Laurent Raphaël
Jean-Louis Murat: adieu le matou
En 2014, Jean-Louis Murat nous recevait chez lui, dans son Auvergne volcanique. Avec son franc-parler légendaire, il enfilait les perles -arêtes comprises- sur sa musique, sur la mort, sur le cinéma et l’actualité culturelle en général. En préambule à cette rencontre minérale, on lui dressait le portrait façon horoscope chinois. Un hommage au pirate de la chanson française qu’on relit les yeux embués.
Si Murat était un animal, ce serait forcément un chat. Pas un de ces minets gavés de croquettes et de caresses qui traînent leur poil soyeux et leur ennui d’une pièce à l’autre dans les appartements bourgeois. Plutôt un matou de gouttière aux griffes acérées et à la langue bien pendue. De son regard perçant couleur méditerranée, il scrute le monde avec la morgue de ceux qui ont traversé toutes les tempêtes sentimentales et connu l’extase des grands fonds émotionnels au contact de l’Art avec un grand A. J’ai fréquenté la beauté, confesse-t-il d’ailleurs sur son l’album Babel en 2014. Le retour sur terre est souvent douloureux…
Allergique à la banalité et à la médiocrité, il ne jure que par la fougue et l’exaltation, le mistrigri auvergnat puisant dans la tension permanente une sorte d’équilibre inflammable. La tiédeur, très peu pour lui. Et tant pis, ou même tant mieux, si ses sentences péremptoires, sur ses concitoyens, sur les politiques, sur ses confrères, sur la bande dessinée ou sur les femmes, lui valent une réputation de chat mal léché cultivant sa misanthropie avec un sens aigu de la provoc.
Son truc à lui, c’est l’absolu, les étoiles plutôt que le ciel, les reliefs plutôt que la morne plaine. Il a cette intransigeance des autodidactes qui ne comprennent pas qu’on se contente de flotter à la surface du monde au gré des courants dominants quand on peut avec un peu de volonté se plonger corps et âme dans les chefs-d’oeuvre de la littérature, de la peinture ou de la musique. A côtoyer Proust, Nietzsche ou Goethe, les mots creux dont raffole l’époque le font bondir sur ses pattes élimées, prêt à en découdre une fois encore.
On aurait vite fait d’enfermer ce félin peu commode dans la cage des aigris. C’est sans compter sur sa face plus solaire, celle qui voit dans la contemplation de la nature et la fréquentation de l’art matière à émerveillement et à rédemption. D’où cette sève boisée qui coule dans les veines de ses disques et leur donne une patine poétique portée sur la mélancolie. Comme si la joie espérée portait en elle les germes de la tristesse. Ou vice versa. S’il n’attend rien de bon d’un monde mou et consensuel, cela ne l’empêche pas de clamer de cette voix traînante qui charrie les alluvions de la sincérité son attachement à la terre nourricière comme à ses peines de coeur.
La routine est son ennemi. Il la fuit pour ne pas s’y engluer, conscient sans doute qu’elle pourrait l’aspirer au moindre relâchement. Désuet dans son attachement et son admiration pour les classiques, il jongle avec les contradictions, ce qui le raccroche au train à grande vitesse de son temps. Tantôt romantique, tantôt franchement réac, tantôt sensuel, tantôt macho, tantôt raffiné, tantôt vulgaire, ce minou-là ne se laisse pas facilement cerner. Agaçant et touchant à la fois, sauvage et indépendant, narcissique toujours, il veille jalousement sur le territoire de ces écorchés vifs, de Baudelaire à Ferré, qui lui ont tendu une torche dans les ténèbres. M Maudit comme le poète… Il a désormais rejoint ses maîtres.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici