Carte blanche
Faire du secteur de la culture un allié dans la lutte contre le coronavirus
« Le droit absolu à la vie et la prévention des décès ont éclipsé tout autre droit fondamental, y compris le droit au travail décent et le droit à la culture », déplore Hans Waege, intendant du Belgian National Orchestra, dans cette carte blanche.
En mars, lorsque le coronavirus a gagné la Belgique, les virologues et les responsables politiques n’ont eu d’autre choix que de confiner notre pays pour le protéger contre cette menace inconnue. Les images venant de Chine et d’Italie nous ont fait l’effet d’un choc. Le droit absolu à la vie et la prévention des décès liés à la COVID-19 étaient alors à ce point prioritaires qu’ils ont éclipsé tout autre droit fondamental. Y compris le droit au travail décent et le droit à la culture.
Un peu plus de six mois plus tard, le discours s’est modifié et l’heure est à présent à une approche plus différenciée de lutte contre le coronavirus.
Culture et civilisation sont l’essence même de notre société, une société dans laquelle l’Homme s’efforce de tendre vers le progrès, en apprenant par essais et erreurs. Le défi est ici toujours de gérer les limites et les opportunités de notre environnement (naturel). Et plus encore les limites et les potentialités de l’être humain, qui est par essence un individu relativement impuissant mais qui fait la différence lorsqu’il est en groupe. L’essence même de la civilisation est reconnue au plus haut niveau dans les sciences, les arts et l’organisation (politique, juridique et économique) de la société, qui orientent leurs efforts vers le progrès de notre civilisation.
Aucun système n’a d’exclusive et ne pourrait d’ailleurs exister isolément dans la société, sans interactions avec les autres systèmes. Aucun de ces systèmes ou de leurs composants, parmi lesquelles l’épidémiologie et la virologie, n’a un monopole sur l’autre. D’où l’indépendance du pouvoir judiciaire et législatif, la relative primauté du pouvoir exécutif, la liberté scientifique et la liberté des arts. Dans un système équitable de freins et de contrepoids (« checks and balances »), le secteur des arts devrait même pouvoir agir avec un maximum de liberté par rapport aux autres systèmes. Aucun de ces systèmes n’est en soi une « dictature » et la diversité est l’une de leurs caractéristiques fondamentales. Et à lui seul, aucun de ces « petits » systèmes spécialisés ne peut servir parfaitement la société et ses citoyens. Au sein de notre société, de notre civilisation, la critique juste et constructive ainsi que la contestation sont des composantes essentielles de notre système de progrès. Et c’est précisément ce système fragile mais essentiel qui a été sévèrement mis à mal au cours de ces derniers mois.
Les arts, en tant que composante fondamentale de notre société, ont absolument besoin d’échanges et d’un public. Indépendamment du lourd tribut payé par les artistes, qui a d’ailleurs été à juste titre fort médiatisé, le fait que le secteur artistique et culturel soit coupé de son public et dès lors de l’espace public constitue une grave menace pour notre modèle de progrès. Cette coupure nuit aussi bien à notre prospérité qu’à notre bien-être. Certes, ce constat vaut bien entendu aussi pour l’enseignement et la recherche, mais force est de constater que le secteur des arts et de la culture a été touché de plein fouet.
Le fait que le secteur artistique et culturel soit coupu0026#xE9; de son public constitue une grave menace pour notre modu0026#xE8;le de progru0026#xE8;s.
Et ce n’est pas tout: partant d’une analyse très limitée qui n’a pas pris en compte toute la complexité du fonctionnement de la société, et fondée sur un débat bien trop médiatisé, partial et relevant du sensationnel, les efforts ont exclusivement tendu vers la sécurité d’un groupe finalement numériquement très restreint mais qui mérite bien entendu une attention particulière.
Poursuivons notre analyse. Le débat a pratiquement passé sous silence le pouvoir, la force unique de l’art et par extension de la culture. Le pouvoir de créer de l’espace, de pénétrer dans le cercle intime – famille, ménage, groupes d’amis et fidèles collègues. Or, c’est précisément à ce niveau que l’on observe le plus de comportements à risque, comme l’a révélé l’analyse de la situation en Espagne. Or, l’art nous aide à imaginer comment communiquer socialement et par les émotions sans grande proximité physique au sein des groupes. L’art peut créer un espace positif et nous permettre ainsi de découvrir et de profiter de nouvelles formes d’échange et de communication bien nécessaires, sans qu’elles n’imposent nécessairement l’inconfort des mesures de distanciation sociale.
Le secteur des arts peut être un précieux allié dans l’élaboration d’une politique efficace de lutte contre le coronavirus. L’art et la culture offrent des expériences dans le contexte du quotidien et du cercle intime. A un niveau où les règles et l’exercice du pouvoir de l’Etat n’ont que peu d’impact. En revanche, en offrant des expériences exceptionnelles, ils ont un impact positif sur le bien-être général. Dans un monde qui change, il apparaît essentiel de créer de tels espaces de liberté.
Le secteur des arts et de la culture est professionnellement bien équipé. Une vie culturelle bien encadrée et sûre peut créer des espaces de détente. Vivre ensemble une expérience artistique, en toute sécurité, réduit d’autant les risques inhérents aux rencontres et fêtes dans des lieux informels et privés qui échappent plus facilement aux contrôles.
Les règles sont aujourd’hui plus strictes qu’il ne le faut. La société en souffre. Pourquoi imposer le port du masque dans des salles bien ventilées dans lesquelles le respect d’une distanciation sociale d’un mètre 50 est possible? N’est-ce pas suffisant d’imposer le masque uniquement lorsque le spectateur est amené à se déplacer, pour s’installer et quitter son siège? Pourquoi continuer à limiter le nombre de spectateurs à 200 et leur imposer le port du masque dans des salles de plus de 2.000 places assises, dotées de hauts plafonds et équipées d’un système de ventilation extérieure?
Concentrons-nous sur des mesures dont l’utilité a été démontrée: des règles sensées et claires et une distance strictement réglementée entre les sièges. Nous avons besoin d’une société qui revit pleinement et qui fait à nouveau sens, d’un retour à la prospérité et au bien- être. Le secteur des arts et de la culture est ici un allié important qui doit être associé au débat.
Hans Waege, Intendant Belgian National Orchestra
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