques sans se tracasser sur une table pendant ses concerts.

«Heureusement, on n’a pas croisé de flics. Faut dire qu’on s’est dépêchés.»

Dessinateur underground et figure tutélaire de l’antifolk, scène anti pète-sec mélangeant le folk et le punk qui a germé dans les années 1980 et secoué New York au tournant du siècle, Jeffrey Lewis est l’un des singer-songwriters les plus brillants et attachants de sa génération. «Le meilleur parolier américain contemporain», dixit Jarvis Cocker, le chanteur de Pulp, qui en connait un rayon sur la question. Alors que le nom de Bob Dylan est sur toutes lèvres (merci A Complete Unknown), le bientôt quinquagénaire sort en cette fin mars son nouvel album: The Even More Freewheelin Jeffrey Lewis. Un clin d’œil, pochette dénudée comprise, réalisée sans trucage à Manhattan. «Le film est une coïncidence. A la base, la sortie de l’album devait correspondre aux 60 ans de The Freewheelin’ Bob Dylan, mais on a pris du retard. J’aurais voulu de la neige comme sur la pochette originale mais c’est devenu rare dans les rues de New York, avec le réchauffement climatique. Heureusement, on n’a pas croisé de flics. Faut dire qu’on s’est dépêchés. On a est allés prendre la photo très tôt le matin. Je pensais qu’il n’y aurait personne. Mais New York reste New York.» 

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Fils de hippies

Si la ville ne dort jamais, il en va sans doute aussi ainsi de Jeffrey Lewis, à en juger par sa production musicale et picturale. «Pendant la pandémie, je n’avais rien d’autre à faire que de bosser, raconte-t-il depuis l’autre bout de la planète. Alors, je me suis occupé. J’ai écrit beaucoup de chansons. J’ai énormément dessiné. Et quand j’ai pu retrouver mon groupe, on a mis l’album en boîte en quatre jours à Nashville. Ça sonne très acoustique un peu comme mes premiers disques, quand je fabriquais des chansons dans ma chambre. Pendant le confinement, j’ai posté plein de morceaux sur Bandcamp. Et ça m’a ramené à cette immédiateté. A l’époque où j’en faisais des cassettes. Elles ne coûtaient rien mais j’étais tellement fauché que j’avais quand même du mal à me les payer.»

Fils d’une enseignante et d’un gars qui vivait de petits boulots accompagnant par exemple sur la route les Bush Tetras («elles vivaient dans le quartier»), Jeffrey est né le 20 novembre 1975 à New York et a grandi dans une relative pauvreté. «Je suis un fils de hippies. Je n’avais pas de fringue à la mode et je n’allais pas chez le coiffeur. J’ai toujours été en décalage à l’école. Puis à la maison, on n’a jamais eu de télévision. Par contre, on y trouvait plein de livres. J’ai de tout temps beaucoup lu et j’ai très tôt commencé à dessiner.» A 13 ans, Jeffrey gagnait un concours de posters et dépensait son prix de 50 dollars en bandes dessinées. Il a embrassé l’univers de la BD bien avant de se frotter au monde de la musique.

«J’ai de tout temps beaucoup lu et j’ai très tôt commencé à dessiner.»

«La musique est arrivée avec les Stones, les Beatles, Dylan, Hendrix.» S’il chinait alors les vinyles à bas prix («à l’époque, tout le monde s’en séparait»), Lewis n’a commencé à écrire des chansons qu’après être sorti de l’université et avoir découvert l’œuvre de Daniel Johnston. «Son approche me parlait. Je n’avais pas beaucoup d’amis en ville. Je ne savais pas chanter. Je ne savais pas jouer. Mais je me suis mis à composer des chansons dans la même chambre que celle où je dessinais mes comics. A la base, je vendais mes BD dans Washington Square et je jouais mes morceaux à l’open mic (NDLR: scène ouverte à tous) du Sidewalk Cafe.» Bar de l’East Village, le Sidewalk est aujourd’hui considéré comme le berceau du mouvement antifolk, de cette musique brute, sans filtre.

«Je passe généralement plus de temps dans le packaging que dans l’enregistrement.»

Chansons illustrées

Alors qu’il recevait des lettres de refus des éditeurs pour ses bandes dessinées, sa musique a rapidement suscité l’intérêt. Jusqu’à lui permettre de rejoindre l’écurie Rough Trade. «Kimya Dawson, Adam Green et leurs Moldy Peaches qui fréquentaient le Sidewalk se sont mis à jouer dans des endroits de plus en plus grands. Ils ont signé sur le label britannique et ont explosé. Ce sont eux qui m’ont recommandé. Les Herman Dune aussi ont été très importants pour moi. Ils m’ont ouvert les portes de l’Europe

Lewis, adepte de l’autoédition (sa bande dessinée est irrésistible), jongle avec les supports. Il s’est distingué avec ses chansons illustrées, faisant défiler ses dessins sur scène pour illustrer ses morceaux. «Je passe généralement plus de temps dans le packaging que dans l’enregistrement», sourit-il.

«Pour moi, le trait d’union entre le punk, le folk et la BD, c’est l’accessibilité.»

Jeffrey est un spécialiste de Watchmen. Il a donné des conférences sur le sujet (celui de son travail de fin d’études) jusqu’à l’université de Leuven. Loquace, il parle d’Alan Moore, de super-héros, partage son amour pour The Fall, Syd Barrett, Jonathan Richman, Lou Reed mais aussi Frank Miller, Daniel Clowes et Jon Allen… Il compare la simplification de la BD par Charles Schulz à celle du punk-rock et estime que Chester Brown et Peepshow de Joe Matt ont exercé autant d’influence sur ses chansons que Bob Dylan ou n’importe quel songwriter. «Pour moi, le trait d’union entre le punk, le folk et la BD, c’est l’accessibilité. L’accessibilité en matière de création. Ils ne sont pas chers à faire et sont faciles à comprendre. Tu peux photocopier tes dessins, te produire devant les gens aisément sur des scènes ouvertes.»

Aficionado du simple, du bon marché et de l’artisanat («tu peux faire ce que je fais dans la rue; ce n’est pas du ballet, de la musique classique ou du jazz»), le génial Américain y voit aussi un moyen de rire de ses problèmes. Une belle occasion de nous faire oublier les nôtres.

Le 3 mai aux Aralunaires, à Arlon, et le 17 mai aux Nuits Botanique, à Bruxelles.

 

ANTIFOLK

The Even More Freewheelin’ Jeffrey Lewis

De Jeffrey Lewis

Distribué par Blang Records/Konkurrent.

La cote de Focus: 4/5

Il y a des artistes qui à aucun moment ne déçoivent ou lassent et Jeffrey Lewis fait assurément partie de ce cercle très fermé depuis la sortie, en 2001, de son premier album officiel The Last Time I Did Acid I Went Insane. Enregistré à Nashville avec ses musiciens de tournée Brent Cole (batterie), Mem Pahl (basse) et Mallory Feuer (violon, clavier) sous la houlette de Roger Moutenot (producteur historique de Yo La Tengo), The Even More Freewheelin’ Jeffrey Lewis n’en est pas moins un disque plutôt solitaire et acoustique. Un disque comme toujours teinté d’humour, d’un tas de références et d’autodérision. Movie Date fera chavirer les cœurs des amateurs de cinéma. Sometimes Life Hits You, plus rock, parlera aux fans des Modern Lovers. Freestyle…

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