Esperanzah! sous la pluie
La deuxième journée de l’édition 2011 du festival Esperanzah! aura été frappée du sceau de la pluie. Petit compte-rendu des concerts (humides) de samedi.
Relativement épargnée par les caprices météorologiques de notre charmant pays vendredi, l’édition 2011 du festival Esperanzah! aura vécu son deuxième jour au rythme quasi métronomique des averses. À croire que le Je vous amène le soleil décoché par la chanteuse Sophia Charaï en début d’après-midi a provoqué l’ire des dieux de la drache. Pas de quoi entamer l’enthousiasme des festivaliers, me direz-vous. Il n’empêche. A voir les mines patibulaires emmitouflées dans leurs cirés grisâtres, pas sûr que l’esprit de la petite messe de l’altermondialisme version floreffoise ait échappé à la malédiction diluvienne de l’été 2011.
Malgré tout, les accents méridionaux de la programmation pouvaient compter sur la ferveur quasi inaltérable (envers et contre tout) d’un public hétéroclite, rassemblant dans ses rangs familles nucléaires et tribus hippies drapées façon manouche. Un joyeux bouillon de culture en sommes, du jeune idéaliste bariolé de slogans anti-nucléaires à la relique soixante-huitarde à moitié déglinguée.
Il n’y a qu’à voir la prestation enflammée de la chanteuse marocaine Sophia Charaï côté jardin, pour s’en rendre compte. Passées les voix bulgares de l’introduction, le concert se répand en un florilège d’influences, convoquant flamenco, jazz et sonorités arabisantes aux grés d’un crescendo rythmique étourdissant. La dame martèle la scène de ses pieds nus, virevolte, tournoie et emporte la foule dans sa transe scénique, portée en cela par un quatuor de brillants allumés (mention spéciale pour la guitare sèche). Côté cour, les trublions de Che Sudaka balancent leur rock punk sous perfusion latino à la manière d’un Manu Chao sous amphétamine. La filiation avec le maître ne s’arrête pas aux influences musicales. Repérés par le bassiste du Radio Bemba Club System de Manu Chao en 2004, Che Sudaka et Gambeat en sont à leur troisième collaboration. Un joli parcours pour ces six immigrés chiliens et argentins, débarqués sans papier sur le vieux continent il y a 8 ans à peine.
Côté jardin, c’est au tour de Raphaël Gualazzi de crever la grisaille ambiante. Timbre de voix délicieusement raillé, présence scénique fulgurante, celui que l’on surnomme le Tarantino de la musique, en raison de l’éclectisme stylistique de son répertoire – à savoir un mélange de jazz, de blues et de soul traversé d’influences modernes – électrise son public à grands renforts de solos pianistiques endiablés et de rythmique imparable. Une découverte.
Une découverte, les Ogres de Barback n’en sont plus vraiment une. Réputée pour sa faculté à galvaniser les foules, la fratrie propose un spectacle haut en couleur, avec acrobate et stroboscopes de circonstances. Las. La surenchère scénique des Ogres, loin d’enthousiasmer le public, aura plutôt contribué à en anesthésier les sens. A trop vouloir éblouir la rétine, le groupe finit par perdre la fougue qui le caractérisait. Il faudra toute la vindicte d’un Salut à Toi emprunté aux Béruriers Noirs pour relever le ton et conclure la prestation sur une note plus viscérale.
Entre-temps, la pluie a définitivement installé ses quartiers sur le site de l’abbaye. La musique gorgée de soleil de Tiken Jah Fakoly tranche violemment avec la bruine suffocante de la fin de soirée. Figure de proue de cette édition 2011, le chanteur ivoirien cisaille ces compos de thématiques révolutionnaires, égrenées au rythme d’un reggae jamaïcain teinté de blues mandingue. Si la performance est en adéquation la plus totale avec le thème du festival, son tempo lent finirait par plomber l’enthousiasme du plus ardent festivalier.
C’était sans compter sur l’irruption fracassante de La Phaze. Véritable mur de son cimenté à l’électro, le groupe français ne fait pas dans la finesse, mais se fend d’une hargne synthétique absolument jubilatoire, qui résonne comme une délivrance viscérale dans cette grande messe de la baba-cool attitude. Basses synthétiques, guitares électriques, samples électros et roulements de batteries frénétiques déferlent sur les murs de l’abbaye avec la délicatesse d’un rouleau compresseur sonique. C’est gras, violent, ça dénote complètement. Pas sûr que le militant altermondialiste venu picoler au bio en dissertant sur les bienfaits nutritionnels des racines de la patate malgache n’ait placé la chose en tête de sa playlist. Mais qu’importe. Après une journée passée à s’émerveiller devant le miracle de l’humanisme méridional, on peut bien s’autoriser une petite injection d’adrénaline ultra-concentrée, non?
Nicolas Poës (stg)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici