Gaume : jazz, Serge & fun
En trois journées, le pastoral festival gaumais propose un melting-pot à multiples sources sonores. En ce vendredi 11 août, l’héritage de Gainsbourg est revisité par le Brussels Jazz Orchestra alors que le jazz libre de Manu Hermia côtoie le bobopop de Blondy Brownie.
« C’est le genre de festival où je viens -depuis 25 ans- même quand je n’y suis pas programmé. Parce qu’on y trouve une large confiance du public dans la programmation, dans les découvertes. Et puis, et cela me semble important, c’est un concert à la fois. Pas de scènes simultanées qui font que le public pour lequel tu joues, va partir au milieu du set pour aller ailleurs. Et là, le Gaume Jazz 2023 me propose une carte blanche ». Manuel Hermia (Rocourt, 1967), est donc ce multi-instrumentiste joueur de flûte, également en version indienne, et des trois saxs classiques.
Alto, soprano et ténor. En ce vendredi 11 août, il propose l’un de ses quatre concerts du weekend. Hormis les deux prestations du dimanche en acoustique à l’église locale avec la formidable Christine Ott -virtuose des Ondes Martenot- Manu joue ce samedi soir. Avec son quintet Freetet, il plonge dans un répertoire sorti il y a deux ans chez Igloo Records. Sous le grand chapiteau, bien plein, Manu guide trois autres cuivres et un batteur, dans un méandre complexe, qui débute par une version atomisée…du Temps des cerises. Indice d’une heure de concert où un thème musical se retrouve tordu, malaxé, encuivré, voire complètement largué. Où suite à une intervention de Manu & C° -qui s’éloigne du port original- la même bande rejoint le flux d’une proposition toujours free, libre, libertaire. Ce qui effraie quelques membres du public, quittant la salle alors que le groupe emballe un autre moment décoiffant.
Gainsbourg cuivré
Le vendredi 11 à Rossignol (Tintigny), village gaumais de bonne franquette établie, la météo brise la malédiction de juillet. Le cycle drache/boue épargne donc la plaine du GJ. Comme zakouski de fin d’après-midi, un quartet balade sous chapiteau ouvert -on peut s’asseoir sur des troncs d’arbres locaux- des fragrances jazz un peu passe-partout mais ô combien agréables…Nom ? Le Hugo Diaz Quartet, mené par le titulaire sax Diaz : sans réinventer l’eau chaude jazzy, elle l’a fait quand même bouillir.
Selon des « plages modales épurées laissant place à la recherche sonore ». Ciblage qui caractérise aussi le Gaume Jazz. Les choses passent à la vitesse supérieure avec l’une des attractions majeures des trois jours : le Brussels Jazz Orchestra interprétant le répertoire de Serge Gainsbourg.
On était curieux de voir le BJO, large ensemble de dix-huit instrumentistes ce soir, créé il y a trente ans et dirigé par le saxophoniste-flûtiste quinqua Frank Vaganée. A son palmarès, des collaborations sensibles avec les sur-talents belges (Philip Catherine, David Linx) mais aussi des expériences nouées avec des pointures telles que McCoy Tyner et Kenny Werner, lumières américaines. Le dernier ayant longtemps été pianiste des années de gloire de Toots. Le BJO agit toujours en mêlant les répertoires choisis -parfois au-delà du jazz- et sa propre griffe : cuivrée, en orbite, réécrivant les originaux avec son propre son pimpant. Voire déroutant. En ce vendredi voir gaumais, le big band BJO invite au répertoire de Serge, revisité avec une jeune chanteuse française à la prestance et voix affirmées, Camille Bertault.
Soit neuf titres incluant au moins six classiques absolus. Dans l’ordre : Couleur Café, Je suis venu te dire que je m’en vais, L’eau à la bouche, La Javanaise, Le poinçonneur des Lilas et en « bis », l’autre immanquable qu’est Elisa. Loin de toute féminisation habituel de Serge -à la Birkin- les versions du BJO s’étirent, brisent le rythme tout en rejoignant les mélodies deux-trois ponts plus loin. Silhouette liane, Camille ne se contente pas de restituer le considérable héritage, y compris via des non -standards comme Les Goémonds : elle chante sur un beat différent de l’original, et y ajoute du scat, de l’impro. Bref, du jazz. La nuit tombe sur Rossignol -nom naturellement prédestiné à tout festival musical- et le public qui comble le chapiteau, gobe avec plaisir ces gainsbourgeries présentées en swing vengeur.
On quitte le site alors que le Blondy Brownie Trio bruxellois, propose ses propres étoiles sur fond de nuit. Soit celles de Catherine De Biasio et d’Aurélie Muller -chanteuses et claviéristes- qui unissent leur pop electro déviante, parfois joliment light, en compagnie du batteur Boris Gronemberger, entendu chez Girls In Hawaï. De l’analogique entêtant comme dit le communiqué de presse. Et il n’a pas tort.
Nino Ferrer par les kids
Le plaisir du Gaume Jazz -tenu dans le charmant village et Parc de Rossignol- n’est pas seulement de s’éloigner du toutim routinier des grands festivals. Usuels prix exorbitants, sécurité fatigante, foules oppressantes, sites pas forcément emballants, campings et toilettes volontiers saturés. Et 100/200 groupes au compteur devenu dingue. D’autant que la météo belge n’est pas arrangeante : cf. Ronquières et Les Ardentes. Ici, la bonne franquette naturelle contraste avec une affiche de qualité.
Tenant aussi compte que le jazz n’est plus cette forteresse uniquement imprenable par des cognoscenti. Il est vrai, déjà depuis au moins un demi-siècle. Le samedi en début d’après-midi midi, le GJ propose une table ronde où musiciens, agents, organisateurs, médias, tentent de dresser un état des lieux de l’item jazz. Moralité éventuelle ? Ben, elle arrive en temps réel et musique via Les P’tits Gaumais du Jazz. Soit une centaine de kids de 4 à 14 ans qui, guidés par quelques musiciens pros, ont le culot de reprendre façon chorale le répertoire de Nino Ferrer. C’est inédit, beau, secouant sur l’échelle des générations. Ce jour-là du 12 août, Le Sud avait un goût de Belgique ensoleillée. Le comble.
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