Eddy de Pretto bientôt au Cirque Royal: « Tenter de parler d’amour, dans l’époque actuelle, n’est pas une mince affaire »
Après avoir traversé une série de remous, Eddy de Pretto a sorti un troisième album, Crash cœur, aux couleurs pop et r’n’b (faussement) légères. Un disque complètement love, ludique et effronté, bien décidé à faire la nique à la sinistrose, qu’il défend ce 23 avril au Cirque Royal.
Sur la pochette de son troisième album, Eddy de Pretto a le regard extatique, la mèche folle. Et la bouche grande ouverte, prête à gober une sucette en forme de cœur. Sous les couleurs pop et les codes queer, le message est clair: Eddy de Pretto a envie de s’amuser. Et, plus que jamais, de parler d’amour. Et plus précisément de “l’amour suintant, dégoulinant”. Il détaille: “Je parle de fluides, de liquides, il y a souvent du crachat. Mais c’est aussi un amour acerbe. Ce n’est pas un amour naïf. C’est un amour compliqué, parfois piquant. Mais toujours sexuel, désirable. C’est un amour qui coule, qui colle. C’est pour ça que l’image de la sucette correspond bien. En plus d’amener le côté pop. Je pense que c’est mon album le plus pop.”
Sur Crash cœur, Eddy de Pretto parle donc de coup de foudre et de coup de blues (Urgences 911, Maison); d’estime de soi (Être biennn) et de solitude (Personne pour l’hiver); parfois d’amour tarifé (Papa $ucre), mendié (Mendiant de love), mais toujours brûlant de désir (Eau de vie, avec Juliette Armanet). Pourtant, avant l’amour, Eddy de Pretto a d’abord dû faire la guerre. En bataillant par exemple pour défendre un deuxième album (À tous les bâtards), sorti en mars 2021, alors que le Covid 19 déroule sa troisième vague. Mais aussi en devant affronter les réseaux sociaux dans ce qu’ils peuvent avoir de plus sauvage et violent…
Games of trolls
Le 19 juin 2021, il est invité à donner un concert à l’église Saint-Eustache, à Paris. Un artiste gay chantant fièrement son homosexualité dans un lieu religieux catholique? C’en était manifestement trop pour certains. Dès le lendemain, Eddy de Pretto encaisse une vague de haine homophobe sur Internet. “Je ne m’y attendais pas. C’était une vraie mauvaise surprise.” Lui qui venait précisément de sortir un disque célébrant les différences. Lui aussi qui, tout s’étant fait connaître avec un tube antiviriliste (Kid), avait toujours esquivé le rôle de porte-drapeau, le voilà rattrapé par une certaine réalité. Il décide de porter plainte.
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En décembre 2022, onze hommes sont condamnés à des peines allant de trois à six mois de prison avec sursis. “Je suis allé en justice pour deux raisons. D’abord pour régler une question personnelle, intime: comment je veux répondre à ce genre de comportements. Ensuite, puisque que j’ai une tribune, ou en tout cas, que j’existe publiquement, il fallait que je m’en serve pour faire avancer les choses. Et ce, pour tout type de cyberharcèlement. Quand je suis allé déposer plainte, j’ai été reçu dans un bureau spécialisé dans ces questions, mais avec des gens qui venaient d’arriver, d’autres encore en formation. Tout ça est très nouveau. Donc il faut des exemples, des gens qui montent au créneau.”
Fréquence r’n’b
Pour annoncer son nouvel album, Eddy de Pretto a d’abord sorti le titre R+V. Il y énumère une série de figures gays -de Rimbaud à Verlaine, de Frank Ocean à Freddie Mercury– qui ont pu éclairer son chemin. “Je les entends me guider (…) Sont-ils encore là/Même sous la honte et les crachats”, chante-t-il notamment. Dans une interview au magazine Têtu, Eddy de Pretto expliquait également à quel point le nouvel album était arrivé un peu comme un “sauveur”. “Après le procès, j’en avais vu suffisamment. Je ne voulais pas remettre la main dans la merde, aller brasser cette haine vivante, la masser. J’avais plutôt envie d’aller chercher le beau, le poétique.”
De fait, Crash cœur fuit la sinistrose. Certes, les textes restent souvent tortueux. Mais la musique, elle, assume ses sonorités pop, et ses penchants r’n’b (Être biennn, Papa $ucre, Mendiant de love), lorgnant les années 90-2000. Eddy sourit: “C’est mon adolescence! Le r’n’b américain -The Neptunes, Britney Spears, Timbaland, etc.- mais également français -j’écoutais beaucoup K-Reen, Leslie aussi, de ouf. J’avais envie de donner une couleur particulière à l’album. Et le r’n’b lui allait bien. Aussi pour ce qu’il représentait à l’époque. On quittait le rap un peu sombre, dénonciateur, pour aller vers une musique qui essaie de parler d’amour. Parfois de manière maladroite, je te l’accorde (sourire). Mais avec l’idée d’amener une autre énergie, de s’évader.”
Cri du coeur
Une ambition qui pourra paraître un peu vaine dans le climat actuel? Sur le morceau Love’n’Tendresse, Eddy de Pretto ne se montre d’ailleurs pas spécialement optimiste: “C’était le début des années 2020/Le début de la fin sûrement”… Est-ce facile de chanter l’amour au bord du précipice? “En fait, je vais te dire un truc: je pense que c’était essentiel pour moi. D’abord parce que je n’avais pas forcément le recul nécessaire pour décortiquer cette société que je trouve de plus en plus divisée, et où il devient très compliqué de se positionner, sans se faire caricaturer. Et puis, je sortais aussi de deux albums très “sociétaux”, où je parlais de choses comme les questions d’identité, etc. J’avais envie de me défaire un peu de cette responsabilité de l’artiste qui “décrypte la société”. Pour retourner plus sur l’intime.” Qui est, de toutes façons, très politique, a fortiori quand on est homosexuel. “Tout dépend toujours d’où l’on parle. Au fond, sauf erreur, je ne crois pas qu’il y ait eu mille albums d’amour écrits par un homme roux, gay” (sourire).
Sur le morceau-titre de l’album, Eddy de Pretto annonce ainsi tous les sujets qu’il n’abordera pas -“Sur l’impression du pire/Les comptes à rebours (…)/J’irai cracher mon cœur”. “On peut y voir une certaine naïveté, ou même une sorte de distance. Je le sens dans la promotion. C’est un parti pris qui peut passer pour de la légèreté, voire de la frivolité. Mais en même temps, je pense que c’est aussi tout l’inverse. Tenter l’amour, parler de tendresse, essayer la poésie aujourd’hui, dans ces moments si violents et compliqués, ce n’est pas une mince affaire…”
■ Eddy de Pretto, Crash cœur, distribué par Otterped. ****
■ En concert à Bruxelles le 23/04 (Cirque Royal). ****
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