Ino Casablanca, rappeur franc-tireur : entretien avant son concert au Fifty Lab

Ino Casablanca sera de la partie au Fifty Lab, à Bruxelles © D.R.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ino Casablanca renverse la table sur ses deux derniers EP, Tamara et Extasia, posant son flow nonchalant sur des rythmes « transméditerranéens ». Discussion avant son passage ce vendredi, à Bruxelles, au Fifty Lab.  

Rap anno 2025, morne plaine. Entre superstars à bout de souffle, accusations de violences sexuelles en pagaille, ou encore l’enquête-choc sur les relations entre l’industrie et le crime organisé (le livre Emprise), le genre-roi a la gueule de bois. Du moins si l’on s’arrête à la vitrine principale. Car, comme souvent, dans l’arrière-­boutique, cela bouge toujours. Et même plus que jamais, avec des propositions qui bousculent les habitudes –celles du rap, voire de la pop en général. Le 10 octobre dernier, par exemple, alors que Femtogo, Ptite Sœur et neophron traumatisaient tout le monde avec leur terrifiant Pretty Dollcorpse, Ino Casablanca publiait, lui, Extasia. Soit son deuxième projet de l’année, après Tamara, paru au printemps.

En tout, cela fait deux fois dix morceaux. Et quasi autant de couleurs musicales différentes. Du baile funk de Nouvo groove au smooth funk de Degrés Fahrenheit, en passant par les déhanchements compas de KitléExtasia est encore ce genre d’album dont la pochette peut rappeler les cassettes des stars du raï des années 1980, et citer PNL et Jacques Brel dans la même phrase. 

Ino Casablanca, enfant de YouTube

Ino Casablanca ne reste jamais longtemps en place. Peut-être parce que dans sa vie, il a régulièrement dû bouger. D’origine marocaine, le rappeur naît en 2000 en Espagne, près de Barcelone. C’est la crise économique qui, à la fin de la décennie, pousse la famille à aller voir ailleurs, en France : Ino Casablanca a 12 ans quand il débarque du côté de Montauban. La musique est déjà là. Dès ses 4 ans, le paternel lui met dans les mains un violon, «l’instrument de référence dans la culture arabe». Il le pratique jusqu’au conservatoire. Entre-temps, le rap a pris de plus en plus de place. «J’étais fasciné par sa manière, très brute, de décrire la réalité, sans avoir besoin de passer par de la pseudo-­poésie.» Ino Casablanca a trouvé son médium. Internet fera le reste. «En vérité, je suis un enfant de YouTube. C’est par là que je me suis fait ma culture musicale.»

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En 2022, entre deux TP de chimie, il sort un premier EP autoproduit, Demna. Déjà affranchi des codes du rap stricto sensu, mais encore contraint par certains formats pop, il peine à se faire remarquer. Faux départ. «Je suis passé par une grosse période de remise en question. Je me suis pris quelques tartes aussi: j’ai arrêté mes études, quitté le foyer familial, vécu une rupture amoureuse… Tout cela fait forcément grandir.»

Nouvelle ère

Trois ans plus tard, Ino Casablanca se jette à l’eau. Sur Tamara, puis Extasia, le flow timide s’est transformé en flegme nonchalant. L’ouverture musicale est totale. Elle s’inspire, entre autres, de celle pratiquée par une chanteuse comme Rosalía. «A une période où je me cherchais artistiquement, elle a fait partie de ceux qui m’ont montré qu’il était possible de développer une singularité, tout en parlant à tout le monde.»

L’objectif est donc bien de «faire ce qu’on veut, tout en restant compréhensible». Peut-être pas par les esprits étroits –«Fuck les porcs et les lepenistes», précise-t-il sur Paraplui, histoire d’éviter les éventuels malentendus. Mais en tout cas par les oreilles curieuses. Sur Tamara et Extasia, elles tomberont sur un rappeur s’éclatant à passer d’un groove à l’autre, avec une désinvolture et un naturel assez bluffants. A cet égard, on peut rapprocher la démarche d’Ino Casablanca de celle d’autres nouveaux venus, telles la Belge Camille Yembe –«Elle est trop forte»– ou le phénomène Theodora.

Ino superstar

Soit une génération d’artistes nés avec le Net, pour qui les lignes de démarcation habituelles se sont floutées. «Les temps changent. Je pense qu’il y a une série de profils qui étaient peut-être encore considérés comme atypiques jusqu’ici, qui le sont de moins en moins. Il y aura même un moment où tout ce côté « ils brisent les frontières » ne sera plus vraiment pertinent. Ce sera juste la normalité. En tout cas, c’est déjà celle de gens comme moi. C’est ce que je vis au quotidien, il n’y a pas de ­posture.»

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Il y a trois ans, sur son premier essai, Ino Casablanca ne se faisais pas trop d’illusions: «Tant de mal pour un projet qui ne fera aucun stream» (Sulfureux). Aujourd’hui, il se fait plus conquérant: «Fuck faire de la musique de niche, moi, je vais être une superstar» (Paraplui). Qu’est-ce qui lui a permis de s’accrocher entre les deux? «Bonne question… Je crois qu’il faut garder en tête l’éventualité de ne pas y arriver.» Ah oui? «Tout à fait. Personnellement, tout le discours « poursuis tes rêves, crois en toi » qu’on entend tout le temps a tendance à m’agacer. A la base, on se dit tous qu’on va réussir! Ce n’est donc pas ça, le moteur. Mais plutôt la passion que l’on met dans son art. Bien sûr que j’ai envie que ma musique se propage. Mais ce qui est vraiment intéressant, c’est pas tellement la finalité, mais le chemin.» Il s’annonce brillant. ●

FIFTY LAB, C’EST DÉJÀ DEMAIN

Ino Casablanca sera donc en concert à Bruxelles ce vendredi, dans le cadre du Fifty Lab. Un casting logique: depuis son lancement en 2019, le festival s’est donné pour mission de servir de tremplin pour les talents émergents. Jusqu’au 14 novembre, le Fifty Lab a ainsi goupillé une soixantaine de concerts, répartis entre quatre lieux du centre-ville.

Pour se faire une idée de ce qui agite la marmite musicale du moment, pas question ici de se laisser guider par les algorithmes. Le Lab fait plutôt confiance à ses curateurs. Cette année, la progra a été confectionnée avec le concours du Grünt festival (Paris), Osheaga (Montréal), Brick Lane Jazz (Londres), etc.  Chacun a nourri une affiche qui mélange les genres, de la pop décalée du Franco-Américain blasé au rap menaçant made in UK de Florence Sinclair, en passant par le collectif soul irlandais Bricknasty. ●

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