Les Ardentes ont démarré jeudi en déroulant le tapis rouge pour Damso. Enfermé dans sa tête, mais avec assez de tubes sombres pour combler ses fans.
Jeudi, le festival liégeois n’a pas attendu. Dès le premier jour, les Ardentes ont servi le plat de résistance: Damso. Le rappeur belge numero uno ne fait plus l’unanimité? Ah bon? Cela n’a en tout cas pas empêché Beyah, son dernier (et présenté comme ultime) album, d’obtenir en France le disque de platine en à peine un mois. Ou son concert annoncé dans la plus grande salle de l’Hexagone –la Défense Arena, à Paris– d’afficher sold out en quelques minutes (une deuxième date a été ajoutée). Un peu avant 22h, tout le petit peuple des Ardentes déboulait donc des quatre coins de la plaine, pour se rassembler en masse devant la scène principale –même Anyme, sosie officiel de Central Cee, et nouvelle star des réseaux, était manifestement choqué de l’affluence, surplombant la foule immense depuis son live Twitch.
Restait à voir comment le rappeur allait réussir à convertir l’électricité qui régnait dans l’air. A l’heure dite, des bruits de pas annoncent son arrivée. Ils sont accompagnés de cris d’horreur et de chants grégoriens. «Les démons, à minuit!», annonce Damso. C’est VIE OLENCE, d’entrée. «Un demi-million d’euros devant des festivaliers/qui chantent quand je tends la main», grince la star du soir, avant d’enchaîner avec VANTABLACK –«un revêtement synthétique qui absorbe 99,965% de la lumière qui le pénètre, en faisant le noir le plus profond», indique RapGenius. L’ambiance est posée: noire. Ou nwaar selon la terminologie de l’intéressé –tout comme sa tenue à épaulettes très mode et ses lunettes.
Démons de minuit
Avec Beyah, Damso annonce son départ, célèbre sa liberté. Au point de paraître parfois déjà complètement détaché. Allait-il confirmer cette impression en live? D’autant que, jusqu’ici, il s’était souvent contenté de mises en scène minimalistes pour ses concerts. Cette fois, pourtant, il bouge, s’anime, balaie la scène, de gauche à droite. Derrière lui, sont posés des échafaudages, nimbés de fumée, sur lesquels se dessinent une série d’ombres. Pas vraiment des danseurs, mais des sortes de zombies qui s’agitent et se tordent. Juste après Diamants, sur Ipséité, leurs mouvements se chorégraphient, au point de faire presque penser aux morts-vivants de Thriller.
De Michael Jackson à Fela, la figure du zombie a souvent été convoquée dans la culture pop. En particulier chez les artistes afro-américains, qui trouvaient là une manière de figurer l’esclavage –l’esclave comme être humain réduit à l’état de mort-vivant. Ou simplement l’oppression que la société blanche continuait d’exercer sur des citoyens considérés comme de seconde zone. «La vie d’un rappeur noir, c’est challenge sur challenge», rappelle ainsi Damso sur Laisse-moi tranquille, en milieu de set.
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Sur ses derniers albums, les zombies ont cependant changé de nature. Ils sont d’abord et avant tout ces êtres broyés par le système. Celui par exemple que constitue l’industrie musicale, dont Damso dit vouloir absolument se détacher. Ou même simplement celui qu’impose la société, figeant les normes qui étouffent les rêves, explique souvent le rappeur. Dans le clip de BruxellesVie, par exemple, Damso était déjà, d’une certaine manière, entouré de démons –Siboy encagoulé, dansant comme un maniaque. Près de dix ans plus tard, ils sont devenus plus abstraits, traumas profonds que le succès n’a manifestement toujours pas complètement apaisés. Ce qui crée d’ailleurs aussi de temps en temps une distance. Enfermé dans sa tête, Damso rumine, semblant même par moments observer la scène de haut, à la fois présent et absent, comme sur Life Life.
Damso aux Ardentes: la messe (noire) est dite
Sur scène, les zombies ne peuplent d’ailleurs pas seulement l’esprit du rappeur. Mais aussi sa musique: dans un concert basé uniquement sur des bandes, ils font mine de donner le rythme en tapant sur des peaux. Ou de prendre en charge les solos de saxo –sur Morose– et de guitare –sur Laisse-moi tranquille. «J’ai tellement marché dans le noir et les ténèbres/que je recule dès que j’aperçois le bout du tunnel», insiste Damso, alors qu’il entame la dernière moitié de son concert.
Il enchaîne avec Pa Pa Paw. Cachée derrière les zombies, Sarah Sey apparaît alors pour chanter sa partie du duo, toute de blanche vêtue. Le morceau permet en outre à Damso d’entamer une séquence caribéenne qui amène un peu de lumière dans son propos: l’accent créole de Mwaka Moon, les tonalités shatta d’Alpha, avant, bon prince, de régaler l’assemblée avec Macarena.
En toute fin, après Morose, il revient encore avec J Respect R. Entouré de ses danseurs-démons, tel le leader d’un culte maléfique, il laisse le public interpréter quasi tout le morceau à sa place. Alors qu’il ne lui a pas adressé une seule fois la parole du concert, Damso finit tout de même par lâcher: «Que Dieu vous bénisse». Amen.