Hailu Mergia, le parcours hors du commun de la star de la musique éthopienne
Star des nuits d’Addis-Abeba puis chauffeur de taxi aux Etats-Unis, l’accordéoniste et claviériste Hailu Mergia a renoué presque par hasard avec les disques et la scène. Portrait avant son concert gratuit aux Feeërieën…
Au tournant des années 1990 et 2000, entre les compilations hautement recommandables du label français Buda Musique et la bande originale du Broken Flowers de Jim Jarmusch qui célébrait les talents de Mulatu Astatke, la musique éthiopienne avait le vent en poupe. Hailu Mergia n’a pas eu les honneurs du cinéma. Son nom n’a pas figuré non plus sur les compiles Ethiopiques. Il y apparaît cependant au sein du Walias Band qu’il a cofondé. Un groupe (un des premiers orchestres privés de la capitale et l’un des plus populaires du pays en cette ère dorée des années 1970) qui a accompagné les plus grandes vedettes de l’époque et qui se produisait quotidiennement au Hilton d’Addis-Abeba.
Tout, jusqu’à la ligne téléphonique qui véhicule ses phrases lapidaires, est un peu flou. 75 ans? 76? L’accordéoniste («C’était très courant en Ethiopie à l’époque») et claviériste n’est même pas sûr de son âge. De son temps, les certificats de naissance n’étaient pas encore systématiques. Hailu a grandi à la campagne. Il a élevé des vaches et des chèvres. Jeune homme, il a rejoint l’orchestre des jeunes recrues de l’armée éthiopienne. Puis il a animé les fiévreuses nuits de la capitale. Dans les clubs les plus offrants, pour quelques dollars, sur des instruments empruntés, mais aussi au grandiose hôtel Hilton. «Le top du top. Le plus prestigieux de la ville.»
Je gardais un clavier dans mon coffre. Quand j’avais un peu de temps entre deux courses, je répétais. J’aimais ça.
De 19 heures à 22 heures, le Walias Band jouait de la musique pour les diplomates et les riches globe-trotters. Il reprenait Yesterday, Stranger in the Night, New York New York. Des chansons françaises (Je t’aime… moi non plus), japonaises et arabes. Ensuite, il se mettait à chauffer le dancefloor et faisait grimper la température. C’était la soul, le funk, le jazz. Les improvisations autour de James Brown et de Booker T. and the M.G.’s. Le boulot, prestigieux, faisait rêver les musiciens locaux. «Je ne me produisais que là. Peut-être aussi dans des mariages. On n’avait pas le temps pour autre chose. On jouait tous les jours. Il nous arrivait de croiser des stars, des acteurs et des actrices étrangères. A l’époque, tout était très vivant et trépidant à Addis.»
Quand l’empereur Haïlé Sélassié a été renversé et arrêté le 12 septembre 1974 par le Derg, la junte militaire marxiste-léniniste qui a pris le pouvoir, la vie dans le pays a changé. Le vent libertaire est tombé. L’horreur s’est installée. Des dizaines de milliers de personnes ont même été torturées et tuées durant la terreur rouge de 1977 et 1978. «Nous n’étions pas du tout politique. Nous avions notre contrat à l’hôtel. Nous n’étions pas du tout inquiétés. Mais à l’extérieur, c’était autre chose. Compliqué. Brutal.»
Nouvelle carrière
En 1981, alors que le pays entre dans une effroyable période de famine, Mergia et le Walias Band sont invités par le fraîchement exilé producteur et patron de label Amha Eshèté à jouer en Amérique. Ils partent pour les Etats-Unis et décident d’y rester. Hailu s’installe à Washington DC et s’obstine à y vivre de la musique. Alors que le Walias Band se sépare, il enregistre son premier album solo, Hailu Mergia and His Classical Instrument, en 1985. Mais six ans plus tard, il baisse les armes. «Il fallait que je trouve un autre job. Je ne gagnais pas assez d’argent. Je n’ai jamais arrêté de jouer. Mais c’était à la maison, plus pour un public.»
Il ouvre alors un restaurant avec des amis éthiopiens de la communauté, nombreuse à DC. Quelques années plus tard, il devient chauffeur de taxi. «Je me suis acheté un clavier qui fonctionnait avec des piles et que je gardais dans mon coffre. Quand j’avais un peu de temps entre deux courses, je m’asseyais sur la banquette arrière et je répétais. J’aimais ça. J’étais flexible. J’avais mes propres horaires.»
Un appel de Brian Shimkovitz le sort de sa torpeur. Le digger et blogueur américain aujourd’hui installé à Berlin, fondateur du label Awesome Tapes from Africa, est tombé par hasard sur l’une de ses cassettes lors d’un voyage en Ethiopie et a trouvé son numéro de téléphone sur Internet. «Brian est un chouette mec. On s’est mis d’accord et ça m’a relancé.» Après la réédition dudit disque en 2013, Mergia a repris la route et même enregistré de nouveaux albums: Lala Belu (2018) et Yene Mircha (2020). «On peut parler d’une approche plus moderne. J’y ai notamment introduit des touches de funk et de bossa nova», remarque le grand nom de l’éthio-jazz, pilier des folles nuits du Swinging Addis. L’an dernier, Awesome Tapes from Africa a réédité Tezeta. Une petite perle que Mergia avait sortie au milieu des années 1970.
Curieux hasard. Folle coïncidence. En 2012, quelques mois avant de partir pour le voyage qui – il ne le savait pas encore – le mènerait à découvrir Hailu, Shimkovitz reçoit un colis des Pays-Bas. Un Néerlandais qui avait vécu durant les seventies en Afrique lui envoie quelques cassettes susceptibles de l’intéresser. Shimkovitz en garde une précieusement, sans avoir la moindre idée de qui en était l’auteur. Quelques années plus tard, se disant que Mergia pourrait peut-être l’aider à identifier l’artiste derrière cette bande sur laquelle figurait pour seule mention un «Ethiopia 1976» griffonné à la main, l’Américain soumit à l’authentification d’Hailu ce qui était en fait l’un de ses propres albums. Toute la magie, en somme, de la musique et du voyage.
Tezeta, distribué par Awesome Tapes from Africa.****(*)
Le 24/08 aux Feeërieën, à Bruxelles. Plus d’infos : www.bruxelles.be/feeerieen
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