Vendredi, Couleur Café a démarré en beauté
Passant entre les gouttes, le festival métissé a retrouvé le Heysel et la foule des grands jours. Compte-rendu d’une première soirée déjà très relevée.
Vendredi, au Parc d’Osseghem, à Bruxelles, le temps a eu beau tergiverser, c’est bien l’été qui a démarré. La drache est passée, le terrain est « gras ». Mais dans les publics, c’est déjà 30° à l’ombre. OK, pardonnez le point météo baba un peu bateau. Mais fallait voir ça, les sourires, la joie d’être là, affichés sur les visages des festivaliers. A Couleur Café, on a l’habitude de douter – et de fait, la vie d’un festival n’est jamais un long fleuve tranquille. Mais force est de constater que la formule fonctionne toujours à merveille. Car, en vrai, ils sont rares les endroits où l’on peut croiser un public aussi mélangé, métissé de peau, d’âge, de genre, de statut social, etc. Bien sûr, Couleur Café reste un gros paquebot, un événement de masse, qui doit remplir – il y avait déjà vraiment beaucoup de monde vendredi soir. Comme ailleurs, il faut slalomer entre les scènes, éviter les flaques de boue. Certains coins du parc sont à peine éclairés, et que ce soit pour manger ou boire, on évitera rarement la file. Mais au moins Couleur Café ne fait pas semblant. Ici pas d’esbroufe, d’installation arty, de scénographie tape-à-l’œil. Les fanfares sont réelles, et les sound system bricolos. Les bars n’essaient pas de passer pour des salons lounge, et les tables pour se restaurer ne sont pas tellement différentes de la fancy-fair du week-end dernier. Mais ça tourne.
Et la musique là-dedans ? Ben là aussi, l’air de rien, ça file droit, sans jamais donner l’impression de forcer. Et avec un éclectisme à nouveau rafraîchissant. Quand on débarque sur le site, Koffee, par exemple, n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour répandre ses good vibes. Faut dire que le festival a une grande tradition reggae-dancehall. A 22 ans à peine, la Jamaïcaine incarne précisément cet héritage, avec une énergie et une aisance franchement bluffante.
Autre genre de vibration un peu plus tard avec The Comet Is Coming. Soit le trio formé par Shabaka Hutchings (saxophone), Dan Leavers (claviers), et Max Hallett (batterie), l’une des formations les plus explosives de la nouvelle scène jazz londonienne. Pour le coup, le changement d’ambiance est radical. Alors que la nuit est tombée, la musique des Anglais pétarade dans tous les sens. Furieuse, elle est à la fois dansante et bruitiste. Loin de ses canons les plus feutrés, le jazz prend ici une tournure offensive, qui fait autant écho à la furie du monde qu’elle permet de s’en extraire. Tandis que le saxophone brame aux étoiles, le clavier dégorge en grosse coulée, et la batterie pompe un beat dance, tout cela avant d’accélérer et de prendre un virage psychédélique. Quand il est sûr de sa prise, The Comet Is Coming accélère encore un peu plus le tempo, et vous donne presque l’impression de décoller dans l’espace avec lui. Grosse claque.
Juste avant, c’est Caballero et JeanJass qui procédaient sur la Green Stage (where else ?). Les frères pétards ont beau avoir multiplié les solos ces derniers temps (le double Hat Trick/Oso, suivi d’Osito pour Caballero et du tout récent Doudoune en été pour Jeanjass), c’est ensemble qu’ils continuent de scorer sur scène. Ce qui ne les empêchent pas de jouer de leur nouvelle dynamique. Outre les classiques communs de la série Double Hélice (Incroyaux, Californie, TMTC, Dégueulasse, etc), chacun lâche ainsi des (courts) extraits de ses titres solos. « Vous vous rappelez c’est quoi le rap ? », annonce Caba, avant de balancer Goût du beurre. A un moment, cela joue même des coudes – JJ maillot Adriano balance Dans le mur, tandis que Caba t-shirt pokemon dégaine Polaire. Le tour de passe-passe vire même à un moment au clash. Feint évidemment : arbitré par DJ Eskondo, la battle se termine par une réconciliation et un gros hug. En attendant, la mise en scène aura agréablement épicé le set : Caballero & Jeanjass, encore et toujours le meilleur buddy movie du rap francophone.
Sur la grande scène, Zwangere Guy prolonge la fiesta rap, en néerlandais dans le texte cette fois. On est à nouveau impressionné par le succès du « Suave G. » : la plaine est bondée pour celui qui a encore rempli pas moins de 5 Ancienne Belgique en mars dernier. Sobre depuis plus de trois mois, annonce-t-il, Zwangere Guy fait mine de démarrer en douceur, s’essaie même au piano-voix avec le touchant Grijze Zone. Mais bien vite, l’animal passe à l’attaque. Il est déchaîné. Wie is Guy ? Assurément une belle bête de scène, rappant autant qu’il éructe, la voix rauque et le verbe batailleur. « Jullie zijn chauds ou quoi ?! » Papa Zetgee is in the house, pas question de moufter. Démarche cambrée à la Maradona, il arpente la scène et enchaîne les coups – Daarom, Guttergang… « T’as cru quoi ?! », hurle le dikke zievereir, le regard complètement fou. Dimanche, il sera déjà de retour, au même endroit, cette fois avec son groupe Stikstof. En attendant, un peu avant de quitter la scène, Zwangere Guy lâche encore son titre Fally Ipupa. De circonstances, puisque, sans transition, la star congolaise le suit directement.
Si son nom n’est pas toujours aussi connu que de celui d’autres cadors africains, Fally Ipupa est pourtant bien la véritable tête d’affiche de cette première journée. Dans la lignée des Koffi Olomide et autres Werrason, il incarne une rumba congolaise classique, moins modernisée que simplement remise à jour (par moment, on se serait même presque cru de retour aux premières éditions de Couleur Café, quand Papa Wemba faisait danser les Halles de Schaerbeek). En l’occurrence, c’est une vraie revue que propose Fally et son band pléthorique. Passé les problèmes de larsen, la machine débite les tubes rumba avec autant de souplesse que d’efficacité. Il y a bien un ventre mou, au milieu du set. Ou plutôt un ventre moite, quand El Marabiocho passe en mode lover, demandant à ses assistants d’aller chercher « quatre, cinq belles femmes » dans le public, qui ne se font pas prier pour l’accompagner dans ses danses lascives (oui, c’est un peu gênant, mais aussi, faut bien l’avouer, puisque personne n’est dupe, assez amusant). Passé les roucoulades, Fally Ipupa reprend cependant vite son rythme de croisière. Faut entendre les guitares tresser leur rumba gracile. Rangeant son micro dans son froc, Fally s’avance alors avec sa dizaine de chanteurs-danseurs, enchaînant les chorés made in Kinshasa. Aussi balisé qu’irrésistible.
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