
Iliona sort enfin son premier album: « Je me suis interdit d’enrober ou d’enjoliver »
Sur tous les radars de la chanson depuis cinq ans, la Bruxelloise Iliona sort enfin son premier album, What If I Break Up with U. Un disque de rupture(s) à la fois générationnel et intemporel, aux mélodies intimistes étincelantes.
Bruxelles, début février. Ilona reçoit dans un grand hôtel smart du quartier nord. Ancien QG seventies d’IBM, la tour brutaliste abrite l’un des rooftops les plus courus de la capitale. Pas de chance: ce jour-là, le ciel est belge, couleur serpillière. Ilona en fait même une story Insta. Amusée, peut-être même –qui sait?– rassurée que certains repères ne bougent pas, quand tout s’accélère autour d’elle. Car le panorama a beau être bouché, l’horizon est, lui, bien dégagé. De là où elle est, Iliona a même une vue directe sur Paris.
Son premier album What If I Break Up with U n’a beau sortir que cette semaine, cela fait un moment qu’il est teasé et annoncé comme l’un des disques francophones de 2025. D’ailleurs, en France, la Bruxelloise a déjà fait un premier tour des «médias qui comptent» –de France Inter à Quotidien, en passant par Konbini. Résultat: prévu en novembre, son concert à l’Olympia a rapidement affiché complet, au point de devoir rajouter une deuxième date.
Iliona, enfant du web
On les connaît, ces engouements. Et on ne vous en voudra pas d’éventuellement vous méfier. Sur What If I Break Up with U, le talent d’Iliona, 24 ans, est pourtant indéniable. Il tient à quoi? A des mélodies intimistes et volontiers cinématographiques, ranimant les archétypes d’une certaine chanson pour mieux les plonger dans un bain de modernité. Vous entendez Françoise Hardy? Elle évoque Frank Ocean. Vous pensez à Barbara ou Véronique Sanson? Elle cite James Blake, ou raconte qu’en composant son album, elle a beaucoup écouté les «premiers EP de Gracie Abrams ou de l’album Rx de Role Model». Deux stars vingtenaires américaines, «on ne peut plus américaines, avec un songwriting couplet-refrain hyper standard, voire parfois un peu simpliste. Mais ils ont une manière de parler d’échecs amoureux qui me touchait, avec des mots très simples et directs qui sonnent du coup très vrais. Quelque part, cela m’a autorisée à exprimer des choses de manière plus franche, comme je n’aurais sans doute pas osé le dire auparavant.»
Vu d’ici, les chansons joliment cabossées d’Iliona n’ont pourtant pas grand-chose à voir avec les gros blockbusters à l’américaine. Toujours accessibles, maniant l’art de la pirouette mélodique qui fait mouche, elles ne cachent pas leur part d’ombre. Au contraire, elles en jouent. Mais on comprend un peu mieux pourquoi Iliona s’est amusée à donner à son premier album un titre en anglais. «Dans les artistes francophones que j’écoute, beaucoup l’utilisent aussi. A certains endroits, cela permet également de mettre un peu de distance avec le sujet de la chanson ou de ne pas sonner trop premier degré. Et puis, c’est la culture Web tout simplement, que de parler en anglais, d’utiliser des abréviations en anglais, etc.» Or, la culture Web, Iliona Roulin, née à Bruxelles en 2000, est forcément tombée dedans quand elle était petite. «C’est vraiment une partie importante de ma vie.» Et donc de sa musique…
Back to black
En remontant le fil biographique de la chanteuse, on comprend que le piano est son instrument-boussole. Mais en vérité, Iliona n’a pris des cours que pendant une paire d’années, vers 8 ans. Pour le reste, c’est bien sur YouTube qu’elle s’est formée. Ado, elle y enfile les tutos, élargit sa culture musicale, trouve sa voix en chantant sur les vidéos karaoké, poste ses propres reprises, apprend à manier des logiciels de production. A 20 ans, elle est prête à se jeter à l’eau.
En mars 2020, elle publie un premier morceau: J’ai du mal. Quelques semaines plus tard, elle enchaîne avec Rattrape-moi, puis Moins joli. Pour le clip en noir et blanc, elle se plante simplement derrière un piano à queue, robe couleur corbeau à la Juliette Greco, mèche crayeuse façon Amy Winehouse. Le meilleur des deux mondes. Les accolades se multiplient rapidement: elles viennent de têtes d’affiche comme Benjamin Biolay, Julien Doré ou Vincent Delerm. Plus tard, l’enthousiasme débordera même de la francophonie: les chansons d’Iliona accrochent par exemple l’oreille de l’Anglais Dev Hynes, alias Blood Orange.
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Signée sur le label indépendant français Artside, elle va publier deux EP: Tristesse (2021) et Tête brûlée (2022). Chacun multipliant les angles, traçant des ponts entre canons fifties et autotune, chanson post-yéyé et r’n’b de chambre. Rencontrée pour la sortie du premier, elle revenait alors sur l’emballement. «Quand j’ai sorti ma première chanson, j’ai été contactée par beaucoup de monde. C’était un peu la panique. C’était pendant le premier confinement, j’étais chez mes parents. Toute la journée, je répondais au téléphone, je prenais des notes, en essayant de comprendre de quoi on me parlait. J’étais paumée.»
Le jour d’après
Iliona a fini par atterrir. Mais pas forcément à se poser. C’est du moins la conclusion que l’on tire en écoutant son premier album. Et notamment le morceau 23, qui donne l’air d’énumérer les galères accumulées ces dernières années –des rapprochements toxiques («le premier me vole de la thune, il aime les adolescentes») au contrat foireux («Je crie victoire et m’envole/pour quelques pièces en carton»). «C’est un morceau que j’ai écrit le jour de mes 23 ans. Dans ma tête, l’album était fini. Mais j’avais quand même cette sensation qu’il manquait quelque chose. Un moment où je me parle à moi-même de manière très frontale, et où je fais un peu le bilan de tout ce qui s’est passé. Je sentais que j’avais guéri certaines blessures, que j’arrivais au bout d’un cycle. Donc je me suis lancée dans cette chanson, sans me douter qu’elle allait être aussi longue, ni qu’elle allait forcément se retrouver sur le disque et exister publiquement. Avec le recul, c’est aussi ce genre de titre qui m’a permis de comprendre que l’album ne parle pas tant des ruptures en elles-mêmes mais plutôt de l’après et des constats que j’avais à faire…»
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Avant de sortir son premier album, Iliona a donc fait place nette. Elle qui écrit, joue, compose, chante, conçoit ses visuels et ses clips, gère désormais aussi sa propre structure (jevousamour). L’indépendance multitask façon Gen Z. Pour What If I Break Up with U, la jeune femme a même mis les mains dans le cambouis du mixage. «Au départ, je voulais le confier à Maxime Le Guil, qui avait mixé mes deux EP (NDLR: nominé pour un Grammy en 2016, il a travaillé avec Melody Gardot, Hans Zimmer, Christophe, Justice, Christine & The Queens, etc.). Mais il m’a dit: « Ecoute, pour le premier, tu m’as laissé bosser mais t’étais en permanence dans mon dos. Et pour le deuxième, tu ne m’as rien laissé faire du tout. Et si tu te lançais? » (rires) Ce que j’ai fait. Et j’ai adoré ça.» Avant de revenir quand même vers l’ingénieur du son, elle réussit à boucler «95% du disque» seule, bloquant uniquement sur certaines pistes de voix. «J’avais tendance à ne pas les pousser assez fort ou à les noyer dans un tas d’effets…»
Oiseau de nuit
Un reste de timidité? Ou alors la peur de réaliser ce qu’on a osé écrire et chanter? Au cœur du disque, le titre Ça n’existe pas semble remuer la plume dans certaines plaies encore vives de l’adolescence. Sur un piano sépulcral, Iliona chante: «Les gens me dévisagent/Comme une condamnée en sursis». «C’est l’une de mes toutes premières chansons. Mais jusqu’ici, je n’avais pas eu le courage de la faire écouter. Ni de la réécouter. Elle était dans un tiroir. Je savais que je voulais la sortir, mais je ne savais pas quand. Cet album, c’était le moment ou jamais. Parce que j’ai fait la paix avec ce morceau, je l’ai digéré, il peut exister. Je n’y ai d’ailleurs quasi pas touché. J’ai bien hésité à élaguer et changer certaines phrases. Mais j’avais peur que ça la dénature trop. Et puis je n’avais pas envie de me remettre dans mon état d’esprit de mes 18 ans…»
La nuit, j’ai l’impression que je ne dérange personne et que personne ne va me déranger.
Récapitulons la méthode Iliona. Elle est domestique –si Iliona est passée par le studio, elle a commencé par tout composer à la maison. Un poil obsessionnelle. Et nocturne. «Cela ne m’intéresse pas de faire la musique la journée. La nuit, j’ai l’impression que je ne dérange personne, et que personne ne va me déranger. Cela crée aussi un espace où le temps disparaît, où il n’y a pas de règles.» Pendant la journée, elle saigne YouTube, binge des séries et joue «genre beaucoup trop» aux Sim’s. De 23h à 5h, par contre, elle écrit, compose, teste des idées. Jusqu’à se retrouver, pour l’album, «avec quelque 200 débuts de chanson». Le temps effectue un premier tri. Et puis? «Le premier critère est qu’il se passe quelque chose musicalement. Ensuite, je voulais que le texte soit la pure vérité. Quand j’écris, j’ai souvent tendance à romancer un peu, arrondir les angles, ou forcer des métaphores. Pour le coup, je me suis interdit d’enrober ou d’enjoliver. Si, même seule, dans ma chambre, je commence à me mentir à moi-même, on n’avance pas. Donc je me suis imposé cette règle.»
Un truc de parolier
Se mettre à nu au cœur de la nuit est une chose. Mais une fois que les chansons sortent à l’air libre, comment assumer ses confessions? «Ça, c’est le rôle de la musique. C’est une sorte d’armure qui me protège. C’est là que commence le « film » en quelque sorte.» D’où l’intro à la Disney, des morceaux truffés de petits bruitages, ou de voix trafiquées. Comme par exemple le single Lâche-moi la main et son refrain en escalier –«une horreur à chanter en live», au point d’ailleurs de devenir quasi un nouveau challenge sur TikTok.
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En l’occurrence, il reflète bien les atermoiements des ruptures amoureuses. Puisque c’est bien de cela dont parle What If I Break Up with U. «Je voudrais pouvoir pardonner/mais c’est un truc de parolier», chante par exemple Iliona, prise dans ses contradictions. Plus loin, dans le troublant Rater une rupture pour les nuls, elle creuse plus profondément le trauma: «Je m’efforce à ne pas penser à tout ce que t’abîmais/Mes peurs les plus gardées que t’aimais bien ressortir/pour voir si ça me blessait.» Le tout avec assez de nuances pour que le dépôt de bilan amoureux ne se transforme en simple règlement de comptes.
Parle à ma main
Si les ruptures étaient toujours faciles à appréhender, cela ferait en effet longtemps qu’on aurait arrêté de composer des chansons, d’écrire des livres ou de tourner des films sur le sujet. En disséquant les sentiments amoureux, What If I Break Up with U le montre bien: s’ils peuvent être violents, ce n’est pas parce qu’ils sont primaires ou brutaux. Mais au contraire, parce qu’ils sont toujours complexes, noueux, difficiles à démêler. Un vrai bourbier.
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En outre, What If I Break Up with U ne s’arrête pas au champ de bataille sentimental. «C’est l’impulsion de départ, et la lecture la plus évidente. Mais je parle aussi de rupture professionnelle ou de rupture avec moi-même, ce que je dois laisser derrière pour avancer.» Iliona ne s’épargne pas. «C’est un peu comme ça que j’interprète aussi la pochette. La main noire qui me peigne les cheveux, c’est toutes les relations sur lesquelles je tire un trait. Mais c’est aussi toute une partie de moi plus toxique, parfois envahissante, dont j’aimerais bien me débarrasser de temps en temps…» ●
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