Echappé de l’Or du commun, Primero recolle les morceaux
En concert à la Fête de la Musique et au Dour Festival, Primero présente Fragments. Une collection de 4 EP qui ouvre un peu plus la voie d’une carrière solo pour l’un des trois rappeurs de L’Or du Commun.
Certains réflexes ont la vie dure. Après la parution du dernier volet de sa série de quatre EP, baptisée Fragments, Primero fait le bilan: “Je suis super content du “voyage”, et de ce que l’on a réussi à créer.” “On”? Même quand il s’agit d’évoquer son projet solo, le rappeur bruxellois a toujours autant de mal à parler en “je”. “Oui, c’est vrai, je n’ai pas encore l’habitude.”
De fait, jusqu’ici, Victor Pailhès de son vrai nom, a surtout œuvré en groupe: L’Or du Commun, pour ne pas le nommer. Au sein de la vague rap made in Belgium post-2015, le trio formé avec Swing et Loxley a su évoluer et créer sa propre place. Jusqu’à l’album Avant la nuit, sorti en 2021, disque volontiers introspectif, aux couleurs crépusculaires. Après dix ans de travail collectif, il marquait aussi la fin d’une ère. Voire la “fin du groupe”, comme le glisse à un moment Primero. Il corrige directement: “Disons plutôt la fin de la priorité donnée au groupe…”
Aujourd’hui, chacun vogue donc en solo. Swing a déjà sorti au moins deux EP/mini-albums, tandis que Loxley multiplie les projets extra-musicaux (docu, podcast, radio). Après avoir démarré sur la pointe des pieds -avec Serein, EP 5 titres sorti en 2020-, Primero a, lui, décidé d’accélérer le tempo. En avril 2022, il proposait le premier volet de sa tétralogie Fragments. En mai dernier, il regroupait les seize morceaux des quatre “épisodes”, sur un seul et même vinyle. Il n’a fallu que quelques jours pour en écouler les 300 exemplaires.
Celui qui a “grandi entre Brassens et Lauryn Hill” (comme il l’explique sur Deux deux, avec Roméo Elvis) y poursuit sa quête. Tout en donnant toujours plus de musicalité à son rap, il continue de célébrer le genre. Comme sur Fourmilière, où il invite Isha, ou Kintsugi, l’inédit enregistré avec Gandhi, le “premier rappeur belge à m’avoir donné des fourmis dans les doigts”. Pour autant, Fragments ne constitue toujours pas un véritable premier album. “Je voulais que ça reste un projet un peu laboratoire, qui me permette d’essayer des choses différentes, et ne pas avoir à me fixer sur une seule ligne, une seule couleur.”
Le beurre et l’argent du beurre
Fragments fonctionne donc à la manière d’un patchwork ou d’une série télé, développée sur quatre saisons. Ou encore un “Rubik’s Cube”… “J’aimais bien l’image des coups qui nous démolissent, mais nous renforcent aussi. Comme quand un os se fracture et finit par se ressouder. C’est un peu l’idée qu’on naît “intact”, et qu’à la fin, on est comme un puzzle, une somme de cassures et de réparations.”
A-t-il souvent chuté? Il assure n’être pas spécialement casse-cou. Si on écoute ses morceaux, Primero aime cependant visiblement bien prendre de la hauteur, escalader les murs, grimper. Déjà sur le clip de Promenades, en 2020, il jouait au funambule sur le toit d’un immeuble, tandis que dans celui de Tournesol, il est perché au sommet d’un lampadaire. Dans Fourmilière, il est “assis, pieds nus, dans la gouttière”, et sur son dernier EP, il arrive à “s’envoler du cinquième étage”. Par attrait du vide? Envie de se faire peur? Ou de mettre à l’épreuve son Vertige (le titre d’un des morceaux de Fragments, Pt. 3)?
À moins qu’il n’apprécie simplement le point de vue… Le rap a toujours cherché à décrire et observer. Chez Primero, cette capacité d’analyse prend souvent une tournure méditative. Juché au sommet de sa tour d’observation, le rappeur cogite et rêvasse… Dans un titre comme Vie de chien, il creuse par exemple le sentiment d’insatisfaction permanente -“Je veux le beurre et l’argent du beurre/la chaleur et la neige en hiver”-, et l’incapacité à trouver la tranquillité d’esprit -“Quand j’ai moins de stress qu’un animal en peluche/Je suis limite pressé que ça parte en sucette”.
Sur le dernier morceau du projet, F&F (pour Force & Faiblesse), Primero a rarement été aussi personnel. Il y “danse avec la maladie”, qui lui a “endormi la moitié du visage”. “Ne m’en veux pas si je te cache au monde/Mais quand les gens te remarquent/ils s’adressent à moi différemment”, explique-t-il encore.
“C’est le seul morceau sur lequel j’avais un doute. Jusqu’à quel point je peux parler d’un truc aussi intime? C’est toute la question de la pudeur. Quelqu’un comme Swing est à fond dans l’émotion dans sa musique. Mais au niveau des paroles, il reste très réservé. J’ai fait le choix de l’être un peu moins. Après, dans F&F, je camoufle un peu le sujet, on ne comprend pas tout de suite de quoi il s’agit. De cette manière, chacun peut aussi s’y retrouver. Mais même en restant flou, j’ai l’impression d’en donner beaucoup. Parce que c’est tellement présent dans ma vie. C’est le point de départ de beaucoup de choses. Au fond, si je fais de la musique, c’est sans doute lié en partie à ça…”
Nouveau départ
De là à penser que Primero va creuser toujours plus cette veine intimiste, il y a un pas. “Je suis dans une période où j’écoute beaucoup de podcasts. J’adore Transfert, par exemple (le podcast-phare de Slate.fr, NDLR). Je suis fasciné par la manière qu’ils ont de condenser des récits de vie. Ça m’inspire énormément. Y compris pour imaginer des morceaux qui seraient davantage tournés vers les autres que directement à l’intérieur de moi.”
À quoi justement ressemblera la suite de Fragments? “Ce qui est particulier avec ce projet, c’est que je sens bien qu’il clôture quelque chose. Pour ces quatre EP, par exemple, et même déjà sur le précédent, j’ai bossé avec (les producteurs) Phasm et PH Trigano. Pour plein de raisons, on reprend aujourd’hui un peu chacun nos routes. Donc, oui, contrairement à la sortie d’un album, qui ouvre un cycle, j’ai l’impression d’être de retour à la case départ. Ce qui est à la fois très excitant mais donne aussi un peu le vertige.” Quand on vous disait que Primero adorait ça…
Primero, Fragments, distr. La Brique.
En concert le 24/06 à la Fête de la Musique au Cinquantenaire à Bruxelles et le 15/07 au Dour festival.
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