Arno et les femmes: el hombre complicado
“Je suis un chanteur de charme raté”, avait coutume de dire Arno. Une demi-blague tant il a passé la majeure partie de sa discographie à chanter les femmes (toujours fortes) et les relations amoureuses (forcément foireuses).
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Vous cherchez les femmes? Dans les chansons d’Arno, elles sont partout. Elles s’appellent Lola, Olga, Martha, Mathilda, Françoise, Marie, Lili, etc. Elles sont DJ, masseuse, serveuse, thérapeute. Ce sont ses amies, ses amoureuses, ses “sœurs”, ses tantes, ses grands-mères. Sa mère. Dans le documentaire Charlatan, réalisé par son ami Dominique Deruddere, Arno explique: “J’ai été élevé par des femmes. Forcément, cela a joué sur ma personnalité… Le féminisme, j’ai toujours vécu dedans, c’est quelque chose de naturel pour moi. Ma mère, par exemple, avait les cheveux courts. Et c’était elle la patronne à la maison.”
Rayonnante, Lucrèce, que tout le monde appelait Lulu, avait en effet des airs de Jean Seberg. Aînée d’une fratrie de quatre, elle est la fille d’Ernest van den Kieboom et Marie-Louise Philips. Arno a souvent évoqué sa grand-mère maternelle. Avant de se consacrer à sa famille, Marie-Louise a été chanteuse, accompagnant les films muets au cinéma, ou reprenant des airs d’opérette sur la scène du Théâtre d’Ostende. Son petit-fils la mentionne dans l’un de ses titres les plus emblématiques: Elle adore le noir. “106, chez Marie-Louise”, commence Arno.
De sa mère, décédée très jeune, Arno mettra plus de temps à parler. Elle meurt en janvier 1973, probablement d’une tumeur au cerveau, âgée d’à peine 44 ans. Son fils aîné en a 24. Se remet-on jamais d’un tel choc? À l’époque, Arno s’accroche à la musique, et au duo qu’il forme avec Paul Couter. Il expliquera un jour n’avoir gardé que de vagues souvenirs de cette période, comme plongé dans un brouillard. Il faudra attendre 1995 pour que le fils lâche Les Yeux de ma mère, classique d’Arno alors encore planqué sous des airs de bastringue…
Le plus beau
Tout au long de la carrière d’Arno, les femmes ne seront pas seulement sa principale (sa seule?) source d’inspiration. Elles seront à chaque fois présentes dans les moments charnières. À commencer par Sonja Vanhee, son premier grand amour d’adolescence. Arno n’a pas 16 ans quand il tombe sur elle au Non-Stop, un club pour teenagers. Ils dansent ensemble, collé-serré. C’est un match! Ensemble, ils se rendront au festival de Bilzen, dormiront dans le même sac de couchage au festival d’Amougies, le Woodstock belge. Ils traverseront aussi souvent la Manche pour faire les disquaires, assister à des concerts. Sonja lui offre son premier harmonica. “Elle était en avance sur tout. C’est une madame rebelle, avec du caractère.” L’Ostensche Mokke, que chante Arno, c’est elle. En 1974, Sonja Vanhee se débrouille même pour obtenir un rendez-vous à Londres chez Virgin, pour faire écouter les démos de Tjens Couter. Quelques années plus tard, alors que le couple a fini par se séparer, Arno est à New York, au CBGB. Dans le juke-box du célèbre club, il découvre, estomaqué, un single de Tjens Couter. C’est Sonja qui a laissé traîner un exemplaire…
Une décennie plus tard, c’est une autre Sonia, Dufour, qui va marquer le parcours d’Arno. Dès 1980, le chanteur emménage dans l’appartement bruxellois de sa nouvelle amoureuse. Arno traverse alors une sale passe. Il n’est plus un inconnu mais les débuts de TC Matic sont laborieux. Sonia Dufour est là pour le soutenir. Elle est attachée de presse, chante aussi. En 1981, elle sort un premier 45 tours, Bonjour!. Co-compositeur, Arno est aux chœurs, tandis que TC Matic assure la musique. Zone floue entre le privé et le professionnel… Dans le clip d’Oh La La La, Arno embrasse furtivement une jeune femme: Sonia Dufour. Sa compagnie le pousse à écrire davantage en français. Dans son indispensable biographie d’Arno (éd. Le Mot et le Reste), Gilles Deleux écrit: “(Ses) textes intègrent de plus en plus de mots ou d’expressions françaises. (…) Sonia Dufour joue un rôle non négligeable dans ce processus. Arno apprend réellement à parler français avec la jeune femme.”
L’idylle ne durera toutefois pas. Il faut dire que les années 80 sont un vrai tourbillon pour Arno. Happé par la vie nocturne et les tournées incessantes, il semble emporté dans une fête permanente. Avec tout ce que cela suppose de tentations. Gilles Deleux, toujours: “Arno a déjà une solide réputation de womanizer. Celui qui se surnomme lui-même “Arno le plus beau” ne se contente pas de parler tant et plus du “sexe faible” dans ses chansons, il le fréquente aussi beaucoup dans la réalité, semblant même préférer sa compagnie à n’importe quelle autre.” C’est un peu la revanche du bègue binoclard autiste. Au milieu des eighties, Arno a muté en séducteur charismatique. On peut l’apercevoir au très branché Mirano, ou au bras de la top model Danielle D’haese, dansant avec elle au pied de la tour Eiffel pour l’émission Cargo de nuit…
Sans mademoiselles, il n’y a pas de musique pour moi.
À la française
Ce n’est qu’à l’aube de la décennie suivante qu’Arno va davantage se “poser”. Sa rencontre avec Marie-Laure Béraud est décisive. Originaire de Lyon, elle a déjà publié deux premiers singles, C’est pas le Pérou et Salamanca. À l’époque, son éditeur, Emmanuel de Buretel, est aussi celui d’Arno. Il leur propose de se rencontrer pour collaborer. “J’ai pris le train pour Bruxelles, se souvient Marie-Laure Béraud . Quand je suis arrivée dans son appartement rue Dansaert, le sol était jonché de vinyles, de livres. Ce jour-là, on a beaucoup discuté et échangé sur nos goûts musicaux.” Au final, le duo prévu n’aura jamais lieu. Par contre, Arno a le coup de foudre. “Moi, pas directement. Mais il a insisté. Et finalement, ça s’est fait (sic).”
Quelque temps après, Arno finit par s’installer à Paris chez Marie-Laure, rue Turbigo, numéro 12. L’endroit servira aussi de titre pour le premier album de la chanteuse. Même si TURbigo 12-12 a été enregistré à… Bruxelles, dans le studio de Dan Lacksman (Telex). On y retrouve Arno à l’harmonica et certains de ses fidèles musiciens -Ad Cominotto, Roland Van Campenhout, Jean-Pierre Onraedt. Le disque sort en 1991. Loué par la critique, il recevra même le prestigieux prix Charles Cros. “Ce qui a créé une petite concurrence entre nous. Surtout qu’au même moment, il venait de se faire virer de sa maison de disques. Je savais très bien qu’il allait tout de suite s’en remettre et retrouver rapidement un label. Mais lui était démonté. Pour lui, la musique, c’était vraiment sa vie, sa raison d’exister. Il n’y avait pratiquement que ça.”
Deux ans plus tard, Arno sortira Idiots savants. L’album qui lui fera rencontrer pour la première fois le grand-public. Marie-Laure Béraud avait raison… Le couple finira par revenir à Bruxelles, du côté de Laeken. Ils ont deux garçons, Mathias et Félix. Mais bientôt, Arno réenfilera le costume du lonely solo gigolo, repassant le canal, pour retrouver son appartement de la rue Dansaert. Même son ami de 50 ans, le photographe Danny Willems, le concède volontiers dans le docu Charlatan: “Je n’aurais jamais pu vivre avec Arno (rires). Le truc, c’est qu’il fait ce qu’il veut et ne pense qu’à lui-même.” Cela n’empêchera pas Marie-Laure Béraud de continuer à filer des textes à son ex. Une dizaine en tout, ce qui en fait la plus prolifique des (rares) auteurs qui ont écrit avec Arno. “Le connaissant, ce n’était pas trop compliqué. Parfois, je trouve qu’il raconte n’importe quoi. Je ne comprends pas où il veut en venir. Mais ce n’est pas grave. C’est son truc. Je suis plus structurée dans mes textes, là où lui est “plus” que surréaliste…”
On retrouve la signature de Marie-Laure Béraud sur des morceaux comme Lola, etc., Martha ma douce, ou encore Mourir à plusieurs, l’un des rares textes où Arno se permet un commentaire social plus frontal. “Arno ne prend jamais position. Je suis très différente de lui à cet égard. Je pense qu’il faut que les gens se mobilisent pour accéder à quelque chose de meilleur. Donc je trouvais bien qu’il chante un texte qui porte un peu un message, en lien avec ce qui passe au niveau de l’écologie. En même temps, je ne voulais pas que ce soit chiant, donneur de leçons. Comme c’était en plus pour Arno, on en a fait un truc rigolo.”
À l’inverse, sauf erreur, Arno n’a jamais écrit directement pour Marie-Laure Béraud. Par contre, a-t-il jamais écrit sur elle? “Qui sait? Je ne lui ai jamais demandé. De toute façon, ce n’est jamais très clair avec Arno…”
Lonesome Zorro
En 2019, sur Santeboutique, son dernier disque de chansons originales, Arno chantait le sépulcral Oostende bonsoir, l’un de ses plus beaux morceaux. Sa compagne de l’époque, Sophie Dewulf, avait participé à son écriture. C’est également elle qui a forcé le chanteur à aller consulter les médecins, qui diagnostiqueront son cancer. “Weer een vrouw…”, remarque Arno dans le docu Charlatan. “À nouveau, une femme…”
Elles n’ont pas seulement été au cœur des chansons d’Arno. Elles les ont aussi chantées avec lui. Il y a par exemple Reggie, alias Réjane Magloire, qui avait participé au tube d’Indeep (Last Night a DJ Saved My Life) et se retrouvera sur plusieurs titres d’Arno, à commencer par Forget the Cold Sweat. Il y a eu aussi les duos avec BJ Scott (Jean Baltazaarrr), Zap Mama, Brigitte Fontaine, ou encore celui tant fantasmé avec Mireille Mathieu. Et puis, évidemment, il y a Jane Birkin. “C’est ma sœur!” “Oui, il avait eu la gentillesse de me donner cette place-là, nous confie-t-elle. C’est l’une des personnalités les plus dingues, originales et authentiques que j’ai pu connaître. Il était irrésistible… J’ai eu la chance de rencontrer son père. Il avait combattu avec mon oncle lors de la Seconde Guerre mondiale. Vous imaginez? Ils faisaient partie du même bataillon! De toute façon, j’ai toujours trouvé qu’Arno avait quelque chose de très anglais. Dans son humour, sa dérision, son sens du sarcasme. Et aussi, cette manière frontale de dire les choses. Il n’était jamais décevant à ce niveau-là!” Ensemble, Jane et Arno ont chanté Mother’s Little Helper, mais surtout Élisa. Une reprise de Serge Gainsbourg, dont les forfanteries cachaient une vraie pudeur. Comme Arno? “C’est vrai, c’était également quelqu’un de très pudique, très timide. Je me rappelle d’un rendez-vous avec Michel Piccoli. Il était arrivé légèrement en retard, prétextant qu’il avait croisé un “cul formidable”! C’était tellement outrancier de dire ça, et plus que probablement faux. Mais il était à ce point intimidé de rencontrer une personne qu’il admirait tant, qu’il s’est senti obligé d’affabuler. Tout ça, c’est Arno.”
Soit un mélange de bateleur et d’ours hirsute, enfermé dans ses silences. Un artiste qui peinait à se dévoiler, sinon en blaguant -une interview avec Arno se révélait généralement aussi savoureuse que frustrante. Marie-Laure Béraud: “Arno n’a jamais aimé parler de lui. Il détestait l’introspection. Il s’en sortait avec une pirouette superficielle. Alors qu’il ne l’est pas du tout. C’était juste une manière de se défendre.” Ses confessions, il les planquait dans ses chansons. Qu’elles tournent principalement autour de ses relations amoureuses ne surprend pas. “80 % de mon imagination vient des femmes”, avait-il déclaré un jour. Ou encore: “Sans mademoiselles, il n’y a pas de musique pour moi.” Et surtout pas de blues. Puisqu’au fond, chez Arno, ou du moins dans ses chansons, l’amour a souvent ressemblé à une impasse. I’m a lonesome Zorro…
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