A bientôt 80 balais, l’Iguane est la preuve vivante qu’il est possible de vieillir dans le rock et même qu’il conserve. Il l’a encore une fois démontré sur la scène du plus grand festival belge.
Il a la peau dorée mais surtout tombante. Usée par les années et les excès. Une peau de lézard. Un cuir d’Iguane. Ce surnom qu’il ne doit pas à la base à son apparence physique (il a été entre 1963 et 1965 le batteur des Iguanas) mais qui a quand même fini par lui correspondre. Né le 21 avril 1947 dans la banlieue de Detroit, James Osterberg défie à 78 ans les lois de la nature et de la science. C’était pas gagné pour un gamin asthmatique qui a grandi dans un parc à caravanes à proximité d’une des villes les plus industrielles des Etats-Unis. Mais malgré son âge avancé, il se trémousse encore sur les scènes des plus grands festivals, claudiquant (il a une jambe plus courte que l’autre) le torse nu et les cheveux au vent.
Jeudi soir, Iggy a encore mis tout le monde au pas. Pour cette énième tournée qui le verra s’arrêter à Lokeren le 4 aout, le vétéran est entouré de sept musiciens. Un tromboniste, un trompettiste et un batteur (tous black), Joan (As Police Woman) Wasser au clavier ou encore un certain Charles Moothart (souvent croisé aux côtés de Ty Segall) à la guitare… Il reste aussi une impensable bête de scène. Alors que les gens de son âge sont plus proches de baver en maison de retraite que de cracher à la gueule d’un monde malade, Iggy continue de tout renverser sur son passage. De se contorsionner et de se rouler par terre en haranguant les foules. L’homme est un juke-box punk à lui tout seul et il ne se fait pas prier pour le rappeler. Jeudi soir, pendant un peu plus d’une heure, dans une Barn pleine à craquer (elle peut accueillir 20.000 festivaliers), il a enchaîné les tubes. Puisant allègrement, deux tiers du concert, dans la discographie des Stooges. TV Eye et Raw Power en guise de mise en bouche. Un petit Gimme Danger avant de faire chanter au public son Passenger… Iggy ne se jette plus sauvagement dans la foule et il a apparemment arrêté de faire monter des gens sur scène mais il ne ménage pas pour autant le matériel (le micro et son pied ont morflé) et reste un incroyable entertainer.
I Wanna Be Your Dog, Search and Destroy… Des poignées de spectateurs se rentrent dans le lard ça et là dans ce qui ressemble plus à une salle de concerts qu’à une tente. I’m Sick of You par-ci. Nightclubbing pour terminer par-là… Inoxydable? Son premier passage du côté de Werchter remonte à 1987 et l’Américain avait déjà 40 ans… Iggy a enterré les frères Asheton avec qui il a fondé les Stooges, Wayne Karmer du MC5 avec qui il a fait ronronner le moteur rock de Detroit ou encore David Bowie qui l’a sorti du trou et lui a sauvé la vie…
Pour bien vieillir, on est censé faire du sport, manger sain, prendre soin de son corps et longtemps Iggy a plutôt été du genre à se la coller. Jusqu’à prendre de la coke en hôpital psychiatrique. Mais en 1995, il a acheté une maison à Miami. A arrêté de fumer et s’est mis à nager tous les matins. Il est devenu un homme de routine qui se lève tôt (aux alentours de 6 ou 7h), lit le Guardian et le Times, commence sa journée avec une tasse de café et des exercices de respiration. Encore plus jeune dans sa tête que dans son corps, il continue aussi de faire de la radio et d’animer Iggy Confidential sur BBC6. Une émission dans laquelle il passe du Leonard Cohen et du Wet Leg, du Sleaford Mods et du CocoRosie, du Viagra Boys et du Velvet…
«Les gens pensent que c’est un homme sauvage, torse nu, dionysiaque, qui court sur scène comme un poney sous amphétamines, racontait en 2019 le réalisateur Jim Jarmusch au New Yorker. Ils négligent son incroyable profondeur et son intérêt pour l’histoire et l’art.»
Cette semaine, chacun dans leur genre respectif dont ils resteront à jamais des légendes, Iggy, Neil Young (79 ans) et Jean-Michel Jarre (bientôt 77 piges) viennent de démontrer sur les podiums belges qu’il était possible de vieillir dignement dans le monde de la musique et du divertissement. Mieux que ça: de rester pertinent. Est-ce qu’ils tiennent en alerte ou mènent à une lutte permanente contre les excès? «Je me demande toujours si le fait d’arrêter la musique me ferait vraiment boire du thé à la place du café, et me pousserait à me brosser les dents davantage. Ou si je deviendrais un alcoolique dépressif,» a un jour déclaré l’Iguane. Le fait est qu’on ne veut pas savoir…