Edouard van Praet ne s’embarasse pas des styles: “Mais qu’est-ce qu’il se passe ici?”
Après une paire d’EP remarqués, le Bruxellois Edouard van Praet sort Mascarades. Un premier album iconoclaste à la croisée des genres, de la part d’un dandy rock excentrique.
Cette fois, on allait voir ce qu’on allait voir. En sortant son premier album, Edouard van Praet serait bien obligé d’abattre ses cartes. Jusqu’ici, il avait en effet plutôt passé son temps à les mélanger. En deux EP –Doors et Cycles-, le jeune sosie bruxellois de Syd Barrett (avec une touche de Gaston Lagaffe) s’était surtout amusé à zigzaguer, entre rock psychédélique, sorties folk, pop de chambre, digressions disco-funk, accords jazz, chanson ivre, etc. Une véritable anguille. Cette fois, cependant, plus moyen de s’échapper: on allait enfin savoir qui était Edouard van Praet, ce que le jeune boulimique avait exactement dans le ventre. N’est-ce pas? C’est bien comme cela que c’est censé se passer? Eh bien non! Tout faux.
Avec Mascarades, Edouard van Praet continue de taper frénétiquement sur tous les boutons à la fois, tel un gamin en surchauffe après avoir englouti en cachette tout le paquet de bonbons planqué au fond de l’armoire. En une douzaine de titres, il réussit à brasser rock synthétique (Echoes), plans à la Doors (Do You Ever Walk Alone?), glissades trance (L’Allumé), glam déviant (Faux mystère), chanson française sous reggaeton (Pamela), et même une éruption gabber (Why Did You Get So Far?). Rien que ça. Rencontré dans les bureaux de son label, l’intéressé sourit, visiblement content de son coup. » L’album reste un cap important. Quand on passe 45 minutes avec quelqu’un, ce n’est quand même pas rien. En l’occurrence, il y avait le désir d’amener les gens dans des directions un peu imprévues, de susciter une certaine forme de curiosité. Qu’ils écoutent un morceau, et puis se disent au suivant: mais qu’est-ce qu’il se passe ici?, avant de retrouver éventuellement leurs marques plus tard, etc. J’avais envie de les accompagner dans un processus de découvertes et d’exploration, en proposant différentes palettes sonores et émotionnelles. »
Sur la pochette de Mascarades, le musicien se cache ainsi le visage dans les mains. Tel un enfant qui croit disparaître après avoir commis une bêtise. À moins que ce ne soit simplement pour le musicien une manière de se planquer. Qui est donc Edouard van Praet? Reprenons depuis le début…
Le pouvoir libérateur de la gênance
Né en 1996 d’une mère belge et d’un père d’origine canadienne, Edouard van Praet grandit dans le sud de Bruxelles. À la maison, il y a un piano, de la musique classique, mais aussi les disques de Nirvana. Ado, il écoute des groupes comme les Strokes ou les Babyshambles et commence à remonter le fil rock jusqu’aux années 60. « Le jour où je suis tombé sur les huit minutes de The Soft Parade des Doors, j’ai vrillé. J’avais trouvé mon truc. » ll démarre alors un premier groupe, baptisé Tissue, avant d’embrayer en solo.
En 2021 paraît le premier EP -« folk sixties, mais bricolé dans ma chambre avec des boîtes à rythme »-, puis, un an plus tard, un deuxième –plus « électronique, mais avec quand même des tentatives de funk dégénéré, des passages plus noise, etc. ». Aujourd’hui, plutôt que de synthétiser tous ces joyeux écarts de conduite, l’album s’amuse à les multiplier. « Le mélange des genres est devenu en soi assez banal, en tout cas pour ma génération. Il y a des hybridations partout, tout le temps, entre rap et rock, rap et électro, etc. » Par contre, il est peut-être moins courant que ces combinaisons s’opèrent non pas dans un seul et même morceau mais d’une chanson à l’autre du disque.
Dans Mascarades, les ruptures de ton sont ainsi quasi constantes, parfois brutales. Quitte à frôler la schizophrénie? L’idée doit plaire à ce diplômé en psychologie, dont les morceaux semblent régulièrement au bord de la crise de nerfs, obsédés par le thème de la folie. « Je pense qu’elle est inévitable dans la création. » Tout comme le caractère ludique d’un disque qui ne se refuse rien? « Le but est avant tout de s’amuser. C’est un jeu. Par exemple en abordant des mots, des images, des thématiques… que je n’ai pas l’habitude d’aborder. Au risque que cela devienne gênant. Un morceau comme Sandimamamorane333, par exemple. Je ne pensais pas pouvoir écrire un truc pareil. Et encore moins le sortir. Mais en même temps, c’est ce frisson qui me pousse à aller jusqu’au bout. Après tout, on dit tous des conneries et on se ridiculise tout le temps, dans la vie de tous les jours. Je veux me permettre de le faire aussi en musique. À partir aussi du moment où, à côté de cet aspect-là, les chansons charrient quelque chose de plus profond. Entre la satire et la sincérité, c’est un aller-retour constant. »
C’est le coup du masque qui permet de dire plus facilement ses quatre vérités. Edouard van Praet a même baptisé ce mix de genres, entre jeu de dupes et élans de franchise cinglants: « antirock« . Il grimace: « Arf, c’est évidemment une blague. Et en même temps, si je suis honnête, c’est aussi un peu une manière d’exorciser certaines rigidités du rock. Quand je suis rentré dans cette scène, à Bruxelles, il y avait souvent un truc très codifié, qui était un peu chiant. Je ne retrouvais plus ce sentiment de contre-culture, nourrie par des gens curieux et ouverts d’esprit, avides d’expérimentations. Je ne dis pas que ces crispations n’existent pas dans d’autres genres, mais il y a une partie de moi qui était agacée par ça. Après, ça n’empêche pas qu’il y a toujours plein de groupes géniaux. Et si je dois décrire mon style, le mot rock reste inévitable. C’est la ligne de conduite depuis le début du projet. »
Cela n’empêchera pas Mascarades de déstabiliser. Passant de l’anglais au français, d’une ballade rock instrumentale à un BPM surexcité, l’album ne reste jamais en place, prenant précisément comme fil rouge son… manque affiché d’unité. Edouard van Praet concluant: « On cherche tout la temps la cohérence chez les autres. Parce que telle personne a tel âge, ou appartient à tel groupe social, elle doit forcément se comporter de telle manière. En quelque sorte, on attend que tout le monde soit conséquent. Alors que chacun a des goûts très différents, et a beaucoup de choses à dire et à échanger. »
Edouard van Praet, Mascarades ***
distribué par Pias. Le 26/10 au Botanique (Bruxelles)
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