Flagey consacre toute une journée à l’énigmatique musicien américain Moondog

Moondog, un artiste aussi énigmatique qu’éclectique. © Richard Dumas
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Ce 29 novembre, Flagey rendra hommage au musicien américain Moondog, disparu il y a 25 ans. L’occasion de revenir sur un compositeur éclectique et un personnage hors du commun.   

Amaury Cornut se souvient bien de la première fois où il est tombé sur un disque de Moondog. « C’était lors d’une soirée à laquelle m’avait invité un ami. Je n’avais jamais entendu quelque chose de pareil. Quand je suis rentré chez moi, j’ai tout de suite voulu en savoir plus. » Il découvre alors un personnage intrigant: un musicien aveugle qui a longtemps vécu dans la rue, à New York. C’est le premier mystère Moondog. Il en existe un second. « Quand j’ai cherché à réécouter sa musique, je suis tombé sur un morceau qui n’avait rien à voir avec ce que j’avais entendu chez mon ami. Je me suis dit: « Mince, ce n’est pas le bon Moondog ». » Le paysage musical est en effet différent. Mais c’est bel et bien le même musicien qui l’a peint. Moondog n’était pas seulement énigmatique. Il était aussi éclectique.

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Cette large palette, Flagey compte bien l’illustrer ce 29 novembre, lors de la journée-hommage que la salle ixelloise consacre à l’artiste excentrique américain. Conférencier passionné, devenu biographe de Moondog, Amaury Cornut sera évidemment de la partie. Il tentera de résumer en une heure et demie le parcours de l’un des musiciens les plus atypiques du XXe siècle, mais pas toujours bien identifié par le grand public. « Moondog est ce que j’appelle « un inconnu légendaire ». Son nom ne dit pas forcément grand-chose. Mais tout le monde a déjà entendu par exemple un titre comme Bird’s Lament. » Le morceau reste en effet la porte d’entrée la plus évidente dans la discographie pléthorique de Moondog. Non seulement parce qu’il a été repris par la publicité (pour une marque de voiture suédoise ou un opérateur de télécom français). Mais aussi parce qu’il a été samplé par le producteur/DJ anglais Mr. Scruff, sur son tube Get a Move On, publié en 1999 (quelques mois avant la disparition de Moondog). Et puis il y a également les fameuses photos de Moondog, prises dans le courant des années 50-60. Celles où on le voit arpenter les trottoirs new-yorkais tel un clochard céleste, revêtu d’une longue toge et d’un casque à corne. Qui était vraiment celui que l’on appelait le « Viking de la Sixième avenue »?…

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Nomade urbain

Né en 1916, à Marysville, dans le Kansas, Louis Thomas Hardin est le fils d’un pasteur et d’une institutrice. Deux événements en particulier vont marquer sa trajectoire. À l’âge de 6 ans, il assiste à une cérémonie traditionnelle dans une tribu amérindienne arapaho. Le chef du clan invitera même le gamin à venir jouer du tambour sur ses genoux. Légende ou pas, l’élément rythmique deviendra en tout cas plus tard l’un des motifs essentiels de son œuvre musicale. L’autre épisode qui va imprimer immanquablement son parcours a lieu le 4 juillet 1932. Hardin est alors ado. Se promenant le long d’une voie de chemin de fer, il ramasse l’amorce d’un bâton de dynamite qui lui explose au visage, et le rend aveugle.

Envoyé dans un établissement spécialisé, il apprend à écrire et composer en braille. En 1943, il décide de tenter l’aventure à New York. Débarquant avec quelque 60 dollars en poche, il dort dans la rue, squattant une usine désaffectée, se faufilant sur un bateau à quai, etc. Amaury Cornut: « C’était une façon pour lui d’épargner pour pouvoir imprimer ses poèmes et ses partitions. Et puis, il y avait aussi l’idée de recréer à sa manière la vie nomade des Amérindiens dans le foisonnement urbain de New York. » Pendant la journée, celui qui va rapidement se rebaptiser Moondog vend ses textes et joue ses morceaux au pied des gratte-ciels. Inventant ses propres instruments, il ne passe pas inaperçu avec sa longue barbe. Et, surtout, son fameux casque de Viking -une manière pour celui « qui perdu la foi en même temps que la vue », de s’affranchir des références christiques, auxquelles son allure le renvoie souvent…

Le plus souvent, on le retrouve à un coin de la Sixième avenue. Le lieu n’est pas complètement choisi par hasard. « C’est là que se trouvaient les bureaux du label Columbia. Dans le quartier, il y avait également pas mal de clubs, et les jazzmen passaient souvent le voir. » Moondog croise Miles Davis, Charles Mingus ou Charlie Parker -à qui il dédiera le fameux Bird’s Lament. Il fait également la connaissance d’Artur Rodzinski, alors directeur du Philharmonique de New York, qui va l’introduire au monde du classique. Dès la fin des années 40, il publie ses premiers albums, tout en continuant à passer régulièrement la nuit dehors.

Il deviendra au fil du temps une figure du New York beatnik. Quitte à se retrouver au bout d’un moment enfermé dans un personnage. Quand il est invité à jouer en Europe, en 1974, il en profite pour ne plus revenir. Après avoir de nouveau vécu quelques mois dans la rue, il s’installera en Allemagne, où il continuera à enregistrer. En 1989, il participera par exemple à l’album In My Place de Stephan Eicher. Lorsqu’il disparaît, dix ans plus tard, il laisse une somme musicale riche de plus d’un millier d’œuvres, entre jazz, musique classique, références amérindiennes, ouvrant également la voie au courant minimaliste de Terry Riley et Philip Glass (sur le divan duquel Moondog a souvent dormi). Le fil rouge? Amaury Cornut: « Quelle que soit l’esthétique pratiquée, il soignait la mélodie. Il y a un côté ritournelle, tournerie dans la musique de Moondog. Et puis, il inaugure une certaine science du métissage musical, mélangeant des influences très fortes. » Avec une ambition: celle « de créer une œuvre unique ». Mission réussie…

MOONDOG DAY


François Mardirossian sera de la partie à Flagey lors du Moondog Day.
© William Sundfor

Ce 29 novembre, à Ixelles, Flagey mettra à l’honneur le musicien américain, en quatre temps. La journée démarrera avec un concert piano solo de François Mardirossian (sur l’heure de midi), se poursuivra avec la conférence d’Amaury Cornut, et se terminera le soir avec un double concert: l’interprétation de l’album « symphonique » de 1969 par le Brussels Philharmonic, et une collection de titres plus jazz avec le groupe Ill Considered. Il fallait bien ça pour éclairer une œuvre aussi imposante qu’éclectique.  

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