Micro Festival: résistance mélomane

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Dans une société de plus en plus standardisée et individualiste, le mini festival liégeois continue de démontrer qu’un autre modèle est possible. Retour avec Suuns, Adult DVD et autre Kabeaushé sur un week-end haut en couleur.

On ne va pas se mentir. A quelques exceptions près (Suuns, Deerhoof, Factory Floor, Anika…), bien peu d’artistes à l’affiche de ce quinzième Micro Festival disaient quelque chose même aux oreilles les plus averties. C’est normal. C’est même pour ça qu’on y va. Filer 83 euros au Micro (le prix démocratique du ticket de trois jours du côté de l’Espace 251 Nord), c’est un peu comme prendre un menu surprise au restaurant, se laisser tomber en arrière les yeux fermés dans un exercice de confiance ou acheter des albums sur seule recommandation de son disquaire. Pour paraphraser la maman de Forrest Gump, le Micro, c’est un peu comme une boîte de chocolats. On ne sait jamais sur quoi on va tomber (si possible en évitant les pralines avec de la liqueur dedans parce que c’est dégueulasse).

Créé tel un acte de résistance face au gigantisme festivalier (mais aussi face à l’uniformisation des affiches qui vont avec), l’évènement liégeois reste année après année fidèle à sa marque de fabrique. C’est dans son ADN. Le Micro joue la carte de la découverte, de l’exigence et de l’ouverture d’esprit. Les quelque 2.500 festivaliers partis se promener dans le quartier Saint Léonard ce week-end en ont eu un aperçu dès vendredi.

Avec les étonnantes Danoises de Selventher d’abord. Le quartet formé à Copenhague il y a une quinzaine d’années préfère Bandcamp à Spotify mais n’en est pas moins une référence de l’underground au pays de la petite sirène et bien connu sur la scène expérimentale nord européenne. Deux batteuses, une saxophoniste et une tromboniste pour un résultat excitant à la croisée du free jazz, des musiques bruitistes et de l’électro cérébrale. Epoustouflant.

Le Micro ne fait pas dans la facilité. Il lui préfère les marges, les nouvelles expériences, le singulier et les projets comme Arsenal Mikebe. Arsenal Mikebe est un trio avant-gardiste originaire de Kampala, en Ouganda. Un trio avec un système de percussions sur mesure imaginé par le sculpteur Henry Segamwenge. Un instrument unique mêlant bois, peau et cloches métalliques artisanales. Une machine à percussions inspirée par le son de la boîte à rythme TR 808 de Roland. Les petits protégés du label ougandais Nyege Nyege ont marqué les esprits avec un concert de tarés. De la musique de club pour danser en forêt. 

Samedi, entre le rock secoué de Deerhoof et celui hanté, distant et froid d’Anika, c’est avec les Anglais d’Adult DVD qu’il a fait bon se décrasser. Adult DVD, c’est du rock pour le dancefloor. C’est un tube irrésistible qui compare Bill Murray à Tom Hanks. C’est Hot Chip qui aurait embauché Damon Albarn pour sortir un disque sur le label DFA et se la jouer LCD Soundsystem. Les mecs de Leeds ont livré une prestation remuante et efficace. Sourires aux lèvres et fourmis dans les jambes. Une belle fête qu’avaient annoncée et amorcée les Suisses de Bound By Endogamy. Issu de la scène squat punk genevoise, le tandem signé sur le label Bongo Joe aime les musiques synthétiques post industrielles des années 80 et l’Oasis 3000, la deuxième scène du Micro, le lui rend bien.

Avec la Micro Reve, c’est un troisième podium que s’est offert le festival cette année. La scéno est sympa. La sélection électro.

Du rock à guitares belge (DRUUGG, Marcel…), du rap punk anglais au mosh pit inclusif (Taliable), des Mancuniens qui enregistrent dans des lieux insolites (grottes, cryptes, centres commerciaux…) et chantent en français (Mandy Indiana)… En une cinquantaine de concerts et deux concours de chaises musicales (un pour les enfants, l’autre pour les adultes), le Micro n’a pas rechargé les batteries (il faut s’en remettre de ces trois jours de beats et de bières) mais il a fait le plein de bonnes ondes. Que ce soit avec Kaito Kai, la rencontre du griot burkinabé d’Avalanche Kaito (Kaito Winse) et du producteur hollandais d’Anvers Palmbonen II. Le post punk londonien nerveux de Beige Banquet ou le set bricolé de la grunge en collerette Naomie Klaus. Que dire encore? Que les Canadiens de Suuns ont fait honneur à leur excellent dernier album, The Breaks, paru l’an dernier. Assumant un versant pop plus affirmé sans perdre son sens de l’exploration et de l’audace. Puis que Kabeaushé a clos les festivités avec un concert survolté. Au Micro, on n’aime pas les cases, les frontières, les limites. On préfère le mélange, la fusion, les passeurs. Originaire du Kenya et lui aussi révélé par Nyege Nyege, Kabeaushé aime Michael Jackson et Tyler The Creator, Prince et Bollywood, Grace Jones et Pharrell Williams. Hip hop afro, r’n’b, pop, électro… Kabochi Gitau et son comparse sont des extravagants, des originaux. C’est barré. C’est bariolé. Et ça aide tout le monde à rassembler ce qui lui reste de forces dans les mollets.

Au-delà de se distinguer par sa musique défricheuse, le Micro se caractérise par son ambiance et son état d’esprit. Animé par des valeurs écologiques et citoyennes, une âme festive et bienveillante, il propose d’ailleurs une safe zone. «Un lieu d’écoute, de dialogue, d’aide, de soutien, d’information et de prévention à propos du consentement, de la sexualité, de la prévention auditive, de l’usage de drogues et d’alcool.» En attendant l’année prochaine, si vous voulez continuer de découvrir et de respirer dans les rassemblements musicaux de l’été, on ne peut que vous recommander d’aller promener dans le Namurois les 22 et 23 aout à l’occasion de La Carrière (www.lacarrierefest.be). Oui. D’autres modèles de festivals sont possibles…

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