Échappé de l’Or du commun, Swing sort son premier album solo: « Jusqu’ici, j’étais un peu passé entre les gouttes »

Swing: “Je ne dis pas que faire ce disque a tout réglé. Mais il m’a aidé à accepter un tas de choses, à leur donner un sens.” © dr
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Échappé de l’Or du commun, Swing sort son premier album solo. Un disque qui sublime la rupture amoureuse à coups de mélancolies soul éblouissantes.

C’était quand la dernière fois? Probablement en 2021. On rencontrait alors Swing et ses deux camarades de L’Or du Commun, Primero et Loxley. Le trio rap bruxellois venait présenter Avant la nuit. Un disque en forme d’aboutissement. Et de pot de départ: après avoir donné jusque-là la priorité au groupe, et réussi à accrocher le peloton de tête du rap bruxellois post-2017, chacun allait désormais prendre le temps de creuser son propre sillon.

Deux ans plus tard, Swing alias Siméon Zuyten, fils d’un père belge et d’une mère rwandaise, est le premier à dégainer son album. Pour en parler, rendez-vous est fixé dans les bureaux ixellois de son label La Brique. La veille, il était encore à Paris pour lancer la promo française -France Inter l’a invité dans sa Matinale. Après avoir longtemps patienté en gare, le train semble lancé… Sans que cela ne semble troubler outre-mesure l’intéressé, toujours aussi posé.

Le grand saut

Tout de même, depuis la dernière discussion, Swing semble avoir pris une nouvelle envergure. Physique d’abord. “J’ai commencé la boxe!” Même si on l’imagine moins cogneur que voltigeur. Façon Mohamed Ali:Float like a butterfly/Sting like a bee”, “Vole comme un papillon/Pique comme une abeille. Sur une planète rap où le virilisme a encore de beaux jours devant lui, Swing n’a jamais joué le caïd… L’évolution la plus notable est cependant d’abord et avant tout musicale. Deux premiers EP –Marabout (2018) et AltF4 (2020)- avaient déjà balisé la route et posé quelques principes de bases: en solo, Swing laissait toujours davantage de place à ses influences soul, jazz, voire gospel. Et le rappeur cédait toujours plus de terrain au chanteur.

Avec Au revoir Siméon, Swing franchit toutefois une étape supplémentaire. La vie augmente, comme dirait l’autre. Et la musique aussi. C’est tout l’intérêt du format album, de pouvoir pousser les meubles et amener les choses un peu plus loin. Ça se joue parfois à des détails. Mais l’oreille ne se trompe pas: ici, le son est plus précis, et le propos plus ample. Épaulé par le Français Crayon à la production, Swing balance d’un groove neosoul (Mélanome) à une rythmique nigériane (Kobe, Mafia), d’une secousse jersey (2Yeux) à un riff orageux à la King Krule (Gigi). Le tout en français dans le texte. Et avec la mélancolie en bandoulière.

Coeur en berne

Il a fallu un peu de temps pour trouver le fil conducteur. “Après Alt F4, je savais que la prochaine étape serait l’album. Mais les débuts ont été laborieux. On sortait du Covid. J’avais l’impression d’avoir un peu perdu la connexion avec ce que je faisais. Je pondais des chansons que je trouvais bien mais pas non plus… “extraordinaires”. Disons qu’elles n’avaient rien de spécial, elles n’apportaient pas grand-chose de nouveau. En réalité, je me rendais compte que j’avais perdu le sentiment d’urgence.” La vie va se charger de le lui redonner. Alors que l’album patine, Swing voit son couple prendre l’eau. “La fin de ma première grande histoire d’amour, après huit ans.” Le néo-trentenaire est dans les cordes.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le sport sera un exutoire. La boxe donc, mais aussi le MMA et la salle -“avec l’idée de caler une activité au minimum trois fois par semaine, moins pour atteindre un objectif sportif que par souci de salubrité mentale. Toutes ces choses que vous faites quand vous traversez ce genre de période bizarre, où même le fait de faire son lit ou de ranger son appartement est une petite victoire…(rires).

La musique est son autre “planche de salut”. “Je ne dis pas que faire ce disque a tout réglé. Mais il m’a aidé à accepter un tas de choses, à leur donner un sens. Et aussi à sortir un peu de cette boucle mentale où l’on se voit en victime. Quelque part, l’album m’a permis de reprendre la main et de clôturer cette histoire.” L’album de Swing est donc d’abord celui d’un crash amoureux. “Quand dire au revoir?/On sera très peu à l’avoir choisi”, chante ainsi l’intéressé sur Kobe (référence à la légende du basket, mort dans un accident d’hélicoptère).

Entre les gouttes

Sous le rythme afropop, le spleen est palpable. Non pas que Swing n’ait jamais creusé des émotions plus mellow ou des mélodies plus sombres. Que du contraire. “En général, c’est ce genre de musique que j’aime écouter. Et celle que j’ai envie de faire. Mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais vraiment vécu les émotions que je chantais. En réécoutant Alt F4, par exemple, certaines phrases résonnaient tout à coup davantage que quand je les avais écrites. Je comprenais mieux pourquoi certains me disaient avoir été particulièrement touchés par tel ou tel morceau. C’est très étrange… J’avais déjà vécu des fins de relations. Mais jamais de telles turbulences. Au fond, je suis quelqu’un qui, jusque-là, était toujours un peu passé entre les gouttes” Celui qui s’est un jour baptisé le “négro candide” (sur le titre Richesse, en 2018) résume aujourd’hui, avec une franchise désarmante: “J’avais une vision de l’amour qui était assez simple et confortable.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Sur Au revoir Siméon, cette vision se fracasse sur la somme d’incompréhensions mutuelles. Air connu: alors que tout semblait fluide, la communication se brouille. Jusque dans la voix même de Swing qui, sur le disque, est triturée dans tous les sens, tordue sous les effets et l’autotune (Mosaïque). Sur No Future par exemple, elle prend des éclats métalliques pour “chanter la mélancolie de l’âme”: “Oreilles sifflent comme après gros larsen/Raison contre dix “mi corazon”.”

Zone grise

Le “cœur en léthargie” (Magritte), Swing bute sur les mots devenus “inutiles” (WAV). Pire: il se rend compte qu’ils éloignent plus qu’ils ne rapprochent. “J’en ai dit trop quand j’étais ému”, glisse-t-il (Reykjavik). Ou encore: “Ce qu’on s’est dit, oublie ça” (Un seul ciel). Pour conclure: “J’aurais mieux fait de te mentir” (Mélanome). L’amour, quand il se transforme en champ de bataille…

“Je crois que la vérité n’est pas toujours bonne à exprimer. Parce que c’est toujours une notion relative, ou en tout cas plus floue qu’on ne le pense.”
“Je crois que la vérité n’est pas toujours bonne à exprimer. Parce que c’est toujours une notion relative, ou en tout cas plus floue qu’on ne le pense.” © dr

C’est une zone complexe. Où, oui, parfois il vaut mieux mentir. Et je ne parle pas en termes de tromperie ou autre. Mais vraiment dans le quotidien. Je crois que la vérité n’est pas toujours bonne à exprimer. Parce que c’est toujours une notion relative, ou en tout cas plus floue qu’on ne le pense. Je ne dis pas qu’elle n’a pas de sens. Mais je me rappelle cette citation qui se demandait en gros en ce qui concerne le mensonge, où s’arrête la gentillesse et où commence la lâcheté?” La poétesse Nikki Giovanni s’exclamait, elle: “Je me fiche de la vérité! Ce qui m’importe, c’est que tu sois là.

Nouveau chapitre

Pour survivre au naufrage amoureux, Swing a donc mis en musique ce qu’il n’arrivait pas toujours à exprimer. “En WAV., j’ai converti tant de peines”, chante-t-il notamment. Sur Kobe, il précise encore: “C’est pas que de la musique, non, c’est des bouts de moi”.

Pour autant, la plume reste imagée, comme tenue à distance. Pas question de glisser dans l’impudeur. “Mon but n’est pas de parler de moi. Mais de proposer une musique que je trouve belle, avec des phrase qui sonnent bien. Donc, oui, il y a des sensations vécues mais mélangées à d’autres éléments. À cet égard, j’aime énormément l’écriture de James Blake par exemple. Il raconte rarement quelque chose de très palpable, ça reste très imagé, poétique.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

2023 a été marqué par le retour en force des revenge songs: une manière pour les stars éconduites de se venger de leurs ex. Disque de rupture, Au revoir Siméon ne glisse, lui, jamais dans le règlement de comptes. “Il y a évidemment parfois la tentation d’être plus cash, parce que tu es encore dans le ressentiment. Mais j’avais peur de m’en vouloir après. Je voulais quand même respecter cette relation qui a été importante. Et puis, surtout, il y a un déséquilibre qui est un peu gênant. Une réelle injustice même, dans le fait que je peux, moi, exprimer ces choses, faire entendre ma voix grâce à la musique, alors que l’autre n’a pas accès à ça. Donc oui, j’ai tenu à maintenir malgré tout une barrière entre ce que j’ai vécu et ce que je raconte dans le disque.

Renaissance

Prendre ce genre de précautions n’est pas anodin. En 2023, elle tient même quasi du statement politique. Et ce, dans un disque qui, sous son discours de l’échec amoureux, cache d’autres tourments. Par exemple quand Swing chante: “Génération No Future/Mets un filtre et fais bonne figure/Rien à fêter mais on danse quand même. Ou de manière plus précise encore sur Mafia: “Le quotidien d’un enfant de la diaspora/J’ai moins peur de la mafia/Que de la police”. “Au fond, c’est peut-être le morceau le plus pessimiste de l’album (sourire).

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il colle en tout cas bien à l’atmosphère d’un récit qui n’est pas sans espoir, mais bien sans illusion. Un disque de trentenaire que la vie a obligé à effectuer une mise à jour, et à refaire ses comptes: tout ce que l’on gagne et tout ce que l’on perd avec le temps. C’est un peu le sens de la pochette en noir et blanc: “J’y vois à la fois une forme de chute, mais aussi de renaissance.

Larguer les amarres

Ou comme l’envisage le titre: Au revoir Siméon pour dire adieu à une certaine innocence adolescente? “Pour moi, c’est d’abord un titre qui sonne un peu comme celui d’un album anglais ou américain. ça aurait pu être le titre d’un disque de Kanye West par exemple (rires). À nouveau, c’est une manière de souligner que, certes, je chante en français, mais à partir d’influences musicales essentiellement anglo-saxonnes. Le clip de Maladresse, par exemple, on l’a tourné du côté de Paris. Mais dans un quartier qui est connu pour ses décors “à l’américaine”. C’était important d’avoir cette couleur-là.

© National

Voilà donc pour la première interprétation. L’autre étant de suggérer qu’il est temps de larguer les amarres et dépasser la période de turbulence. “C’était une manière de passer à autre chose, quitte à devoir laisser certaines choses derrière moi. J’ai l’impression que l’on est tous un peu comme ça. À essayer à la fois de préserver une part d’enfance, d’appréhender la vie de manière positive. Mais aussi d’affronter la réalité en face. Ce qui peut être parfois déstabilisant. Mais nécessaire, non?

Swing, Au revoir Siméon ****, distribué par La Brique. En concert le 07/02, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content