Samedi soir, Iliona a donné le premier de ses deux concerts complets à l’Ancienne Belgique. Compte-rendu d’une prestation, certes encore appliquée, mais à multiples entrées, portée par des chansons sublimes et une interprète carrément magnétique.
Arrivée à mi-concert, Iliona rejoint son piano. Seule sur scène, elle chante Moins joli, l’un de ses tout premiers morceaux. A l’époque, en 2020, la jeune Bruxelloise était encore une totale inconnue, composant en solitaire ses chansons pour cœurs en miettes. Jusqu’à quel point cela doit remuer, de voir aujourd’hui ses paroles intimes, couchées dans l’intimité d’une chambre confinée, reprises en chœur par une Ancienne Belgique remplie à ras bord ?…
Cinq ans plus tard, Iliona est en effet devenue l’une des promesses les plus brillantes de la pop francophone. Elle est cette chanteuse-autrice-compositrice-cover girl que toute la presse suit (récemment encore, avant ses deux Olympias complets, elle a eu droit à sa page portrait dans Libération, déjà une forme de consécration). Une artiste qui, sous ses airs discrets, presque farouches, tient fermement les rênes de son destin – que cela soit dans ses chansons, son entourage (entièrement féminin, sur scène ou à côté), ou ses engagements (dans le hall de la salle, à côté du merchandising, un stand de l’ONG SOS Méditerranée).
Samedi, pour la première de ses deux dates à l’Ancienne Belgique, Iliona venait présenter son album, What if I break with u ?. Trois ans à peine plus tôt, elle donnait son premier concert bruxellois, au Botanique. On n’y était pas. Ceux présents se souviennent cependant d’une apprentie star encore tétanisée par l’exercice live, pas habituée à quitter les murs rassurants du home studio. Iliona ne s’en cache d’ailleurs pas. Dans 23, elle chante : « Avant, j’étais juste timide/Maintenant, je suis une timide adulte/Et moins ça passe, plus c’est pire ». Est-ce que cela s’arrange malgré tout, avec la reconnaissance et le succès ? Pas sûr.
Iliona et ses Maximonstres
Samedi, sur le coup de 21h10, quand Iliona monte sur scène après l’intro de Welcome, elle se cache d’abord derrière un grand rideau blanc. En ombre chinoise, elle lance stp. Il faut attendre le morceau suivant, Text Back, pour que la scène se dévoile et qu’Iliona apparaisse. A sa droite, Marion Lagassat, alias Praa, à la guitare. A sa gauche, Zoé Hochberg à la batterie (vue notamment aux côtés de Pomme). Elle, au milieu, ailes d’ange dans le dos. Et, sur la tête, une couronne. En l’occurrence, l’attribut fait moins penser à celui d’une reine arrogante, qu’au couvre-chef que porte Max dans Max et les Maximonstres, le célèbre livre pour enfants de Maurice Sendak. Puisqu’au fond, les chansons d’Iliona ressemblent souvent à ça : une excursion un peu tordue dans les rêves/cauchemars les plus sinueux de la jeune femme. Derrière ses Maximonstres, se cachent les paniques existentielles et les crash amoureux, les doutes récurrents et les excuses foirées, les traumas du passé qui ne cicatrisent pas et les angoisses du futur qui remontent par vague. Yeux de chat, Iliona voit mieux dans le noir…
A 25 ans, la Bruxelloise est de cette génération que l’avenir ne rassure pas assez que pour ne pas être, déjà, nostalgique. Sur scène, trône par exemple une reproduction d’un iPod classic – avec la roulette ( !). En l’air, plane également un avion en papier et, au fond, une cocotte en forme de bateau, raccord avec la fragilité revendiquée. C’est là, sur la petite embarcation, qu’Iliona se planque pour se mettre au piano et chanter ses confidences les plus personnelles – par exemple, celle de Ça n’existe pas. Le reste du temps, elle occupe le devant la scène, souvent accrochée à son micro, lovée dans des lumières cotonneuses. Encore fort appliquée, semblant parfois s’accrocher à sa scéno pour ne pas rompre le charme. De là où l’on est, on n’est pas certain, par exemple, qu’elle profite du moment, ou qu’elle sache vraiment comment gérer l’amour et l’enthousiasme que lui renvoie le public – « Mais vous avez beaucoup trop d’énergie ! », glisse-t-elle…
Bienvenue au club
Iliona, pourtant, ne flanche pas. Il faut dire qu’elle peut s’appuyer sur un catalogue de chansons particulièrement solide. Il est même assez inouï pour une artiste qui, après tout, n’a toujours sorti qu’un seul album (et deux EP). T-shirt blanc reprenant une citation de la plasticienne américaine Jenny Holzer (« Expiring for love is beautiful but stupid » – « Mourir d’amour est beau, mais stupide »), elle empoigne la guitare pour Quelque chose de; se transforme en héroïne quasi folk avec Fishsticks; ou en aventurière pop avec le spleen à deux temps de Rater une rupture pour les nuls. Dans la dernière ligne droite, elle vire même queen du club. Elle enchaîne les trois inédits, distillés au compte-goutte depuis la sortie de l’album : le big beat de Connerie, l’electro dark du récent Club Pingouin (« Dans le club, j’ai toujours froid »), enfonçant le clou avec la production cabossée du fabuleux Sad ;( , la voix déchirée par l’autotune. C’est aussi ça, Iliona : essayez de la ranger dans une case, elle est déjà passée faire un tour dans la suivante.
En toute fin, en dernier rappel, elle se plante devant son micro pour chanter Reste, tiré de son EP Tristesse. Les mains dans le dos, le regard droit, elle chante la douleur insondable du manque, poignante. Reprise une fois de plus par le public, qui, pour le coup, sonne moins comme une foule anonyme que comme une multitude d’individus. Un archipel de cœurs brisés.