Chaque semaine, Focus vous emmène à la plage pour explorer comment le bord de mer a inspiré les artistes dans toutes les disciplines. Première escale avec la musique.
Et dire qu’il n’aimait même pas spécialement la plage… Le 11 juin dernier, Brian Wilson disparaissait à l’âge de 82 ans. Et avec lui, alors que Los Angeles était secouée par les manifestations anti-Trump, une certaine idée de l’eden pop. Nul n’aura en effet mieux incarné le mythe californien que les Beach Boys et son génie torturé, avec des scies comme Surfin’ USA, California Girls, I Get Around, etc. Le rock était né à l’arrière d’une Rocket 88 (Jackie Brenston and His Delta Cats), avait tracé en Cadillac (Chuck Berry). Les Beach Boys, eux, l’ont emmené lézarder le long de l’océan Pacifique. Au programme, le soleil, la mer, les amours éphémères. Et les frissons procurés par le sport alors en plein boum: le surf. Avant Les Garçons de plage, la guitare twangy de Dick Dale imitait déjà le frisson du surfeur porté par la vague –jusqu’à créer un genre en soi, la surf music. Les harmonies vocales des Beach Boys y rajouteront un supplément d’âme. «C’est difficile à croire, expliquait pourtant Brian Wilson, dans ses mémoires, publiées en 2016, mais je ne suis presque jamais allé à la plage quand j’étais enfant, bien qu’elle ne fût qu’à quelques kilomètres. La première fois, je n’en ai pas cru mes yeux. C’est mon père qui nous y avait emmenés et j’avais été effrayé par l’immensité de l’océan. J’avais une peau claire qui brûlait facilement et je n’aimais pas plisser les yeux sous le soleil pendant des heures.» Une fois, une seule, Brian s’est essayé au surf. Pour réussir à s’assommer avec la planche, avant même d’avoir pu prendre le moindre rouleau.
Mais sans doute est-ce là l’idée même de la pop que de se projeter et nourrir le fantasme, le temps d’une chanson de trois minutes 30. Une «symphonie de poche» selon l’ambition de Brian Wilson. Ou, plus modestement, une mélodie assez forte et accrocheuse que pour emmener l’auditeur ailleurs, dans une sorte de bulle éphémère. Une parenthèse comme peut l’être précisément une journée d’été languide, passée allongé sur le sable fin. Avec, évidemment, la conscience aiguë que ce moment ne durera pas. Est-ce pour cela que les chansons les plus solaires intègrent systématiquement les éléments de leur propre spleen? Rien n’est plus mélancolique qu’une fin d’été. Comme le chante par exemple Brigitte Bardot, sur La Madrague: «Sur la plage abandonnée/Coquillages et crustacés/Qui l’eût cru! Déplorent la perte de l’été/Qui depuis s’en est allé/On a rangé les vacances/Dans des valises en carton/Et c’est triste quand on pense à la saison/Du soleil et des chansons.» L’icône vient alors d’acheter son pied-à-terre tropézien, plage privée incluse, sur la très chic Côte d’Azur.
La même année, en 1963, de l’autre côté de l’Atlantique, à Rio, la jeune Helô Pinheiro traverse, elle, tous les jours le quartier aisé d’Ipanema pour se rendre à la plage. Attablés à la terrasse du bar Veloso, Antônio Carlos Jobim et Vinícius de Moraes guettent son passage. Le musicien et le poète s’en inspireront pour The Girl from Ipanema, tube planétaire et hymne de la bossa nova. Devenue mannequin, puis styliste, Pinheiro s’en servira pour créer sa propre ligne de maillots de bain. Le nom de sa marque: Garota de Ipanema…
Tube atomique
La plage est prétexte aux mélodies les plus solaires, sexy, délurées. Sentimentales aussi. Voire romantiques –«J’avais dessiné sur le sable/Son doux visage qui me souriait», chante Christophe, criant Aline (pour qu’elle revienne). Mais jamais complètement pesantes –il n’y a que Neil Young pour plomber l’ambiance avec son chef-d’œuvre désenchanté On the Beach (1974).
«Fun fact: le duo est italien mais chante en espagnol. C’est langue officielle de l’été.»
Avec les années 1970 et 1980, et l’essor du tourisme, elles vont aussi se faire volontiers plus populaires. Pris d’assaut par les vacanciers, le sable du littoral perd de son glamour. Le ton se fait plus fendard, voire kitsch. A l’image de Maya et son Lait de coco, insubmersible tube funky underground, millésimé 1987 –«elle était allongée sur la plage/nue sur le sable chaud/Et le vent tournait les pages/de son San Antonio». Ou, évidemment, un an plus tôt, Niagara et L’Amour à la plage: «Baisers et coquillages/Entre toi et le bleu», chante Muriel Moreno, tandis que son camarade Daniel Chenevez n’hésite pas à rajouter une couche de «aou cha cha cha». Le décalage et le second degré peuvent même virer au grinçant. Par exemple quand Righeira planque derrière les synthés de Vamos a la playa une ode antinucléaire –«Vamos a la playa, la bomba estallo’/Las radiaciones tuestan y matizan de azul» («Allons à la plage, la bombe a explosé/Les radiations sont brunes et teintées de bleu»).
Fun fact: le duo est italien mais chante en espagnol. C’est la langue officielle de l’été. A Ibiza, par exemple, les noceurs bambochent toute la nuit. Notamment au fameux Café Del Mar, situé en bord de plage. Sous l’impulsion du DJ José Padilla (et de ses fameuses compilations), il deviendra même le symbole d’une certaine musique chill-out. Dans les années 1980, Ibiza donne également naissance au courant balearic. Un mouvement dance décomplexé, qui tient moins à un style bien précis qu’à «la volonté d’essayer tout ce qui est possible au service du dancefloor», écrivent Bill Brewster et Frank Broughton, dans leur indispensable somme Last Night a DJ Saved My Life. «Oubliez tout snobisme musical, la question de la crédibilité artistique n’est plus pertinente.» Il fait beau, le sable est chaud, la mer est belle: pourquoi se prendre la tête? «La seule chose qui compte, c’est le pouvoir et la beauté de chaque chanson, et le contexte dans lequel elle se place.»
Aujourd’hui, l’espagnol reste la langue la plus parlée pour tremper les pieds dans l’eau, sous le soleil. Notamment grâce au raz-de-marée reggaeton. Mais gare au «surtourisme»! Comme à Ibiza, où les autorités ont décidé de limiter le nombre de véhicules de touristes. De son côté, le portoricain Bad Bunny, l’un des artistes les plus streamés au monde, a beau avoir fourni la bande-son de l’été avec son dernier album, Debí Tirar Más Fotos, il s’inquiète du sort de son île: «Ils veulent s’accaparer la rivière et la plage […] Je ne veux pas qu’ils te fassent ce qui est arrivé à Hawaï.» Cruel summer…
LE CHIFFRE
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C’est le nombre de minutes qu’il aurait fallu à Serge Gainsbourg pour pondre Sea, Sex & Sun, premier succès sous son seul nom (alors qu’il a tout juste 50 ans), et tube de l’été 1978. Vérité ou provocation délibérément autodénigrante? A l’époque, Gainsbourg a en tout cas du mal à supporter le carton d’une rengaine disco qu’il juge «débile», alors que son disque précédent –l’ambitieux L’Homme à la tête de chou– a floppé…