En vadrouille à Paris avec Astéréotypie, un groupe pas comme les autres
Alors qu’Astéréotypie vient de sortir son nouvel album, le radical et ravageur Patami, Focus a passé la journée à Paname avec Christophe Lhuillier et Claire Ottaway. De l’interview de Laurent Stocker à la Comédie-Française pour le Papotin à l’enregistrement d’un Côté Club sur France Inter avec Philippe Katerine.
Paris. À deux pas du Louvre. 10 heures du matin, prêt pour une journée avec Astéréotypie. Un petit troupeau de gens atypiques se rassemble devant la Comédie-Française. Les uns sont accompagnés. Les autres débarquent en toute autonomie. En ce mercredi froid de la mi-novembre, l’équipe du Papotin est venue interviewer l’homme de théâtre, de cinéma et de télévision Laurent Stocker. À la base, avant de devenir une émission de télé en 2022 sur une idée des réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano (Intouchables, Hors Normes), le Papotin est un journal. Un journal lancé en 1990 par Driss El Kesri à l’hôpital de jour d’Antony, dans les Hauts-de-Seine. Sa rédaction est composée de journalistes non professionnels, porteurs de troubles du spectre autistique. « T’as quel âge? » « T’habites où? » « T’es marié? » « Elle s’appelle comment ta femme? » « On se dit tu ou vous? » « Qui fait le repas chez toi? » « Est-ce que ta copine aime la fête? » Les questions sont inattendues. Les réponses forcément aussi. Qu’elles émanent de Virginie Efira, Emmanuel Macron, Angèle ou Ginette Kolinka, rescapée du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Stocker se prête avec beaucoup d’enthousiasme à l’exercice. Il connaît le projet depuis ses débuts. Son ami Howard Buten, artiste et psychologue américain, a été il y a presque 35 ans le tout premier invité du journal.
« Bonjour. Claire. Enchantée. N’aie pas peur. Je ne vais pas te tirer dessus avec mon arc. » Claire Ottaway, 34 ans, est journaliste sans filtre, mais aussi une improbable slammeuse. Elle officie dans le groupe Astéréotypie, qui a enflammé le festival de Dour cet été et vient de sortir son quatrième album: le fantastique Patami. Claire est une archère, comme une déesse, qui punit les crétins et qui s’imagine bien crever un œil à cette pétasse de la télé-réalité de Dubaï…
« Le nom du groupe vient du mot stéréotypie. Ce sont des mouvements involontaires et répétitifs qu’on peut faire quand on souffre de troubles du spectre autistique, explique Christophe Lhuillier. Kevin trouvait que ses stéréotypies ressemblaient à des astéroïdes. Du coup, il avait décrété qu’il avait des astéréotypies. Ca nous avait fait rire et c’est devenu le nom provisoire de notre atelier avant de devenir celui du groupe. »
À la base, Christophe est éducateur spécialisé quand en 2010, avec une collègue, il propose à sa direction d’organiser des ateliers d’écriture. « Ce qui devait être un atelier de poésie où on allait apprendre aux jeunes comment utiliser les vers et compter les pieds a rapidement pris une autre tournure. Parce qu’on est fascinés par ce qu’ils nous racontent mais aussi la façon dont ils le disent. On s’est donc plutôt mis à les suivre et sans trop le savoir à se retrouver dans une démarche d’art brut. »
Petit à petit, la musique va venir se joindre aux mots et évoluer au fil des années et des rencontres. Grâce à l’arrivée de Benoît Guivarch, à son passage aux machines, au soutien du festival Sonic Protest mais aussi à l’implication dans le projet d’Eric Tafani Dubessay et Arthur B. Gillette, membres du groupe Moriarty. « Au début, on faisait de la musique de chambre. On avait vraiment la volonté de s’effacer. On partait sur des trucs très calmes qui étaient censés laisser de la place aux textes et les mettre en valeur. Mais on s’est vite rendu compte qu’au-delà de l’écriture, il y avait de la performance et une incroyable interprétation. Du coup, on s’est orientés vers une formule plus punk pour coller à leur énergie. En France, les personnes handicapées sont souvent vues comme porteuses d’espoir. On s’attend à ce qu’elles vous racontent un truc super, à ce qu’elles vous fassent rire, à ce qu’elles vous donnent du peps. Alors que quand on leur laisse la parole libre, elles ont bien d’autres choses à raconter. Et c’est dans ce sens-là qu’on a voulu se diriger. Être musicien avec des paroliers comme eux, je le vis comme un privilège. On ressent presque une interdiction de les accompagner avec une musique lambda. »
Après un ou deux titres plus énervés, il y a eu Colère. Morceau choisi: « Ce qui me met en colère, c’est quand parfois on me crie dessus pour des choses qui sont vraiment pas importantes. J‘en ai marre qu’on me crie dessus pour rien. Juste parce que je me décortique le nez. J’en ai marre, c’est nul. C’est dégoûtant, je l’accorde. Mais c’est tellement pas important. » La musique d’Astéréotypie n’a depuis fait que se radicaliser et monter en intensité.
« Je m’occupe des adaptations, poursuit Christophe. J’écourte parfois un peu. Mais j’insiste: je n’ajoute pas le moindre mot. Je vais juste souligner qu’ici ou là on pourrait comprendre l’inverse de ce qu’il ou elle veut raconter. Ce sont des interventions très minimes. On essaie vraiment de disparaître au maximum et de conserver l’univers de chacun. On a accepté des textes de plus en plus foufous. On a du coup musicalement été obligés de s’aligner. »
Sortir des pages société
Christophe Lhuillier a beaucoup tourné en Belgique avec son groupe Infecticide. Il a participé au Papotin en tant qu’éducateur accompagnant pendant quelques années et est devenu bénévole quand son ami Julien Bancilhon a endossé le poste de rédacteur en chef. « L’institution dans laquelle je bossais participait au journal depuis une éternité… Mis à part Aurélien, tous les membres d’Astéréotypie ont fait partie de l’aventure. C’est d’ailleurs au Papotin que j’ai rencontré Claire. » Alignement des planètes. La gazette est devenue un programme télé en 2022, l’année où le groupe s’est fait remarquer. « Le Papotin est plus connu qu’Astéréotypie. Donc quelqu’un qui nous voit en concert se dit: « Ah ouais, je les connais. Je les ai déjà vus à la télé. » L’inverse reste moins courant. »
Lhuillier bosse également sur l’événement Colis Suspect de l’association Futur Composé qui crée des ponts entre de jeunes autistes et des artistes aux horizons divers. « En Belgique, vous avez les Choolers, le Wild Classical Music Ensemble et Chevalier Surprise. En France, en ce qui concerne le handicap et la culture, il y a eu un très gros investissement autour du théâtre, mais relativement peu autour des musiques actuelles et de l’art brut. Vous faites la taille de la Bretagne mais vous nous défoncez à bien des égards. Je l’ai même dit à monsieur Macron quand il est venu dans le Papotin. Ca l’avait fait tiquer. Il avait répondu: « Ah bon, comment ça?« »
Comme le Wild, les Choolers et Chevalier Surprise chez nous, Astéréotypie suscite tout sauf de la pitié. C’est une vraie performance artistique. Rock. Forte. Brute. Dansante. Viscérale. Poétique. « On n’essaie pas d’être inclusif. On est un groupe. Un groupe qui veut utiliser l’apport des talents à la marge. Et c’est ça qui nous rend pertinent. C’est la même chose pour le Papotin, je pense. Il y a des gens qui regardent le Papotin parce c’est une formidable aventure humaine et que ça rend visible le handicap. Mais il y a des gens comme moi qui vont plutôt se dire que l’intérêt du Papotin est dans les questions atypiques posées par des journalistes singuliers qui font qu’on obtient d’un invité une réponse qu’on n’aurait pas obtenue dans un autre cadre. Il y a un vrai apport journalistique à ce dispositif. Et du coup ça devient inclusif. Et du coup, ça devient une formidable aventure humaine. Sans ça, il est très compliqué de sortir du circuit du handicap. Même si certains projets sont extrêmement qualitatifs, tu es vite enfermé dans les pages société, à l’écart des rubriques culturelles. C’est pas facile de rester en culture. A fortiori si on parle de médias généralistes. On accepte ce jeu-là, mais c’est un équilibre fragile. »
“C’est Booba la meuf”
Promenade en bus. Rendez-vous du côté de la Maison de la radio. Stanislas Carmont, 26 ans, prestance et voix chics d’un autre siècle, nous rejoint au restaurant. Perturbé par un peu trop de karaoké, il a professionnellement fait l’impasse sur le Papotin du matin et a préféré répéter. Cet après-midi, Astéréotypie est invité dans l’émission Côté Club sur France Inter. Stan, qui vit aujourd’hui avec son père à Boulogne, aime All City et Maître Gims. Mais pas trop le métal. Il parle anglais et quelques mots de néerlandais (« J’ai de la famille en Afrique du Sud»), est doué en imitation (Cluzet, Sarkozy, Hollande…) et s’est également infiltré dans des séries (Panda, Une famille d’accueil), sur les planches (il est membre du Théâtre du Cristal) et au cinéma (Un p’tit truc en plus). « Je devais avoir 15 ou 16 ans quand j’ai commencé les ateliers. Et l’écriture nous a emmenés vers quelque chose d’extraordinaire. Rock en Seine, le Bataclan… On a donné de gros concerts et on est sortis du milieu du handicap. Ca fait plaisir de pouvoir s’intégrer dans la société. De se libérer de cette étiquette d’autiste qui est quand même très réductrice parfois. J’ai ressenti la même chose avec le cinéma. C’est important pour quelqu’un de différent. D’autant que petit à petit, j’ai commencé à jouer autre chose que des autistes. Ca fait du bien de ne pas toujours être assigné à son propre rôle… »
La musique est pour Stan synonyme de bien-être. « Quand je monte sur scène, je me sens épanoui. Je préfère le live à l’écriture. La scène, c’est le moment de l’accomplissement. C’est la récompense. J’apprécie énormément le contact avec le public. Aller lui serrer la main. Notre cher Yohann (Goetzmann) qu’on adore aime se faire porter par les spectateurs. Et ça c’est vraiment excellent. Peut être que je devrais essayer. »
Dans Astéréotypie, il y a cinq MC réguliers. Et Yohann, c’est l’historique. Quasiment celui pour qui l’idée du projet est née. « C’était le bonhomme dans l’institution qui commentait les rencontres sportives, explique Christophe. On n’aurait jamais misé sur son côté artiste. Mais depuis, il a été exposé à Bruxelles. Il fait des collages numériques. Il est incroyable. Aujourd’hui, il vit en Belgique du côté de Tournai. »
Aurélien Lobjoit, lui, aime lister les choses. Se rassurer. Prendre de l’avance sur le temps. Tout maîtriser. Sur le nouvel album, il est responsable de Calme-toi bouge tes genoux et Goûter soir apéro. « Aurélien est extrêmement énergique voire tendu sur scène, commente Christophe. Il en impose. Il a cette façon particulière de scander. Quand il parle, on dirait toujours qu’il donne des ordres. » Il y a aussi Félix Giubergia, l’homme de l’ombre.
Dans les couloirs de France Inter, Claire, avec ses barrettes de Noël dans les cheveux, alpague Philippe Katerine et lui serre la pince. « Ca tombe bien, je viens de me laver les mains », commente le chanteur décalé et lunaire. S’ensuit une conversation surréaliste qui tourne autour de pochette de disque, de chien qui ressemble à Chewbaca et de performance olympique. « Ah, vous m’avez vu à la cérémonie des J.O. Qu’en avez-vous pensé? » L’émission du soir s’annonce perchée.
Claire a déjà rencontré du beau monde. Elle a chanté Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion, son idole, avec Angèle. Elle a apprécié les visites au Papotin de Juliette Armanet et Adèle Exarchopoulos. Mais n’est pas très YouTubeur. Elle craque pour les contes de fées et les romans de fantasy, et adore Tchaïkovski. Casse-noisette, La Belle au bois dormant et Le Lac des cygnes. Jenifer, Lorie et Amel Bent. « Je collectionne les chanteuses de variété. J’ai trop de disques à la maison. Mais j’écoute aussi de la musique sur Deezer. Parce qu’on peut pas tout avoir. »
Claire a écrit et chante trois morceaux de Patami. Notamment Cheese Bad Girl. « Les hommes, on dirait que c’est des loups comme dans Tex Avery. Moi je veux danser et m’amuser et c’est pas pour être provocante. » Un hymne féministe? « C’est vrai. Mais je ne peux pas vous dire tout. Je préfère que ça reste secret. C’est personnel comme dans un journal intime. Merci. »
C’est déjà à Claire qu’on devait le tube Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme. Claire est la seule fille du groupe Astéréotypie. « Claire c’est l’heroic fantasy, reprend Christophe. C’est l’univers des animes. Une grosse culture télé réalité. Et le sens de la phrase qui claque. Rebeka Warrior avec qui on a collaboré disait: « C’est Booba, la meuf! Dès qu’elle parle, elle lâche une punchline. » »
Durant l’enregistrement de l’émission avec Katerine, ça parle de poésie, de biche, de réinvention du vocabulaire, de sexualité fléchissante et de l’odeur de la confiance. Astéréotypie interprète deux morceaux: L’Archère, chanté par Claire, et Je ris pour autre chose, avec Stanislas au micro. La chanson vient d’un toc: « J’aime beaucoup les avions. En voir me rendait heureux. Et à la base, c’est ce que je leur disais continuellement pour leur expliquer que quand je souriais je ne me moquais pas d’eux. Les avions, ce sont des objets. Ils s’en foutent que je rigole ou pas. Mais moi, j’avais besoin de leur dire que je les respectais. Ca coïncide avec une peur que je ressens actuellement. À chaque fois que les gens rient, j’ai l’impression qu’ils se moquent de moi. Et c’est dur. On perd de la force physique. C’est comme si on nous tirait dessus. »
Sur Patami, Stan signe aussi une formidable déclaration d’amour à son père (C5), aussi belle et poétique que Les Yeux de ma mère d’Arno. Comme le résume Christophe, « il a réussi à faire d’un objet pop, d’une voiture qui est en plus un peu moche, le sujet d’une chanson qui parle d’une jolie relation ».
Astéréotypie, Patami ****, distribué par Air Rytmo/Modulor
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