Françoise Hardy est morte: l’itinéraire exceptionnel d’une reine du spleen amoureux
Françoise Hardy, icône de la chanson française, est morte à l’âge de 80 ans. Retour sur l’itinéraire exceptionnel d’une reine du spleen amoureux
C’est son fils, Thomas Dutronc, qui l’a annoncé hier soir sur ses réseaux sociaux, d’un simple « Maman est partie » : Françoise Hardy est décédée ce 11 juin, à l’âge de 80 ans. Cela faisait plusieurs années que la santé de l’icône de la chanteuse était vacillante. Atteinte d’un lymphome, puis soignée pour un cancer du larynx, elle a témoigné plusieurs fois de souffrances physiques devenues insoutenables. En décembre dernier, elle publiait d’ailleurs une lettre ouverte au sujet du débat sur la fin de vie. Une rare intervention dans le débat politique d’une artiste qui s’en est toujours tenue éloignée.
Avec son décès, c’est la disparition d’une icône de la chanson française. Un « monument national » aux pieds d’argile, et au cœur contrarié. Quand elle apparaît ainsi dans le paysage hexagonal, c’est en chantant Tous les garçons et les filles. Moins une chanson sur l’amour que sur son impossibilité, condamnée à le regarder à distance. Une vie « par procuration, plus virtuelle que réelle », comme elle l’écrivait dans son autobiographie Le désespoir des singes.
La prison dorée de Françoise Hardy
Cette vie démarre le 17 janvier 1944, à Paris, alors que les sirènes allemandes sonnent l’alerte. Françoise Hardy grandit entre une mère farouchement indépendante et aimante, et une grand-mère beaucoup plus sévère, ne ratant jamais une occasion de rabrouer sa petite-fille. Largement absent, le père, de 20 ans plus âgé que sa mère, issu d’un milieu bourgeois, sera toujours tenu à distance.
C’est malgré tout lui qui lui offre une guitare à sa fille, après qu’elle ait obtenu son bac à l’âge de 16 ans. Deux ans plus tard, elle sort Tous les garçons et les filles. La jeune fille timide voit sa vie basculer. « Non, vraiment, jamais je n’aurais imaginé que le monde de la chanson m’ouvrirait si facilement ses portes, encore moins que celles-ci se refermeraient aussitôt sur une prison dorée où, bon gré mal gré, je passerais le reste de ma vie. » Françoise Hardy devient en effet rapidement une star, associée à la vague des chanteurs yéyé. Un mouvement jeune, dans lequel sa moue timide et son spleen assumé détonent alors.
Une icône française
Loin des couettes à Sheila ou de l’assurance de Sylvie Vartan, Françoise Hardy est cette jeune fille timide au charme évanescent, semblant toujours s’excuser à moitié d’être là. Au charme pétillant des yéyés Françoise Hardy oppose ses états d’âme existentiels. « S’attendre au pire révèle une profonde incertitude sur l’adéquation entre ses rêves et ses possibilités« , écrira-t-elle encore en 2008. « Mais je n’ai rien trouvé de mieux pour ne pas tomber de trop haut et, à une époque où la positivité passe pour la clé du succès, l’état d’esprit inverse ne m’aura en fin de compte pas trop mal réussi ».
De fait, Françoise Hardy va devenir non seulement une star, mais aussi une icône pop. Y compris à l’international. Se baladant en tenue Courrèges, elle y incarne le chic et la modernité française. Dans le Swinging London des années 60, elle fraye avec Mick Jagger, croise les Beatles. Et quand, en 1966, Bob Dylan donne un concert de l’Olympia, il refusera de remonter sur scène, avant d’avoir pu rencontrer l’interprète de Mon amie la rose ou Le temps de l’amour. Cette fascination du monde pop anglo-saxon ne cessera jamais vraiment. Pour preuve, notamment, un titre comme To The End, collaboration marquante entre Françoise Hardy et le groupe Blur, en 1994.
Entre deux chaises
Détestant voyager, Françoise Hardy va rapidement arrêter de tourner, et de donner des concerts. Alors que la tempête yéyé est retombée, au début des années 70, elle quitte même sa maison de disques. Elle commence alors à enregistrer des albums plus personnels. Ils ne constitueront pas toujours des grands succès commerciaux. Mais ils contribueront à forger la place un peu à part de Françoise Hardy sur la scène hexagonale. Toujours un peu « entre deux chaises : la variété plus ou moins facile ou traditionnelle d’un côté, la chanson « branchée », plus originale, de l’autre ».
Françoise Hardy va ainsi zigzaguer en permanence, ajoutant ici et là des couleurs plus pop, jazz (ses collaborations avec Michel Jonasz, à la fin des seventies), ou même brésiliennes (la bossa nova de l’album devenu culte La question, en 1971). En 1973, sa collaboration avec Michel Berger, sous influence américaine, l’amène à sortir Message personnel. Un tube qui va définitivement la libérer de la candeur des sixties. Et qui restera à jamais comme l’un de ses morceaux qui illustre le mieux sa relation avec Jacques Dutronc.
Couple de stars dans une époque qui les collectionnait – Vartan-Hallyday, Berger-France Gall, Gainsbourg-Birkin -, il ne cessera d’alimenter par la bande les chansons de Françoise Hardy. Notamment pour creuser le thème de l’amour impossible. Entre le dandysme et les mufleries assumées de l’un et la réserve tourmentée de l’autre, la relation paraît à la fois absolue et sans issue, vaine et inévitable. Eloignés quand ils étaient ensemble ; toujours complices quand ils se sont séparés, dans les années 90.
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Spleen amoureux
Etalée sur plus de 50 ans, la carrière de Françoise Hardy a forcément connu des hauts et des bas. Dans les années 80, notamment, la chanteuse a souvent passé plus de temps à creuses ses connaissances en astrologie qu’à enchaîner les disques. Elle l’abordera moins comme une pratique « divinatoire » que comme une cartographie des comportements. Au point de présenter une émission radio sur le sujet, entre 81 et 88.
Sans doute n’était-elle pas forcément à l’aise non plus dans l’époque mitterrandienne. Elle n’a ainsi jamais caché son manque d’intérêt pour les idées de gauche. Jusqu’à parfois se glisser dans la peau de la star réac‘, elle qui avait fui les événements de Mai 68 avec Dutronc pour se réfugier en Corse. Même si elle nuancera volontiers dans son autobiographie: « j’avoue qu’en dehors de quelques exceptions notables qui m’inspirent le plus profond respect, la majorité des politiciens de gauche me paraît manquer d’honnêteté intellectuelle au moins autant que la majorité des politiciens de droite ». Un partout. Et la balle au centre, pour une personnalité qui a toujours été moins intéressée par l’idéologie que par les astres et les réalités supérieures.
Par la suite, soutenue notamment par Etienne Daho, elle va d’ailleurs donner un caractère toujours plus aigu à ses mélancolies. Jusqu’à leur donner une allure quasi sépulcrale, sur des albums comme Le Danger (1996) ou L’Amour fou (2012). Cheveux poivre et sel coupés court, Françoise Hardy est ainsi devenue cette figure incontournable de la chanson française, évoquant à la fois nostalgie et respect, attachement et admiration. Une incarnation d’un certain spleen amoureux, toujours célébré aujourd’hui par la nouvelle génération – Clara Luciani en tête
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