Gym, diète
& rock’n’roll: un entraînement intensif avant les tournées

Moquée pour sa prestation jugée mineure au BRIT Awards 2018, Dua Lipa soigne maintenant ses concerts et sa forme en suivant un entraînement drastique © Redferns/ Getty

Oubliez les longues nuits de débauche. Le monde de la musique nous donne désormais rendez-vous à la salle de sport. Les entraînements intensifs semblent être devenus obligatoires pour les grosses machines, si elles veulent tenir le coup pendant les tournées.

Go girl give us nothing« , peut-on lire en commentaire sous la vidéo de Dua Lipa aux BRIT Awards en 2018, dans une prestation jugée mollassonne par certains. La phrase, devenue virale, a été vécue comme une humiliation publique pour l’autrice-compositrice, alors au tout début de sa carrière. De ses pas de danse à son énergie, tout a été scruté et critiqué. Des internautes avaient jugé qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour faire concurrence aux autres stars de la pop. Ces quelques mots servent désormais de moteur à Dua Lipa: plus jamais ça.

Aujourd’hui, Dua Lipa veut proposer des prestations toujours plus démesurées. On l’a récemment aperçue en lévitation au-dessus du public et en équilibre sur une structure métallique. Elle s’impose désormais comme l’une des meilleures performeuses de sa génération. Avec sa tournée pour Radical Optimism, qui vient de démarrer et qui passe par Werchter le 6 juillet prochain, la Londonienne continue de donner tort à tous ses haters avec des chorégraphies ultra dynamiques et une présence scénique assurée.

L’interprète de Levitating s’apprête à enchaîner 21 concerts jusqu’en décembre, avant de probables nouvelles dates l’année prochaine. Pour ne pas finir épuisée, à bout de souffle ou malade après quelques représentations, celle-ci doit travailler son cardio, améliorer son endurance et solliciter ses muscles. Six mois avant de repartir sur la route, Dua Lipa a donc retrouvé l’humidité des salles de sport. Entre entraînements par intervalles à haute intensité et séances de yoga, la star suit un programme strict pour être en mesure de donner le meilleur d’elle-même sur scène.

« Je dois m’assurer que pendant que nous faisons de nouveaux pas de danse, un certain mouvement ne va pas faire trembler ma voix« , glisse l’artiste de 28 ans dans un podcast. Celle-ci teste régulièrement sa capacité pulmonaire en chantant sur un tapis de course. Une technique qu’applique également le coach sportif canadien Harley ­Pasternak quand il travaille avec des chanteurs. « Pour les shows les plus actifs, je demande aux artistes de chanter quand ils sont en train de faire des exercices de cardio. C’est notamment ce que j’ai demandé à Lady Gaga et Rihanna en amont de leur tournée, c’est un très bon exercice« , explique-t-il.

L’entraîneur accompagne régulièrement les plus grandes stars de la planète, avant, pendant et après leurs tournées, aux côtés de nutritionnistes, kinésithérapeutes, masseurs… On peut notamment citer Ariana Grande, Bono, Pusha T, Common ou encore HER parmi ses clients. Les exercices diffèrent en fonction du type de show. « Alicia Keys, par exemple, reste le plus souvent assise derrière son piano. John Mayer, pareil, il se tient derrière son micro à jouer de la guitare. Je ne leur demande pas d’aller courir. On travaille alors d’autres aspects.« 

Yoga et protein shake

3 heures et 15 minutes de spectacle, 40 chansons à enchaîner, trois soirs par semaine, 152 dates à travers le monde. Avec son Eras Tour historique, Taylor Swift repousse ses limites corporelles. Un effort physique intense, dans des conditions difficiles, entre décalage horaire, nuits raccourcies, déplacements fréquents. Des concerts qui s’apparentent à une vraie performance, à l’image de ceux de Beyoncé lors de son Renaissance Tour où la native de Houston danse, chante, court et change de tenues pendant près de trois heures. Madonna, aussi, impressionne lors de sa tournée rétrospective dans laquelle elle se montre encore très en forme pour ses 65 ans. On n’imagine pas non plus les dépenses énergétiques que demandent les shows de P!NK, bientôt de passage au Stade Roi Baudouin, qui a pour habitude d’enchaîner les acrobaties aériennes.

Pour assurer ces méga concerts, une bonne condition physique s’avère indispensable. Le coach sportif britannique Dan Roberts collabore avec des grandes célébrités du monde du cinéma et de la musique, que l’on ne peut citer pour des raisons de confidentialité. Il planifie des séances cinq à six fois par semaine. « Si je travaille avec quelqu’un de manière presque quotidienne, je peux avoir plus d’impact sur son sommeil, sa nutrition, sa mentalité… » Harley Pasternak, lui, prévoit un entraînement composé d’ exercices de résistance musculaire de 45 minutes trois à cinq fois par semaine. À cela, il faut ajouter une activité quotidienne: de la marche, du vélo, de la course…

Avec un tel programme, peu de chance de croiser Beyoncé complètement arrachée dans les loges après sa prestation ou de voir Taylor Swift débarquer sur scène avec une grosse gueule de bois. Gare aux réprimandes de la part du coach en cas d’excès… « Il peut m’arriver de téléphoner à un artiste après une soirée pour lui rappeler qu’il ferait mieux d’aller se reposer », confie Dan Roberts.

Actif depuis 30 ans dans le milieu, l’entraîneur anglais observe un changement de mentalité ces dernières années. « Dans les années 2000, quand j’ai commencé à travailler avec des pop stars, aucune d’elles ne faisait attention, elles buvaient et faisaient beaucoup la fête. » Une situation impensable aujourd’hui, note-t-il. « Maintenant, c’est plutôt yoga et protein shake que drogues et rock’n’roll. » Même les groupes de rock font de plus en plus appel à lui et veulent suivre le droit chemin. « Dès qu’ils dépassent les 25 ans, ils se rendent compte qu’ils doivent prendre soin d’eux s’ils veulent continuer ce métier.« 

Un exemple parmi d’autres: le fêtard anglais Liam ­Gallagher s’impose désormais une discipline de fer. Les excès ne sont plus « cool » aujourd’hui, confirme l’ancien chanteur d’Oasis, transformé en ambassadeur du running et du thé au jasmin. Mick Jagger l’a compris depuis le début: pour tenir, il faut s’entretenir. La bête de scène de 80 ans a toujours multiplié les activités physiques et travaillé avec des coachs. « J’ai eu le plaisir de partir en tournée avec U2 et les Rolling Stones, raconte Harley 
Pasternak. Mick Jagger et Bono sont de bons exemples de 
personnes qui ont réussi à prolonger leur carrière parce qu’elles ont pris soin d’elles-mêmes.« 

Le rapport au corps a également évolué avec l’époque. Avec la pression, l’instantanéité et la viralité des réseaux sociaux, les artistes veulent travailler leur image pour échapper aux éventuelles critiques et commentaires. Ils doivent aussi faire vendre. « J’aimerais croire que toutes les stars s’entraînent d’abord pour leur santé. Mais on vit dans un monde plutôt superficiel, où elles sont sommées de correspondre à certains standards de beauté, regrette Dan Roberts. Les mecs doivent vendre du rêve quand ils enlèvent leur t-shirt sur scène. Avant, ce n’était pas ce que l’on attendait des musiciens. Aujourd’hui, les grands artistes sont aussi des mannequins, des acteurs, des influenceurs… Leur apparence fait partie de leur marque.« 

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Mobiliser les acteurs du milieu

Chez nous, les mentalités bougent aussi, plus doucement. De plus en plus d’artistes francophones font appel à des entraîneurs, comme Angèle, Stromae, Loïc ­Nottet, Clara Luciani ou Orelsan. « Depuis le confinement, on s’est rendu compte que le sport était un énorme pivot pour le bien-être, la santé mentale et le physique« , avance Ingrid Marchais, préparatrice mentale et physique à la scène basée à Paris qui travaille actuellement avec Jean-Benoît Dunckel du duo Air, à la veille de sa grande tournée nord-américaine pour célébrer les 25 ans de son album culte, Moon Safari. Celle-ci avoue que certains artistes restent cependant encore pudiques sur leur collaboration. « C’est considéré comme quelque chose d’intime ici. Ce n’est pas comme aux États-Unis. Mais je pense que ça va changer. J’ai de plus en plus de demandes.« 

Dans son travail, la Française considère les artistes comme des athlètes. Donner un concert est déjà un sport en soi. « La dépense énergétique pour un artiste qui monte sur scène est énorme. Même pour un musicien qui reste derrière sa basse. Il va transpirer, il est fatigué, il a des courbatures, des douleurs chroniques. » Leur corps est leur outil de travail, comme pour les sportifs de haut niveau. Artistes et sportifs font face à des pressions similaires, avec toute une équipe et un public derrière qui attendent qu’ils se dépassent.

Pilates, massage thaï, méditation… Ingrid Marchais offre aux musiciens un accompagnement personnalisé pour travailler sur la digestion, la récupération, la nutrition ou la fatigue. Sa méthode se base avant tout sur l’écoute et la discussion. « Pour tenir le coup sur des tournées intenses, on ne peut pas s’occuper que du corps », clame-t-elle. Au centre de toute préparation: le mental.

Avec le collectif CURA, la co-fondatrice Sandrine Bileci lutte pour une plus grande prise en compte de la santé mentale dans le milieu musical français. Celle-ci dénonce le manque de dispositifs pour accompagner les artistes de musique actuelle en termes de bien-être. « Il existe quelques kinés spécialisés, mais c’est tout. » Également naturopathe et ancienne label manager, l’experte donne régulièrement des formations dans des festivals (Rock en Seine, Printemps de Bourges) pour sensibiliser les musiciens à se préserver, à gérer leur stress, à ne pas négliger leur alimentation pendant les tournées.

Sandrine Bileci tient également à secouer tous les acteurs du milieu. « Il ne faut pas faire porter la responsabilité du bien-être aux artistes, alors que c’est systémique. » Les festivals, les salles de concerts, les institutions ont également un rôle à jouer, que ce soit en offrant des repas plus nutritifs ou en mettant à disposition des salles de repos. « Ce qui est hallucinant, c’est qu’on n’arrive toujours pas à mobiliser les majors, par exemple, pour dégager un budget pour réaliser des check-ups de santé. Ce n’est pas 
la priorité. Ça doit changer.« 


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