Les Nuits, confort queer
Mardi soir, Lido Pimienta a livré un des temps forts des Nuits Botanique. Un concert à la fois euphorique et engagé. La joie de la révolte.
Cerné par les tours, le Botanique a toujours constitué une sorte d’oasis au cœur de la ville. C’est encore davantage le cas pendant les Nuits: le temps d’un festival, l’endroit fait un peu office de refuge, un cocon où l’on peut se frotter aux agitations musicales du moment – ou même simplement siroter un verre sur les escaliers du jardin. Une bulle protégée du monde extérieur? Faudrait pas exagérer. Demandez à Hubert Lenoir, qui désespère de retrouver le matériel volé dans l’après-midi de son concert, samedi… (Même si, selon les avis récoltés ici et là, unanimes, et les vidéos captées sur les réseaux, cela ne l’a manifestement pas empêché de livrer un show à nouveau pétaradant. Lenoir superstar.)
Si le Bota n’est donc pas un îlot déconnecté de la réalité, au moins il permet aux artistes invités de la remâcher, en lieu sûr. Une sorte de safe space, pour reprendre un terme à la mode? On y pense en se remémorant les dernières soirées passées rue Royale. Celle de vendredi par exemple, qui, dans le Grand salon, a offert un écrin particulièrement adapté aux aventures jazz-soul délicates de CKTRL et Ego Ella May. Celle de samedi aussi, qui, dans un tout autre genre, proposait une affiche PC Music à l’Orangerie. Label phare de l’hyperpop (on en parlait encore ici), l’enseigne anglaise avait envoyé une délégation des plus colorées – à l’image d’un genre qui aime pousser les curseurs pop dans le fluo et les paillettes, souvent jusqu’à l’outrance. Mais sans forcément s’appuyer sur des gros effets spéciaux. Simplement accompagnée d’un DJ, la star Hannah Diamond, n’a eu besoin que d’un tutu, une longue chevelure peroxydée et quelques déhanchements de cyberlolita, pour assurer le spectacle. De prime abord, les hymnes pop électroniques de l’Anglaise peuvent paraître bien sages, mais il ne faut pas attendre longtemps pour que l’overdose de miel fasse son effet. Jusqu’à déraper en toute fin vers une conclusion en mode quasi gabber. Dans la salle, le public est mélangé. Ex-indie-rockers convertis, branchés intrigués, préados accompagnés, et puis aussi pas mal de Sailor Moon et de licornes libéré·e·s: puisque dès le départ, l’hyperpop a embrassé la culture queer.
Queer, c’est aussi comme cela que se présente Lido Pimienta. Exilée au Canada, la métisse afro-colombienne y a posé les bases d’une carrière de plus en plus intrigante, mêlant cumbia et électronique, combats politiques et affirmation personnelle. La preuve lundi soir, lors de son concert flamboyant à la Rotonde, d’ores et déjà l’un des gros cœurs de ces Nuits. Vêtue d’une large robe andine (?), nœuds XXL dans les cheveux, Lido Pimienta impose sa présence et sa voix transperçante dès le premier morceau, Para Transcribir. C’est aussi le titre qui ouvre son dernier album, Miss Colombia. Un disque dans lequel elle jette un regard aussi affectueux qu’acerbe sur son pays d’origine. Chez Lido Pimienta, en effet, ça danse, mais ça grince aussi. Même quand elle fait chanter le public – visiblement majoritairement hispanophone -, c’est pour lui faire reprendre ce qu’on comprend par la suite être un slogan entonné dans les manifestations contre les violences policières envers les femmes, en Amérique du Sud – « No me cuida la policia, me cuidan mis amigas » (« la police ne s’occupe pas de moi, mes amies s’occupent de moi »). Plus tard, Pimienta raconte encore sa fierté d’avoir été invitée à composer une musique pour le NY City Ballet, au prestigieux Lincoln Center, avant de croiser une spectatrice endimanchée la félicitant pour son œuvre, écrite dans une langue si « exotique »: en l’occurrence, en… espagnol.
Son propos engagé – pour les minorités sexuelles, racisées – n’empêche pas l’humour. Il est aussi frontal que joyeux. Sans doute parce qu’il est servi par une musique brillante, refusant précisément tout exotisme facile. Associée à Brandon Valdivia, alias Mas Aya, percussionniste (et producteur) d’origine nicaraguayenne, impressionnant de virtuosité, Lido Pimienta peut enchaîner un air traditionnel a capella (donnant le rythme avec une simple maraca), une cumbia électronique et un chaos quasi punk. C’est là sa force, de pouvoir à la fois hurler des chants de gorge (un peu à la manière de sa compatriote canadienne inuite, Tanya Tagaq), et des envolées latino, comme de twerker à la manière de Cardi B. Ou, pour le dire autrement, de réussir à imposer une identité et des racines fortes, sans jamais s’enfermer.
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