Jeudi, le festival de Dour a entamé choses sérieuses, avec le concert exclusif de l’Anglais Stormzy. Mais aussi la venue du phénomène Theodora
Cela doit faire une douzaine de minutes que Stormzy est sur scène. Il ne lui en faut pas plus pour être trempé de sueur. Et pas davantage pour justifier sa place en tête d’affiche de la première « vraie » journée du Dour festival – après l’échauffement de mercredi. En aurait-on douté ? Pas vraiment. En une dizaine d’années, le Londonien s’est imposé au sommet de la scène rap anglaise. Un « next generation leader », a même titré un jour le Time.
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Depuis 2022, et l’album This Is What I Mean, Stormzy n’a cependant plus trop chargé sa barque musicale. On l’a vu se lancer dans l’édition (Merky books), faire ses débuts comme producteur de cinéma et acteur (le récent court-métrage Big Man), investir dans le sport – y compris dans un « social padel club ». Ou encore participer à une campagne pour MacDonald’s – et faire disparaître un post Instagram pro-Palestine, suscitant les critiques de certains fans (il réaffirmera son engagement dans une nouvelle publication). Stormzy n’est donc pas resté inactif. Mais en ne laissant toujours pas entrevoir à quoi pourraient ressembler ses prochaines aventures musicales.
Le double effet Stormzy
Même sans actu, le rappeur n’a cependant pas fait les choses à moitié. A Dour, il est donc venu accompagné d’un groupe complet : batterie, clavier, guitares, et surtout des choristes, qui assurent la vibration soul, quasi gospel par moment, de sa musique. Comme c’est par exemple le cas sur Crown, morceau emblématique de Stormzy, méditant sur ses responsabilités d’artiste célébré – « I try to be grateful and count all my blessings/But heavy is the head that wears the crown ». Comme peu réussissent à le faire, il mélange alors force et vulnérabilité, flow acéré et crooning désarmant. C’est évidemment aussi une question de charisme – ce mot fourre-tout que l’on ressort quand on n’en a plus vraiment pour décrire cette sorte d’autorité naturelle, de prestance évidente. Particulièrement fit en singlet noir, Stormzy en impose. Mais sans jamais écraser, parvenant à emmener tout le monde avec lui, avec une revue rap-soul parfaitement équilibrée.
Quand, par exemple, il commence à un peu trop tirer sur les midtempos, il change instantanément de braquet, remballe son groupe et se remet à rapper seul sur scène. Autant le chant de Stormzy est fragile, instable – volontairement, de manière assumée -, autant son rap est précis, incisif, découpant chaque mot avec soin. Il ressort par exemple Big For Your Boots, enregistré il y a quasi 10 ans, quand il était encore d’abord vu comme un artiste grime. Puis enchaîne avec Handsome et le beat drum n bass énervé de Backbone. Imparable.
Sous les feux d’artifice, la dernière ligne droite du concert illustre bien le double effet Stormzy, déjà suggéré par le titre de son premier album Gang Signs & Prayer. D’un côté, le recherche spirituelle évoquée dans le bouleversant Blinded By Your Grace. De l’autre, le réalisme social de l’un de ses premiers tubes, Vossi Bop, trap à l’anglaise toujours aussi irrésistible et tranchante. La grande classe.
MAIS AUSSI
Theodora. Faut-il encore en rajouter une couche ? Oui, mille fois oui, Theodora est bien la star qu’elle entend être. Et si d’aucuns en doutaient, éventuellement agacés par une hype devenue par trop envahissante – y compris pour l’intéressée -, il fallait être à Dour pour s’en convaincre une bonne fois pour toutes. Dans une Boombox surbondée, Theodora – et son frangin DJ/producteur Jeez Suave – sont parvenus à créer une grande communion pop et populaire. Avec une voix toujours aussi juste – Ils me rient tous au nez, repris en chœur par la foule, frissons garantis. Des danseurs rajoutant la dose de choré et d’attitude pour emballer le tout. Et un tiercé final atomique – Zou Bisou – son feat avec Jul, nouvel hymne de l’été -, Kongolese sous BBL, et Fashion Designa.
Nilüfer Yanya
Peu de monde pour assister au concert de la Londonienne, dans la Petite maison dans la prairie, en fin d’après-midi. Il faut dire qu’avec son groupe, Nilüfer Yanya cherche l’intensité, moins le spectaculaire – à l’image de ses trois albums, encensés par la critique, à défaut d’avoir obtenu des scores de vente stratosphériques. Ce qui donne parfois à son rock indé un côté appliqué. Pourtant, en se posant, et en prenant le temps de rentrer dans la musique, des morceaux comme Midnight Sun révèlent toute leur richesse. Sous l’apparente docilité, c’est, là, une guitare qui dérape, ici un saxo qui se brise. Nilüfer Yanya réussissant ainsi à emporter la partie, sans grand barouf, ni effet de manche, mais avec une musique toujours pertinente
Asinine
On avait aperçu la discrète Asinine lors des dernières Nuits Bota, au Musée, en milieu de soirée. En fin d’après-midi, dans le chapiteau Labo de Dour, l’ambiance était forcément un peu différente. Comment allait prendre son rap vaporeux et ouaté dans un tel contexte ? Certes, le mystère a disparu – à l’instar de son décor de forêt, qui paraît tout à coup bien nu. Mais la jeune rappeuse compense avec une présence scénique plus détendue et affirmée, portant fièrement ses chansons aventureuses devant un public venu nombreux.