(focus plus) Jean-Michel Jarre : le grand pardon
Pionnier de la musique électronique, connu pour ses concerts barnumesques donnés aux quatre coins du monde, Jean-Michel Jarre sort son autobiographie. Entre rencontres improbables et destin familial chahuté, humain après tout…
Initialement, le plan n’était pas celui-là. Jean-Michel Jarre l’explique dès les premières lignes : au départ, il pensait écrire un roman. Et puis, il se pencha sur sa propre vie. Et dut bien admettre qu’elle comportait assez d’éléments romanesques pour s’autoriser à la raconter… De fait, les 384 pages de Mélancolique rodéo (1) – le titre de l’autobiographie en question, parue le mois dernier – ne manque pas de péripéties. Comment pourrait-il en être autrement pour celui qui a croisé à la fois la route du pape Jean-Paul II et celle d’Edward Snowden ? Qui réajusta la robe de Lady Di et recueillit les dernières volontés de Salvador Dali ? Qui a écrit Les Mots bleus pour Christophe, tout en écoulant lui-même quelque 85 millions d’albums, et ce avec une musique électronique dont les mélodies futuristes étaient moins faites pour l’espace que pour les grands espaces ? Car Jean-Michel Jarre, c’est d’abord ça : les énormes concerts-péplums, devant des foules immenses.
Comme à la place de la Concorde, à Paris, le 14 juillet 1979. Sur YouTube, il est possible de revoir les images du show retransmis à l’époque par TF1 : Jarre, en maître de cérémonie, la mèche romantique, seul au milieu de ses machines, jetant à peine un regard au million de personnes rassemblées sur les Champs-Elysées. Ce soir-là, il préface en quelque sorte la frime des années 1980. Avant de passer pour l’un des parrains de la musique électronique française, Jean-Michel Jarre est d’abord vu comme un créateur mégalo. » Il y a eu un malentendu, concède l’intéressé. Quand vous ne chantez pas, une distance se crée, qui peut être assimilée à de la froideur. Ajoutez à cela le fait que la musique électronique était alors encore considérée comme froide, robotique, sans sentiments… » Quand on rencontre le jeune septuagénaire – à 71 ans, Jean-Michel Jarre en paraît, au minimum, dix de moins -, il se montre en tout cas très loin de l’image du gourou électro – celui, lunettes noires, sourire carnassier, qui fanfaronnait avec sa harpe-laser de science-fiction. Disponible, attentif, le musicien a en effet une autre histoire à raconter. A commencer par celle de ses parents…
Le syndrome de la montgolfière
Né à Lyon en 1948, Jean-Michel Jarre est le fils de la résistante France Pejot – » quelqu’un qui s’est fait capturer trois fois par les Allemands et s’est échappée trois fois » – et du musicien-compositeur Maurice Jarre. Il n’a que 5 ans, quand ses parents divorcent. Le paternel quitte alors le foyer familial pour faire carrière aux Etats-Unis. Il y remportera trois Oscars (pour la musique des films Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago, et La Route des Indes) et obtiendra son étoile sur Hollywood Boulevard. Mais il n’aura presque plus de contacts avec son fils – pendant des années, il multipliera même les subterfuges pour éviter de payer une pension alimentaire. » J’aurais bien voulu que mon père me fasse de l’ombre. Mais vu son absence, cela n’a pas vraiment été le cas… »
Il y a cette scène, l’ouverture même de Mélancolique rodéo : en 2009, Jean-Michel Jarre se rend à Los Angeles pour assister malgré tout aux funérailles de son père. Il découvre le compositeur multioscarisé, reposant dans un cercueil de location, avant d’être déplacé dans une boîte en carton pour la crémation, » parce que cela brûle plus vite « , lui explique-t-on. Le plus interpellant n’est pourtant pas là : ce jour-là, le fils prend la peine non seulement de pardonner ce père absent, mais aussi de lui demander pardon » de ne pas avoir su me faire aimer de lui « . Il détaille : » Si mon père ne s’est pas bien conduit au cours de sa vie, c’est sans doute qu’il y a eu quelque chose chez lui qui s’est brisé très tôt, une fêlure que j’ignore. Ce n’est pas une excuse, mais cela donne une raison d’avancer soi-même. Dans mon cas, le fait de lui avoir pardonné m’a énormément allégé. C’est le syndrome de la montgolfière : parfois, il faut lâcher du lest pour pouvoir décoller. »
Ce n’est pas la seule fois que Jean-Michel Jarre a dû faire face à l’abandon et la trahison. Dans Mélancolique rodéo, il revient sur sa relation avec son producteur historique Francis Dreyfus, qui capotera au tribunal – après un procès long de dix ans, le musicien perdra la propriété de ses premiers disques. A nouveau, il finira pourtant par se réconcilier avec cette autre figure paternelle juste avant son décès en 2010… » Cette attitude doit venir de ma mère. Elle aussi a été délaissée. Mais elle ne s’est jamais plainte, elle a toujours voulu avancer. » Une femme trahie par son mari. Mais aussi par sa propre soeur : c’est elle qui l’aurait en effet dénoncée auprès des Allemands. » Ma mère a pourtant choisi d’oublier ça, en se disant qu’elle n’avait déjà plus beaucoup de famille… »
Est-ce cette capacité à passer l’éponge et à prendre de la hauteur qui a également donné à la carrière musicale de Jean-Michel Jarre cette trajectoire atypique, à la fois populaire et singulière ? Dès le départ, le jeune musicien s’est partagé entre sa passion pour le rock et les expérimentations sonores du GRM (Groupe de recherches musicales) de Pierre Schaeffer ; a écrit pour Patrick Juvet et osé un premier album électronique, Oxygène, entièrement instrumental. » Je me suis toujours méfié des clans. En ce sens, j’ai toujours été off. Comme la plupart des gens que je croise dans le livre d’ailleurs, de Lech Walesa à Stephen Hawking. » Mélancolique rodéo est également rythmé par les différents concerts géants que Jarre n’a cessé de donner : à Londres, Houston, devant les pyramides de Gizeh ou dans la Cité interdite, à Pékin. Où l’on découvre à la fois le côté barnumesque de chaque entreprise. Mais aussi très politique, dans tous les sens du terme, de chacun de ces grands événements…
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Dans l’un des chapitres les plus étranges de son autobiographie, intitulé » Le poids des anges « , Jean-Michel Jarre évoque encore la rencontre avec une sorte de guide mystique. Plus loin, il s’enthousiasme de la même manière pour l’intelligence artificielle (IA). » Oui, parce que la spiritualité n’est pas incompatible avec la technologie. J’ai rencontré beaucoup de scientifiques. Je n’ai moi-même cessé de travailler avec des machines. J’ai tendance à penser que l’IA est plutôt quelque chose de réjouissant, porteur de plein de progrès comme a pu l’être l’arrivée de l’électricité. Cela étant dit, je dois constater qu’il reste malgré tout dans la vie une part de mystère, irréductible. J’adore les choses que je ne comprends pas. Comme l’inspiration, par exemple : d’où vient-elle ? Comment la trouver, l’expliquer ? Entre le poids des anges d’un côté, et les progrès de l’IA de l’autre, il va falloir négocier…. «
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