Jamie xx sur son nouvel album: «L’existence aussi est faite de vagues»
Neuf ans après son dernier album solo, Jamie xx surfe sur In Waves avec un enthousiasme renouvelé sur les remous de l’existence et de la musique.
« Ces canapés sont bizarres, hein, presque trop confortables pour qu’on s’y asseye« , s’amuse Jamie « xx » Smith dans sa chambre d’hôtel bruxelloise, quand il nous voit nous débattre pour essayer de rester droit dans l’élégant siège moelleux. Le ton de l’interview est donné. Le Jamie qui nous parle pendant la demi-heure suivante a l’air très à l’aise, nous regarde droit dans les yeux, parle de manière fluide, avec assurance et souvent sans mâcher ses mots. Un grand contraste avec la dernière fois que nous avons glissé un enregistreur sous le nez du producteur britannique, au printemps 2015. C’était à l’occasion de la sortie de In Colour, l’album solo avec lequel Jamie Smith, alors âgé de 26 ans, était sorti pour la première fois des rangs de The xx, le trio qu’il forme depuis 2006 avec ses amis d’enfance Romy Madley Croft et Oliver Sim. En 2015, Jamie Smith collait encore à 100 % avec l’image timide et timorée que The xx donnait en tant que groupe débutant. Regard fuyant, voix basse, à la limite du chuchotement, et très réservé. Mais les choses ont bien changé pour lui, et son nouvel album In Waves semble être la preuve de ce changement. In Colour, l’album avec lequel Jamie Smith s’est éloigné de l’image sombre que lui et ses coéquipiers dégageaient à l’époque avec leurs chansons minimalistes, était une lettre d’amour à la riche scène dance londonienne. In Waves est pour sa part un album dont le titre est censé refléter son évolution personnelle. « On peut y voir une référence aux ondes sonores, bien sûr, dit-il. Mais l’existence aussi est faite de vagues, avec des hauts et des bas. Beaucoup de choses ont changé dans ma vie depuis la sortie de In Colour. Je me suis frayé un chemin dans ces eaux parfois agitées, en apprenant qu’après chaque creux, il y a un moment où on remonte. » Évolution, croissance, transformation: c’était aussi les thèmes centraux de Hideous Bastard (2022) et Mid Air (2023), les albums solo de Sim et Madley Croft, auxquels Jamie a collaboré. Mais il reste avant tout un producteur, moins un auteur-compositeur. Plus un magicien des manettes qu’un virtuose des lettres.
Quels sont les éléments qui, sur In Waves, permettent de déchiffrer ces expériences de ce flux ascendant et descendant dans votre vie?
En grande partie dans les passages en spoken word des différents artistes que j’ai invités. Presque tous font référence à la quête d’un bien-être mental, une quête que beaucoup de gens de ma génération partagent. Un voyage au cours duquel on tombe aussi sur pas mal de choses agaçantes en chemin.
Comme par exemple?
Comme ces podcasts très sérieux et pesants dans lesquels on peut facilement se perdre. Il y a d’innombrables guides bien intentionnés pour vous aider sur le chemin d’une vie meilleure (rires). J’en ai écouté beaucoup dans ma quête pour devenir une personne plus heureuse et plus calme. En y ajoutant ma propre touche, je dois dire. Car les leçons de vie profondes et sincères peuvent être bonnes et utiles, mais se défoncer sur la piste de danse l’est tout autant. Les deux peuvent être bénéfiques pour votre bien-être, je pense. S’échapper un peu du quotidien, ça contribue à l’équilibre. C’est ça que je veux transmettre. Parce qu’il y a eu des moments où j’ai vraiment essayé de vivre très sainement, en suivant toutes les « règles »… et au final, ça m’a déprimé (rires).
Après Oliver et Romy, vous êtes le troisième membre des xx à sortir un album sur le thème de l’épanouissement personnel. Est-ce que ça impacte votre prochain album en tant que groupe, qui est actuellement en préparation?
Comme j’avais déjà fait un album solo, c’était particulièrement important pour Oli et Romy de repousser leurs limites. Nous avons pris de la distance les uns par rapport aux autres, afin d’avoir plus de défis et de marge de manœuvre lorsque nous nous retrouverions tous les trois. Personnellement, j’ai l’impression de pouvoir me laisser aller davantage, d’essayer de moins garder le contrôle sur le résultat final.
“Jamie a de la concurrence”, avait déclaré Romy dans ce magazine, à propos des étapes qu’elle a franchies pour s’autoproduire. “Et c’est peut-être une bonne chose”, avait-elle ajouté en riant.
Mais oui! (rires) Être un peu plus challengé, c’est positif. Romy avait effectivement déjà travaillé sur des samples en studio, des idées que nous utilisons ensuite comme base pour les mélodies vocales. Nous sommes vraiment dans une période très libre en ce moment avec The xx, sans trop de paramètres prédéterminés.
Sur In Waves, vous avez collaboré avec une multitude d’artistes invités, Robyn, Panda Bear, mais aussi les Australiens de The Avalanches sur le titre All You Children. Vous n’aviez que 12 ans lorsque leur premier album, le culte Since I Left You, est sorti, en 2000. Étiez-vous déjà fan à l’époque?
Oui. En fait, c’est un des premiers albums que j’ai achetés en CD. J’aimais particulièrement le mystère qui entourait le groupe, la musique et la manière dont elle était faite. C’est en disséquant cet album que j’ai appris à échantillonner et à faire de la musique avec un ordinateur. J’étais vraiment obsédé par ça. Et puis, il y avait aussi Endtroducing de DJ Shadow, et les sorties de J Dilla.
Est-ce que Paul’s Boutique, le deuxième album des Beastie Boys, bourré de samples, fait partie de cette liste?
Absolument! J’en ai parlé avec Mike D. Il m’a dit qu’ils avaient travaillé dessus pendant très longtemps et qu’à la longue, c’était devenu tellement complexe que ça ne sonnait presque plus comme de la musique à leurs oreilles. Un sentiment que je peux très bien comprendre (sourire).
Où avez-vous rencontré Mike D?
On va parfois surfer ensemble, avec d’autres personnes.
Sur la côte anglaise?
Mais non, à Los Angeles! J’ai une maison là-bas et j’y vis une partie de l’année.
Jamie xx qui surfe à Los Angeles, il faut un peu de temps pour se faire à l’idée… Il y a neuf ans, vous disiez à quel point vous étiez attaché à Londres. “Je ne quitterais la ville pour aucun paradis tropical”…
Pendant longtemps, je me suis senti perdu, à plusieurs niveaux. J’étais triste et à un moment donné, j’ai pensé que c’était peut-être lié à Londres. Je faisais déjà un peu de surf à l’époque, et je me suis retrouvé à Los Angeles, le meilleur spot de surf du monde. Ça fait maintenant deux ans que j’ai cette maison, à 45 minutes en voiture de la plage, et j’aime vraiment cette ville. Exactement pour les raisons opposées qui font que j’aime tant Londres, plus que jamais, d’ailleurs. Une question de changement, d’équilibre…
Pour le single Baddy on the Floor, vous avez collaboré avec la DJ et productrice américaine Honey Dijon. Vous aviez entendu ses contributions à l’album Renaissance de Beyoncé et vous vous êtes dit: je veux ça aussi?
Pas vraiment, non (rires). La collaboration est née lorsque Honey m’a contacté alors que j’étais à Los Angeles pendant le confinement. Elle voulait qu’on fasse quelque chose ensemble. Et pour moi, c’était un soulagement de faire de la musique qui ne partait pas complètement de moi pour une fois. Ce morceau a fini par ouvrir la porte à cet album.
Qu’avez-vous pensé, en tant que producteur et DJ, de Renaissance, acclamé partout?
Au niveau de la production, l’album a ses bons moments, surtout dans les passages moins poppy. Mais dans l’ensemble, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Beyoncé est une pop star, bien sûr, et les pop stars changent simplement de style d’un album à l’autre. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que l’album ait une base sincère et personnelle. Et, à vrai dire, je me demande quand Beyoncé est allée pour la dernière fois en club…
À ce propos, printemps dernier, vous avez eu votre propre pop-up club à Londres, The Floor, pendant dix nuits. Un rêve d’enfant?
La réalité s’est avérée plus belle que mon rêve! L’idée était de raviver l’esprit de Plastic People, le club que j’ai fréquenté pendant des années et où je me suis fait plein d’amis. Des gens comme Kieran (Hebden, alias Four Tet, NDLR), Dan Snaith (alias Caribou) et Sam Sheperd (alias Floating Points). C’était vraiment le genre d’endroit -il y avait de la place pour environ 300 personnes- où vous pouviez entrer un week-end au hasard, et vivre la meilleure et la plus inspirante expérience de club de votre vie. Tout était possible à Plastic People, et en même temps, c’était une atmosphère, un public, une expérience très spécifiques. On ne trouve plus vraiment des clubs comme ça. Aujourd’hui, tout est devenu un mélange de genres, de personnes et d’endroits. Trouver sa propre tribu, créer sa propre scène… Plus personne ne semble prêt à s’investir là-dedans. Tout est partout, tout le temps, à cause d’Internet. Ou alors je suis devenu un vieux schnock de 35 ans et je ne suis plus au courant de ce qui se passe? C’est possible aussi (rires).
Le dernier morceau d’In Waves, Falling Together, fait penser au skate. Est-ce que vous faites aussi du skate à Los Angeles? Ou juste du surf?
Je ne monte plus que très rarement sur un skateboard. Je suis devenu trop fragile, j’avoue.
Jamie xx, In Waves, distribué par Young. ****
Jamie Smith fait ça comme personne: entremêler les genres dance, de manière à ne jamais sacrifier l’impact émotionnel à l’inventivité musicale et aux kicks rythmiques, ou inversement. Un sample soul de 1975 comme fil rouge dans Treat Each Other Right, le collage pop aux envolées printanières de Dafodil, un extravagant habillage disco dans Life, où la façon dont il dépoussière le tube sixties Nights in White Satin en lui donnant les contours d’un classique rave du label R&S, dans Still Summer: Smith se balade chaque fois en funambule aguerri sur la fine ligne entre le sentiment et l’extase. Autre perle: Waited All Night, qui avec le soutien vocal de ses comparses de xx lorgne du côté d’Everything But The Girl.
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