Beth Gibbons, l’anti-rock star

Beth Gibbons à la Sydney Opera House, le 30 mai 2025. © WireImage
Julien Bordier Journaliste

Samedi, en fin de journée, la chanteuse de Portishead a livré un concert magistral, pieds nus, les paupières fermées et les cheveux dans les yeux.

T-shirt noir à longues manches et pantalon militaire à poches. Beth Gibbons n’a pas sorti sa tenue de soirée, samedi, pour envoûter le plus grand festival du pays. La chanteuse de Portishead n’a jamais eu besoin de ça. Jamais joué la carte de l’artifice. Jamais exploité les vertus de l’apparat. Gibbons a envoûté en toute simplicité. Pieds nus sur un tapis, les yeux quasiment fermés pendant tout le concert et les cheveux qui lui cachaient le visage. Elle a toujours été comme ça, la fille de Bristol. Simple, discrète, presque trop normale pour la magie de sa musique.

Liam Gallagher a les mains dans le dos. John Dwyer porte sa guitare à hauteur d’épaule. Beth Gibbons aussi a sa pose. Elle tient son micro à deux mains. Comme si elle voulait le couver, le protéger, le réconforter. Ne pas le laisser s’échapper et ne faire qu’un.

Fille de la campagne, Beth Gibbons a toujours considéré qu’elle ressemblait davantage aux femmes de sa région qu’à Madonna. Elle a vécu à la ferme avec sa mère et ses trois sœurs jusqu’à ses 22 ans suite au divorce précoce de ses parents. Sait réparer une voiture et s’y connait assez en mécanique pour dépanner un tracteur. Beth Gibbons est une anti-rock star. Et si elle se fait extrêmement rare dans les médias, déclinant plus souvent qu’à son tour les interviews, ce n’est pas par coquetterie ou pour jouer la carte du mystère. C’est juste dans un but d’autodéfense. «Pour moi, ne pas parler n’est pas une attitude, un coup, un calcul, mais un moyen de me protéger, déclarait-elle déjà au milieu des années 90. Je connais des tas d’écrivains qui ne parlent pas et ça ne choque personne. Personnellement, je n’ai jamais pensé que Dummy était un disque particulièrement excitant, contrairement à ce que tant de gens disent. Je me demande encore pourquoi on veut me rencontrer.»

A la fin des nineties, alors que Portishead avait conquis les cœurs et les âmes en peine et faisait chavirer les scènes principales des plus grands festivals (Pukkelpop en tête), Gibbons a décidé de faire un pas de côté, de prendre ses distances avec le fer de lance du trip-hop avant de sortir, en 2002, un splendide disque, Out of Season, enregistré avec Rustin Man alias Paul Webb, ancien bassiste de Talk Talk. L’an dernier, c’est son premier véritable album solo, Lives Outgrown, que l’Anglaise a publié chez Domino.

Passée par un Cirque royal plein à craquer l’an dernier, Gibbons s’attaque donc aux festivals d’été. On ne peut pas dire que le cadre de son concert à Werchter est enchanteur. Mais la native d’Exeter, dans le Devon, a le don d’envoûter les rêveurs et d’emmener les têtes ailleurs. Entourée de sept musiciens chevronnés (il y a deux violons, du glockenspiel, de la flute traversière…), Beth a suspendu le temps une grosse heure durant. Joué la quasi-totalité de son récent disque, deux chansons extraites de son album avec Rustin Man (Mysteries et Tom The Model), mais aussi interprété deux des titres les plus emblématiques de Portishead.

S’il s’est réuni en 2022 pour un concert caritatif et soutenir l’association War Child UK, qui aide des enfants touchés par des conflits armés à travers le monde, le groupe de Bristol est devenu extrêmement discret, c’est peu de l’écrire, ces dix dernières années. Ce qui a rendu les interprétations de Roads et Glory Box encore plus exceptionnelles et intenses.

The Barn était loin d’être plein, samedi après midi, mais la longue et bruyante ovation du public était là pour en attester. Intime, fragile, désarçonnante, Beth Gibbons a, avec sa voix sur le fil, ses chansons sur le deuil et les ravages du temps, livré l’un des meilleurs concerts du week-end.

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